Marc Abelès: «Si les politiques ne peuvent plus se lâcher, ça va être gris et monotone»
INTERVIEW – L'ethnologue à l'EHESS et au CNRS revient sur la façon dont les membres du gouvernement tentent de gérer leur image sur le Web...
Brice Hortefeux, le ministre de l’Intérieur, lâchant des paroles ambiguës sur le campus de Seignosse; Eric Besson, le ministre de l’Immigration, faisant un doigt d’honneur à un journaliste sur le même campus de Seignosse; Jean-Louis Borloo, le ministre de l’Ecologie, qui aurait été interrogé à un moment d’ivresse sur le perron de l’Elysée, ce que dément son entourage... Tous ont été filmés, certes dans l’espace public, mais à un moment qu’ils avaient mal ou pas anticipé. Marc Abelès explique les difficultés qu’ont les politiciens à contrôler leur image en toutes circonstances.
Comment les hommes politiques arrivent-ils à gérer leur image sur Internet?
C’est très difficile. A mon avis, la gestion de leur image sur le Net reste du bricolage. C’est nouveau pour eux, ils y consacrent peu de moyens. Même si chacun a son site, désormais, l’ensemble est très inégal. La jeune génération est mieux placée, ils manipulent leurs réseaux et leurs comptes eux-mêmes, comme NKM sur Twitter. Les autres sont très dépendants des conseillers et c’est parfois difficile pour eux d’intérioriser les buzz. Ils ne comprennent pas qu’Internet joue un rôle essentiel sur le plan de la circulation interactive de l’information.
Concrètement, qui entoure les politiciens?
Ça dépend du niveau. Quant il s’agit d’un simple député, il peut demander un conseil à une agence de communication, par exemple, celle qui travaille pour son parti politique. Une autre possibilité, plus sophistiquée, c’est d’avoir son conseiller en communication, qui analyse les gestes, les paroles et cherche à faire passer la stratégie politique, presque avec des messages subliminaux. Quand les politiciens font des apparitions télé, par exemple, il y a ensuite un debriefing. Enfin, au plus haut niveau de pouvoir, il y a une équipe de trois/quatre personnes: conseillers en communication, attachés de presse... En général, il y a aussi une ou deux personnes de confiance, pas nécessairement officielles, qui sont en charge de la communication. Le problème, c’est que ça coûte très cher aux hommes politiques. De surcroît, ceux-ci ont du mal à trouver des conseillers, lesquels gagnent davantage d’argent en travaillant dans une agence de publicité.
Mais attention, parmi les «conseillers en communication», il y a de tout, notamment des charlatans... Certains viennent de différents métiers de la communication, et gèrent l’image comme une marque de lessive, d’autres ont eu des formations en sciences politiques et donnent des conseils stratégiques sur les contenus et/ou l’image qui doivent passer à l’écran.
Les hommes politiques vont-ils changer d’attitude à force de voir leur image diffusée de façon quasi instantanée sur le Net?
Ils vont se ranger dans du politiquement correct, en s’autocensurant même dans des situations où l’on pourrait imaginer une parole plus spontanée. Les règles du comportement vont changer, par rapport au risque de reprise sur le Web. Cela va faire partie des mœurs. Si les hommes politiques ont le sentiment d’être sous surveillance permanente, ils seront moins naturels avec les gens. Et s’ils ne peuvent plus se lâcher, ça va être gris et monotone.
Propos recueillis par Oriane Raffin