pour info : comprendre le marché halal

partie 1

Bruno Bernard, consultant pour Beci, livre quelques clés pour comprendre le halal

BRUXELLES Bruno Bernard est coauteur de l’ouvrage Comprendre le halal (aux côtés de Florence Bergeaud-Blackler), expert en commerce international et à l’origine de la certification halal de Beci, seule certification européenne reconnue dans le monde. Pour lui, le marché halal est désormais incontournable, même s’il regrette que la Belgique ait, une fois de plus, un train de retard…

Le halal est-il devenu un enjeu économique incontournable, que ce soit sur le marché domestique ou à l’exportation ?

“Dans certains pays, si l’on ne vend pas des produits labellisés halal, il ne faut pas espérer vendre quoi que ce soit. Sur le marché domestique également, le public cible des produits halal est en permanente croissance et ne pas en prendre conscience est une grave erreur de stratégie commerciale.

À l’exportation, le halal est devenu un véritable argument de vente également. Malheureusement, on a, une fois de plus, un train de retard en Belgique. On ne semble pas en percevoir l’intérêt, même si la volonté n’est pas forcément absente.”

Est-ce à dire qu’une entreprise qui ne ferait pas labelliser ses produits pour répondre aux critères halal se ferme des portes ?

“Assurément ! Dans certains centres de réfugiés, où la population musulmane est majoritaire, n’espérez pas vendre un pot de confiture s’il n’est pas halal.

Comme dans les administrations, où 10 % du café doit répondre aux critères du commerce équitable, les produits halal sont devenus incontournables. Il suffit de jeter un œil aux prisons, occupées par 80 % de musulmans, pour comprendre qu’il n’est pas concevable de leur servir du porc, pour ne citer qu’un exemple frappant.”
 
partie 2
Pour vendre des produits halal, il faut une labellisation. Sont-elles toutes fiables ?

“J’ai décidé de collaborer avec Beci pour mettre sur pied un certificat breveté, car aucun organisme public n’avait décidé de le faire. À côté de cela, n’ayons pas peur des mots, il y a certains bandits qui certifieraient que votre grand-mère vient d’un kiboutz si vous allongez 20.000 €. La certification que je délivre coûte 1.500 € par lieu de production pour une durée d’un an. Si nous ne faisons pas dans le bénévolat, ces 1.500 € servent uniquement à couvrir les frais liés à la certification, à savoir le billet d’avion pour l’imam, le logement, l’audit réalisé au préalable. Une fois ces frais payés, il ne reste plus rien car nous ne sommes pas là pour nous enrichir.”

D’autres le font ?

“Il ne m’appartient pas de regarder dans l’assiette des voisins. Ce que je sais, c’est que notre procédure ne laisse rien au hasard et que s’il y a tricherie, le demandeur est rayé de nos tablettes pour une période de 5 ans. Tout ce que je peux dire, c’est qu’en établissant des certifications à 1.500 €, je ne me suis pas attiré que des amis.

D’ailleurs, à la suite de la présentation officielle de notre procédure, j’ai reçu un appel anonyme d’un organisme certificateur qui m’accusait de casser le marché. Lorsque je lui ai répondu que, selon le Coran, il était interdit de gagner de l’argent sur ce principe, il m’a rétorqué que 15.000 € des 20.000 € qu’il demandait pour une certification étaient envoyés en Afghanistan pour défendre la cause. Cela m’a choqué et quand je lui ai fait observer que cela contribuait au racket destiné à financer des armes servant à tuer nos militaires engagés dans la guerre contre le terrorisme, il m’a répondu que je ne pouvais pas délivrer de certificats car je ne suis pas musulman… À côté de cela, je dois cependant reconnaître que de nombreux organismes effectuent très bien leur travail.”

Lorsqu’on parle de certification halal, on pense immédiatement à la viande. Selon certaines estimations, 50 % de la viande vendue en Belgique serait halal. Une estimation plausible ?
 
partie 3

“Tout dépend de la définition qu’on donne au halal. Beci ne certifiera, par exemple, jamais une boucherie de quartier. La vocation de notre certification est de faciliter le commerce et l’exportation. Elle répond à un processus très strict et, en cas de doute, on refuse la certification. L’industrialisation est un incontournable du commerce à l’heure actuelle. À ce titre, on refusera aussi le label à une chaîne d’abattage de poulets car c’est trop compliqué. Élevés sans voir la lumière, les poulets sont stressés et 8 % des volailles arrivent mortes à l’abattage, victimes de crises cardiaques. Par rapport au Coran, il est interdit de manger un animal mort avant l’abattage rituel, ce qui nous empêche légalement de certifier ce genre d’abattoirs. Pourtant, ces poulets sont vendus dans le commerce comme de la viande halal. Cela ne m’étonne donc pas qu’on estime que la moitié de la viande qu’on prétend halal ne le soit pas réellement, sans pour autant qu’elle soit vendue comme tel de manière malhonnête.”

Au-delà de la viande, bien d’autres produits sont estampillés halal. N’est-ce pas un peu farfelu quand on sait qu’on va jusqu’à labelliser de l’eau ou le coca ?

“Pas du tout. Le halal est un véritable mode de vie, au même titre que le bio. Pour certains, les produits bio se résument à deux trois légumes dans un panier en osier qu’on donne à des bobos une fois par mois. Mais c’est bien plus que cela, puisqu’il y a des tee-shirts bio, des médicaments bio et bien d’autres produits qui permettent de vivre en respectant certains principes. Pour le halal, c’est pareil. Il existe un moteur de recherche Internet halal, des assurances, des cosmétiques… J’ai même reçu des demandes par e-mail pour savoir si la ********* est halal. Et elle l’est !”

Mais qu’est-ce qui fait que ces produits sont halal ou pas ?

“Quand vous optez pour une assurance qui garantit, par exemple, que les bénéfices ne seront pas investis dans l’industrie de l’armement, vous vous inscrivez dans un art de vivre qui répond à certains principes. Récemment, j’ai reçu une demande de certification pour un produit de nettoyage qui garantit ne pas contenir d’alcool et dont la chaîne de conditionnement n’utilise aucune graisse de porc.
 
partie 4

Pour l’eau, c’est pareil. Une marque X n’obtiendra pas sa certification si elle est située à proximité d’un élevage porcin qui pourrait entraîner une contamination, si la chaîne d’embouteillage voisin sert à mettre de la bière en bouteille ou si les brosses de nettoyage sont faites en poil de porc.”

N’est-ce pas pousser le bouchon un peu trop loin ?

“C’est un véritable business et, à ce titre, je m’étonne de constater que certains industriels belges n’en perçoivent pas toute la portée. Ils sont prêts à faire l’impasse sur une certification à 1.500 € au risque de s’interdire l’accès à certains marchés colossaux.”

On parle même d’hôtels halal, est-ce possible ?

“Certains hôtels prétendent aujourd’hui être labellisés halal. Aucun n’a encore été validé car le processus est long et les premières certifications ne devraient pas être attribuées avant 2011. Les critères sont nombreux, qu’il s’agisse de l’absence de boissons alcoolisées dans le minibar, ou de la suppression de l’accès aux chaînes X en passant par la garantie qu’aucune prostituée ne traîne dans l’hôtel.

Pour l’heure, certains hôtels halal existent en Malaisie notamment, mais copier ce modèle chez nous est impossible car il implique des étages réservés aux femmes, d’autres aux hommes ou encore l’obligation pour le personnel d’être musulman. Autant dire que de telles contraintes susciteraient un tollé chez nous. En revanche, on peut très bien envisager une offre répondant à la spécificité culturelle des musulmans, au même titre que, dans les pays musulmans, les touristes européens disposent d’alcool dans le minibar de leur chambre et d’autres produits en accord avec leur mode de vie.”

Même la finance s’intéresse de près au développement du halal…

“Si j’ai décidé de faire partie de l’approche de la finance islamique, je tiens cependant à me montrer très prudent en la matière. Il faut savoir qu’une banque islamique est tenue par la charia. À ce titre, l’investisseur devient partie prenante des bénéfices et des pertes. Les plus optimistes rétorqueront que les milliards du Golfe sont loin d’être épuisés et qu’on pourrait en bénéficier en attirant les investisseurs islamiques chez nous, mais c’est oublier un peu vite qu’il y a deux ans, Dubaï était en faillite…”
 
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