Si lobjectif est noble, il pose maintenant de redoutables problèmes de mise en uvre, éthiques et méthodologiques, auxquels sont dailleurs confrontés les pays disposant de ces outils :
- 1) Selon quelle base construire les catégories ? Aux Etats-Unis est utilisé le concept de « race » entendu comme un construit social et non comme dessence biologique. Ceci débouche sur cinq catégories raciales (Blancs, Noirs, Amérindiens, Autochtones dAlaska, Asiatiques, Autochtones dHawaï ou du Pacifique) et une catégorie ethnique principale, les Hispaniques, qui peut recouper les précédentes. En Grande-Bretagne, sont proposées cinq groupes ethniques intégrant en complément la dimension de la nationalité (Blancs, Mixtes, Asiatiques et Asiatiques britanniques, Noirs et Noirs britanniques, Chinois et autres groupes). Ces catégorisations croisent la notion de « minorités visibles » et celle de nationalité. Elles sont susceptibles dévoluer dans le temps en fonction des modes de représentation. Dans le cas français, on est en droit de sinterroger sur les catégories qui seront proposées. Elles seront surtout révélatrices de la perception sur la société des responsables de lEtat. Dans une « République une et indivisible » pourra-t-on voir figurer des catégories « Breton », « Français doutre-mer », « Corse ». Par ailleurs, les discriminations se limitent-elles aux aspects ethniques ? Ne doit-on intégrer, le genre (les femmes peuvent sestimer discriminer ; de plus en plus détudes anglo-saxonnes intègrent cette dimension), les comportements sexuels (les homosexuels, de même), le handicap, etc.
- 2) Qui effectue la classification ? Reprenant les choix des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, Y. Sabeg a clairement indiqué : « Il sagit de demander aux personnes comment elles se définissent, ce quelles ressentent ». Il sagira donc de déclaratif par rapport à un sentiment dappartenance à lune des catégories proposées. Simple en apparence, complexe dans la réalité. Aux Etats-Unis depuis le recensement de 2000, il est possible de déclarer son appartenance à plusieurs « races » ou ethnies, dont certaines ne figuraient pas dans les recensements précédents. En Grande-Bretagne, de fortes critiques ont été émises par les citoyens britanniques non blancs considérant que lon veut les renvoyer à leur origine, en niant leur identité britannique. Ce problème nest pas éludé par Y. Sabeg : « À lheure où lon se soucie de la cohésion nationale, il nest pas pertinent de renvoyer constamment les individus à leurs origines ». Néanmoins, pour être efficace, un outil de mesure doit être accepté par la société à laquelle il sadresse. Dans le cas français, il est probable que les critiques seront importantes débouchant sur un refus de répondre. Ces statistiques peuvent en effet heurter le souhait dappartenir à une communauté nationale. Les premiers tests permettront dévaluer les biais statistiques.
- 3) Qui aura accès aux données et à quel niveau de finesse spatiale ? Etats-Unis et Grande-Bretagne nhésitent pas à rendre accessibles ces informations à des échelles locales. Les pratiques existantes en France laissent craindre le pire sur ce sujet. À titre dexemple, un chercheur souhaitant exploiter des données sur la nationalité qui figurent légalement dans les recensements généraux de population, se voit répondre par lInsee quil sagit de « données sensibles ». Elles ne peuvent être fournies à un niveau inférieur au Triris, cest à dire trois Iris (un Iris correspond à un regroupement de 2000 habitants environ). Autrement dit, mieux vaut ne pas analyser de façon trop approfondie ces sujets, ils pourraient être dérangeants. Quand Y. Sabeg souhaite mettre en place de telles statistiques, il sagit bien de permettre dévaluer lefficacité des politiques. Or, la France dans ce domaine préfère les discours et refuse la transparence. La suppression par X. Darcos de la carte scolaire fournit un remarquable exemple des pratiques en cours. Le ministre affirme que cette décision bénéficie aux catégories défavorisées mais les données étant rendues inaccessibles par les inspections académiques (sous la tutelle du ministre), il est impossible de valider (ou plus certainement dinvalider) le discours énoncé
Sans remettre en question, la sincérité de lapproche développée par le commissaire à la diversité, ni les précautions quil souhaite mettre en place, les problèmes posés semblent considérables. Ces statistiques ethniques risquent de napporter aucune plus-values par rapport aux méthodes plus qualitatives actuellement utilisées. Le choix dun outil de mesure nest pas neutre, mais révélateur dun regard sur lobjet étudié.
En loccurrence, les propos du Président de la République, le 17 décembre 2008 jugeant que la France doit se doter « doutils statistiques » qui « sans traduire une lecture ethnique de notre société », « permettent de mesurer sa diversité, pour identifier précisément ses retards et mesurer ses progrès » ne suffisent certainement pas à lever les doutes sur le projet.
DESPONDS Didier (Auvers-sur-Oise)
Géographe, spécialisé sur les questions urbaines. Principales recherches ayant porté sur les dynamiques du marché immobilier et les logiques de la ségrégation socio-spatiale dans lespace francilien. Cherche à promouvoir une approche par les micro-acteurs, en exploitant des données quantitatives et qualitatives. Enseigne en tant que maître de conférences à luniversité de Cergy-Pontoise.