Pouvoir et légitimité

  • Initiateur de la discussion Initiateur de la discussion Ebion
  • Date de début Date de début

Ebion

Ça a l'air que je suis l'esclave da quebrada
VIB
Bonjour :timide:

Il y a une vérité sur Dieu que tout le monde reconnaît en principe, mais dont on n'a pas assez tiré les conséquences.

Dieu est plus fort que tous les humains réunis. Et cela, non seulement hier et aujourd'hui, mais aussi demain et pour toujours.

Et non seulement plus fort, mais essentiellement indépendant des services que les humains pourraient penser lui rendre. Dieu n'a pas besoin d'être nourri, vêtu, logé, protégé, soigné, etc.

Et alors? me direz-vous.

Et alors ce concept de Dieu a été inventé par certains religieux pour s'opposer point par point à la condition des humains, à leur finitude. Un humain, même Trump, même l'empereur Auguste, n'est pas assez fort par lui-même pour résister à une coalition d'autres humains qui voudraient l'assassiner ou l'emprisonner. C'est comme la petite brute de chaque cour d'école. Cette petite brute est peut-être plus forte que les autres enfants, mais si dix enfants se liguaient contre lui, il ne tiendrait pas le coup. Le pouvoir d'intimidation de cette brute, ce bully, repose sur l'inertie et la passivité des autres jeunes (ainsi que sur un réseau d'alliances).

Ce genre de réalité est très visible dans les groupes de chimpanzés : le mâle alpha du moment finit toujours par être renversé par une coalition de singes subordonnés ambitieux, au terme d'un combat où un nouveau mâle alpha le remplace, avec la reconnaissance de ses alliés. Mais ce processus est un cycle sans fin et sans but ultime, de sorte que les sociétés de chimpanzés sont intrinsèquement instables et gangrenées par la violence et la compétition.

Chez les humains, cette réalité existe aussi. On connaît bien des cas dans l'histoire où un dictateur a été chassé ou tué par une révolution de palais ou un soulèvement populaire, ou encore par une intervention militaire étrangère. Superficiellement, on peut avoir l'impression que le dictateur a un pouvoir absolu et incontesté, mais ses bases sont toujours fragiles, et reposent encore une fois sur l'inertie, la passivité et le conformisme, voire le fatalisme. Car en réalité, le dictateur a très peu de pouvoir, et une coalition de quelques personnes à peine peut suffire à faire s'effondrer son règne.
 
Mais en même temps, chez les humains, il y a quelque chose de plus, une dimension supplémentaire qui vient brouiller les cartes : le langage, ou plus exactement le discours.

Car le discours est l'outil principal de ceux qui ont le pouvoir ou qui veulent l'obtenir. C'est le discours et non les armes. Si un abruti sorti de nulle part avec une arme attente à la vie d'un président, personne ne suggère qu'il prenne sa place. Cela est trop absurde comme idée. Par contre, si un rebelle avec des paroles ensorceleuses convainc au moins une partie de l'armée, ou une très grande partie du petit peuple, de prendre son parti, alors cet individu aura un très grand pouvoir et pourra peut-être renverser le président, comme le fit Franco par exemple.

Le pouvoir c'est pas d'avoir des armes perfectionnées. Le pouvoir, c'est d'avoir une légitimité aux yeux d'un grand nombre de personnes, qui sont alors prêtes à vous obéir et même à se battre pour vous. Or, cette légitimité ne vient pas gratuitement, mais s'acquiert principalement par le discours. Sans le discours, les dictateurs ne seraient rien. Même notre bully ne peut espérer se maintenir sans être reconnu par ses alliés, et pour cela il faut manier un discours (il faut aussi des qualités plus "animales" ou "non verbales", mais je n'entrerai pas dans cette discussion).

Le pouvoir est donc indissociable de la croyance en la légitimité d'une personne. Les situations de combat où une personne s'impose par une contrainte purement physique, c'est assez rare. Cela arrive dans des crimes, des interventions policières, des bagarres entre jeunes, mais c'est pas un aspect très prédominant. L'essentiel des relations de pouvoir passe par la médiation de discours, et par là de croyances partagées et de dispositions à obéir. Et le conformisme peut se mettre de la partie quand la majorité obéit. On peut choisir d'obéir parce qu'on sait que les autres le font. Mais ces autres obéissent peut-être parce qu'ils nous voient nous-mêmes obéir et non par conviction authentique. De sorte qu'on se trouve piégés dans une sorte de cercle vicieux. Mais si une désobéissance doit faire basculer la hiérarchie du pouvoir, cela doit passer par des symboles, des discours, des images, etc., qui peuvent éventuellement briser le cercle vicieux jusqu'à un nouvel équilibre.

Si une personne dit qu'elle obéit à des lois morales, cela peut être perçu par d'autres comme une source de légitimité. Parce que cette personne n'aurait pas beaucoup d'appuis si elle demandait à être obéie sans autre justification. Utiliser un argument moral est donc une stratégie du discours dont use une personne pour s'emparer d'un pouvoir ou contester un autre pouvoir. Il en va de même pour les principes religieux, les volontés divines, etc.

On peut débattre de l'existence ou non de règles morales objectivement réelles, ou de l'existence et de révélations des dieux, mais on comprend assez bien la situation en analysant les affaires humaines comme des affrontements entre diverses coalitions et le remodelage constant de coalitions. Alors que chez les chimpanzés, cette dynamique s'appuie sur des principes assez grossiers, comme la violence physique et la réciprocité concrète, chez les humains, le discours complexifie ces joutes de pouvoir, notamment en invoquant un ordre supérieur imaginaire, inspiré de la religion, de la métaphysique, de la morale, de la politique, voire de pseudosciences. Mais finalement, la réalité concrète, ce sont des humains individuels qui interagissent, chacun s'inspirant de croyances et ayant des intérêts et des contraintes et des sentiments.
 
Bonjour :timide:

Il y a une vérité sur Dieu que tout le monde reconnaît en principe, mais dont on n'a pas assez tiré les conséquences.

Dieu est plus fort que tous les humains réunis. Et cela, non seulement hier et aujourd'hui, mais aussi demain et pour toujours.

Et non seulement plus fort, mais essentiellement indépendant des services que les humains pourraient penser lui rendre. Dieu n'a pas besoin d'être nourri, vêtu, logé, protégé, soigné, etc.

Et alors? me direz-vous.

Et alors ce concept de Dieu a été inventé par certains religieux pour s'opposer point par point à la condition des humains, à leur finitude. Un humain, même Trump, même l'empereur Auguste, n'est pas assez fort par lui-même pour résister à une coalition d'autres humains qui voudraient l'assassiner ou l'emprisonner. C'est comme la petite brute de chaque cour d'école. Cette petite brute est peut-être plus forte que les autres enfants, mais si dix enfants se liguaient contre lui, il ne tiendrait pas le coup. Le pouvoir d'intimidation de cette brute, ce bully, repose sur l'inertie et la passivité des autres jeunes (ainsi que sur un réseau d'alliances).

Ce genre de réalité est très visible dans les groupes de chimpanzés : le mâle alpha du moment finit toujours par être renversé par une coalition de singes subordonnés ambitieux, au terme d'un combat où un nouveau mâle alpha le remplace, avec la reconnaissance de ses alliés. Mais ce processus est un cycle sans fin et sans but ultime, de sorte que les sociétés de chimpanzés sont intrinsèquement instables et gangrenées par la violence et la compétition.

Chez les humains, cette réalité existe aussi. On connaît bien des cas dans l'histoire où un dictateur a été chassé ou tué par une révolution de palais ou un soulèvement populaire, ou encore par une intervention militaire étrangère. Superficiellement, on peut avoir l'impression que le dictateur a un pouvoir absolu et incontesté, mais ses bases sont toujours fragiles, et reposent encore une fois sur l'inertie, la passivité et le conformisme, voire le fatalisme. Car en réalité, le dictateur a très peu de pouvoir, et une coalition de quelques personnes à peine peut suffire à faire s'effondrer son règne.
Conformisme tu as lu alexis de tocqueville
Toi
 
Bonjour Ebion,

Je pense que l'histoire de l'Afrique depuis les décolonisations officielles, renie un peu ce schéma. Ce n'est pas du fait de leurs discours que Mengistu Haile Mariam, Idriss Deby, Hissène Habré, Omar Bongo, Valentine Strasser, Moussa Dadis Camara etc.... s'emparèrent du pouvoir mais uniquement par la force de leurs armes.

Il y eut une multitude de coups d'état (nous ne parlerons pas de l'ingérence étrangère) durant toute cette période et bon nombre des personnes qui les accomplirent n'étaient pas connues pour être de grands orateurs. Certains étaient même inconnus pour la majorité de la population (Valentine Strasser en étant le meilleur exemple), pourtant celle-ci se soumit à leur pouvoir nouveau et ce pour diverses raisons à mon sens.

Tout d'abord la pauvreté. Difficile de protester, de manifester ou autres lorsque l'on a le ventre vide et une famille à nourrir. Le temps est uniquement consacré à la recherche de solutions pour se rassasier et la politique semble lointaine dans ces moments là.

Ensuite, la consubstantialité qu'il y a entre pouvoir et discours est une notion assez récente au regard de l'histoire de l'humanité. Il fut des temps (la majorité du temps en fait, je pense) où le pouvoir échoyait au plus riche, au plus fort ou au "fils de" sans qu'il y ait la moindre nécessité de le justifier oralement. Il s'agissait de la mise en oeuvre de deux formes principales de domination que Max Weber a esquissées, à savoir la domination charismatique et traditionnelle.
Or, je pense que les qualités d'orateur s'expriment essentiellement dans la troisième qui est de type légale-rationnelle et qui date de peu de siècles (18ème-19ème siècle).

Or, les pays Africains n'ont pas cette tradition démocratique qui est indissociable de cette forme de domination. De ce fait, ce n'est pas dans le discours qu'ils perçoivent (ou percevaient puisque les époques changent) la légitimité d'une personne mais dans sa force, sa richesse, son érudition ou son ascendance. Je pense que c'était ces éléments là qui conditionnaient le "respect" envers la domination d'untel de la part de la majorité jusqu'à ce que quelqu'un de plus fort, de plus riche, de plus érudit ou disposant d'une plus noble ascendance prenne le dessus.

Je pense donc que ce schéma que tu exposes est vrai mais relatif à certains territoires et surtout à une époque moderne.
 
Bonjour débatto @DKKRR !

Cela est bien dit, mais je voulais surtout sougliner que jamais le pouvoir d’un tyran ne peut reposer sur la force brute. Même dans une horde de chimpanzés c’est pas tout à fait vrai. Que ce soit par des paroles enjôleuses, ou des traditions, des coutumes, des valeurs, des religions qui ne sont pas discutées, un chef, dictateur, président, etc. a besoin d’une légitimité. Plus exactement, il faut qu’il réussisse à convaincre une bonne partie de son peuple (surtout les puissants) qu’il a le droit d’être où il est, ou à tout le moins que les autres seraient pires que lui.

Actuellement, c’est intéressant de voir comment Nicolás Maduro essaie de justifier son pouvoir qui chancelle, alors que ses opposants lui nient sa légitimité, et que la majorité du peuple en a marre de lui.
 
Retour
Haut