C’est biologique ! Les déprimés interprètent tout négativement, parce qu’une zone de leur cerveau les y contraint. C’est ce qu’a découvert une équipe de chercheurs français. Une révolution dans le traitement de la dépression, explique le psychiatre Christophe André.
Dans l’extraordinaire bouillonnement de recherches et d’études actuelles sur le cerveau, beaucoup portent sur la neuro-imagerie, c’est-à-dire toutes les techniques permettant de voir fonctionner le cerveau. Que se passe-t-il lorsque nous lisons, réfléchissons, ressentons une émotion ? Il ne s’agit pas seulement de recherche fondamentale, « juste pour savoir », mais aussi d’un outil très utile aux thérapeutes. Comprendre le fonctionnement du cerveau des personnes déprimées ou anxieuses par rapport à celui des personnes ne souffrant pas de ces troubles permet également de mieux saisir pourquoi et comment les traitements, médicamenteux ou psychologiques peuvent s’avérer efficaces.
Philippe Fossati, psychiatre et chercheur à l’hôpital de la Salpêtrière, à Paris, a conduit avec son équipe une passionnante recherche sur ce thème . L’expérience se déroule ainsi : les chercheurs présentent aux sujets volontaires, déprimés ou non, des listes de mots. Certains décrivent des qualités ("généreux", "intelligent", "aimable"…), d’autres des défauts ("avare", "hypocrite", "rancunier"…). On demande d’abord aux sujets de lire ces mots dans une optique générale (« Que pensez-vous de la générosité ? de l’avarice ? »). Puis, dans une optique personnelle (« Etes-vous vous-même généreux ? avare ? »).
On s’aperçoit alors que chez les sujets "normaux" (non déprimés), les zones du cerveau qui s’activent selon que les mots sont lus dans une optique générale (« Est-ce une qualité ou un défaut ? ») ou dans une optique personnelle (« Ai-je moi-même cette qualité ou ce défaut ? ») ne sont pas les mêmes. Le psychisme des personnes non déprimées fait ainsi clairement la différence entre réfléchir à un trait de caractère et se l’attribuer.
Il existe, en effet, une zone spécifique du cerveau connue depuis peu pour être le siège de la tendance à "personnaliser" les informations traitées : le cortex préfrontal dorso-médian. Si vous n’êtes pas déprimé(e), cette zone ne s’activera que si vous vous interrogez sur vous-même. Chez les déprimés, cette zone tend à s’activer à tout propos, notamment à l’évocation des mots négatifs, même dans l’optique générale. Autrement dit, lorsqu’on leur demande : « Que pensez-vous de ce défaut ? », les déprimés réagissent comme s’ils avaient entendu : « Etes-vous concerné par ce défaut ? » Et tendent d’ailleurs à penser que oui…
On sait que cette tendance à la personnalisation des informations, surtout négatives (« C’est de ma faute », « C’est toujours sur moi que cela tombe ») caractérise la maladie dépressive. Elle est à l’origine des sentiments de désarroi, de culpabilité et d’autodévalorisation qui parasitent constamment la vie intérieure des dépressifs. C’est d’ailleurs l’une des cibles privilégiées de la psychothérapie cognitive, qui consiste à faire prendre conscience à la personne déprimée de l’existence de ces distorsions automatiques de pensée.
C’est la première fois que les bases cérébrales d’un mécanisme psychopathologique sont ainsi révélées par la recherche. Lorsque les déprimés nous expliquent que « c’est plus fort qu’eux » et qu’ils ne peuvent s’empêcher de réagir ainsi, nous pouvons les croire : ces mécanismes ne dépendent en aucun cas de leur volonté. Ils ne peuvent que tenter de les corriger, non en interdire l’apparition.
Heureusement, ce n’est pas parce qu’un phénomène repose sur une base biologique qu’il n’est pas modifiable par la force du psychisme. C’est le deuxième grand enseignement de ce type de recherches. Une autre équipe, canadienne cette fois, a montré que les dysfonctionnements cérébraux des déprimés s’amélioraient sous traitement : les perturbations observées sont dites « fonctionnelles », elles ne sont pas des lésions du cerveau. La tendance consistant à repérer et à personnaliser des informations négatives est donc « réparable ».
Mais le plus passionnant, si l’on compare comment fonctionnent deux grandes méthodes de traitement de la dépression – les antidépresseurs et la thérapie cognitive –, est que l’on s’aperçoit qu’elles modifient toutes les deux la biologie du fonctionnement cérébral. Mieux : seule la thérapie cognitive, dont la spécificité est de faire travailler les patients sur les liens entre pensées négatives et émotions tristes, a un impact direct sur la zone du cerveau impliquée dans la personnalisation des informations négatives, notre fameux cortex préfrontal dorso-médian . Les médicaments agissent, eux, à un niveau plus bas, sur le cerveau émotionnel sous-cortical.
Ces découvertes récentes s’ajoutent à d’autres, effectuées ces dernières années, qui commencent également à montrer ce qui se passe dans le cerveau des personnes souffrant de phobie sociale, de troubles obsessionnels compulsifs (Toc) et autres troubles émotionnels ; et comment la psychothérapie permet de guérir leurs maladies aux niveaux psychologique et biologique.
Pouvoir comprendre quelles zones de notre cerveau sont grippées ou trop actives, pouvoir vérifier sur images l’efficacité ou l’inefficacité des traitements proposés, tout cela va permettre, dans la décennie à venir, de formidables progrès en matière d’aide aux souffrances psychiques. Grâce à la science, nous allons de mieux en mieux comprendre comment fonctionne notre conscience ! Les mystères de notre esprit ne vont-ils alors pas perdre de leur poésie ? Probablement pas !
Car, comme l’écrit Antonio Damasio, l’un des grands noms de la neuropsychologie actuelle : « L’esprit survivra à l’explication de sa nature, tout comme le parfum de la rose continue d’embaumer, même si l’on en connaît la structure moléculaire… »
http://www.psychologies.com/Moi/Epr...ers/Pourquoi-les-deprimes-voient-tout-en-noir
Dans l’extraordinaire bouillonnement de recherches et d’études actuelles sur le cerveau, beaucoup portent sur la neuro-imagerie, c’est-à-dire toutes les techniques permettant de voir fonctionner le cerveau. Que se passe-t-il lorsque nous lisons, réfléchissons, ressentons une émotion ? Il ne s’agit pas seulement de recherche fondamentale, « juste pour savoir », mais aussi d’un outil très utile aux thérapeutes. Comprendre le fonctionnement du cerveau des personnes déprimées ou anxieuses par rapport à celui des personnes ne souffrant pas de ces troubles permet également de mieux saisir pourquoi et comment les traitements, médicamenteux ou psychologiques peuvent s’avérer efficaces.
Philippe Fossati, psychiatre et chercheur à l’hôpital de la Salpêtrière, à Paris, a conduit avec son équipe une passionnante recherche sur ce thème . L’expérience se déroule ainsi : les chercheurs présentent aux sujets volontaires, déprimés ou non, des listes de mots. Certains décrivent des qualités ("généreux", "intelligent", "aimable"…), d’autres des défauts ("avare", "hypocrite", "rancunier"…). On demande d’abord aux sujets de lire ces mots dans une optique générale (« Que pensez-vous de la générosité ? de l’avarice ? »). Puis, dans une optique personnelle (« Etes-vous vous-même généreux ? avare ? »).
On s’aperçoit alors que chez les sujets "normaux" (non déprimés), les zones du cerveau qui s’activent selon que les mots sont lus dans une optique générale (« Est-ce une qualité ou un défaut ? ») ou dans une optique personnelle (« Ai-je moi-même cette qualité ou ce défaut ? ») ne sont pas les mêmes. Le psychisme des personnes non déprimées fait ainsi clairement la différence entre réfléchir à un trait de caractère et se l’attribuer.
Il existe, en effet, une zone spécifique du cerveau connue depuis peu pour être le siège de la tendance à "personnaliser" les informations traitées : le cortex préfrontal dorso-médian. Si vous n’êtes pas déprimé(e), cette zone ne s’activera que si vous vous interrogez sur vous-même. Chez les déprimés, cette zone tend à s’activer à tout propos, notamment à l’évocation des mots négatifs, même dans l’optique générale. Autrement dit, lorsqu’on leur demande : « Que pensez-vous de ce défaut ? », les déprimés réagissent comme s’ils avaient entendu : « Etes-vous concerné par ce défaut ? » Et tendent d’ailleurs à penser que oui…
On sait que cette tendance à la personnalisation des informations, surtout négatives (« C’est de ma faute », « C’est toujours sur moi que cela tombe ») caractérise la maladie dépressive. Elle est à l’origine des sentiments de désarroi, de culpabilité et d’autodévalorisation qui parasitent constamment la vie intérieure des dépressifs. C’est d’ailleurs l’une des cibles privilégiées de la psychothérapie cognitive, qui consiste à faire prendre conscience à la personne déprimée de l’existence de ces distorsions automatiques de pensée.
C’est la première fois que les bases cérébrales d’un mécanisme psychopathologique sont ainsi révélées par la recherche. Lorsque les déprimés nous expliquent que « c’est plus fort qu’eux » et qu’ils ne peuvent s’empêcher de réagir ainsi, nous pouvons les croire : ces mécanismes ne dépendent en aucun cas de leur volonté. Ils ne peuvent que tenter de les corriger, non en interdire l’apparition.
Heureusement, ce n’est pas parce qu’un phénomène repose sur une base biologique qu’il n’est pas modifiable par la force du psychisme. C’est le deuxième grand enseignement de ce type de recherches. Une autre équipe, canadienne cette fois, a montré que les dysfonctionnements cérébraux des déprimés s’amélioraient sous traitement : les perturbations observées sont dites « fonctionnelles », elles ne sont pas des lésions du cerveau. La tendance consistant à repérer et à personnaliser des informations négatives est donc « réparable ».
Mais le plus passionnant, si l’on compare comment fonctionnent deux grandes méthodes de traitement de la dépression – les antidépresseurs et la thérapie cognitive –, est que l’on s’aperçoit qu’elles modifient toutes les deux la biologie du fonctionnement cérébral. Mieux : seule la thérapie cognitive, dont la spécificité est de faire travailler les patients sur les liens entre pensées négatives et émotions tristes, a un impact direct sur la zone du cerveau impliquée dans la personnalisation des informations négatives, notre fameux cortex préfrontal dorso-médian . Les médicaments agissent, eux, à un niveau plus bas, sur le cerveau émotionnel sous-cortical.
Ces découvertes récentes s’ajoutent à d’autres, effectuées ces dernières années, qui commencent également à montrer ce qui se passe dans le cerveau des personnes souffrant de phobie sociale, de troubles obsessionnels compulsifs (Toc) et autres troubles émotionnels ; et comment la psychothérapie permet de guérir leurs maladies aux niveaux psychologique et biologique.
Pouvoir comprendre quelles zones de notre cerveau sont grippées ou trop actives, pouvoir vérifier sur images l’efficacité ou l’inefficacité des traitements proposés, tout cela va permettre, dans la décennie à venir, de formidables progrès en matière d’aide aux souffrances psychiques. Grâce à la science, nous allons de mieux en mieux comprendre comment fonctionne notre conscience ! Les mystères de notre esprit ne vont-ils alors pas perdre de leur poésie ? Probablement pas !
Car, comme l’écrit Antonio Damasio, l’un des grands noms de la neuropsychologie actuelle : « L’esprit survivra à l’explication de sa nature, tout comme le parfum de la rose continue d’embaumer, même si l’on en connaît la structure moléculaire… »
http://www.psychologies.com/Moi/Epr...ers/Pourquoi-les-deprimes-voient-tout-en-noir