FRANCE. Une trentaine de religieux musulmans recevront le mois prochain les diplômes d'«interculturalité» remis par une université... catholique.
Avec sa cour décorée de mosaïques et son parc à vélos bien entretenu, l'Institut catholique possède l'un des plus joli campus de Paris. Sous les arcades, une statue de sainte Thérèse jette sur les élèves des regards austères. Dans une vitrine, des livres sur la Trinité ou signés Benoît XVI rappellent que cet établissement privé est placé sous la protection de la «mère de Dieu». Mais c'est aussi là que depuis un an, la France initie ses religieux musulmans au respect des «valeurs républicaines».
Le mois prochain, une trentaine d'imams - les ministres du culte dans l'islam - recevront de l'Institut catholique les premiers diplômes de «religion, laïcité, interculturalité». Une seconde volée, un peu plus nombreuse, a commencé les cours le 5 décembre.
«Vouloir-vivre ensemble»
Officiellement, il s'agit de cultiver «une conception consensuelle du vouloir-vivre ensemble fondée sur des valeurs communes». En clair, apprendre aux religieux musulmans à travailler sans heurts dans une société occidentale sécularisée. «80% de nos imams viennent de l'étranger, souligne Bernard Godard, enseignant dans le cadre du diplôme et auteur d'un livre sur l'islam de France*. Il faut qu'ils sachent dans quel monde ils évoluent.»
L'idée est née en 2002-2003, lorsque Nicolas Sarkozy a commencé à réorganiser l'islam français. Il a ensuite fallu cinq ans pour mettre au point l'organisation. Le diplôme dépend de deux Ministères - celui de l'intérieur, chargé des cultes, mais aussi celui de l'immigration et de l'identité nationale - et de deux institutions religieuses, «la catho», comme on appelle l'Institut catholique de Paris, et la Grande mosquée de la capitale, réputée proche du gouvernement algérien. Une université publique, la Sorbonne, a refusé d'accueillir ces cours, au motif qu'ils ne sont pas ouverts à tous les étudiants.
Le diplôme propose une initiation au droit, au système politique, aux autres religions - du catholicisme au bouddhisme - et à la gestion financière d'une mosquée. Il vise à permettre aux imams de devenir «des interlocuteurs crédibles [...] des pouvoirs publics» et à «administrer un culte dans le cadre de la légalité républicaine».
Les sujets les plus sensibles ne sont pas oubliés, comme le discours à tenir sur les juifs ou le génocide nazi. «Certains ne comprennent pas très bien qu'ils sont dans une société où il y a des choses qu'on ne peut pas dire, commente un intervenant. D'autres croient: «On ne peut pas être antisémites, puisqu'on est sémites nous-mêmes!» Il faut leur expliquer que l'Europe a une responsabilité dans la Shoah, qu'il y a une sensibilité extrême et que certains propos tombent sous le coup de la loi.»
La plupart des imams viennent de pays d'Afrique du Nord dont les législations s'inspirent du droit français. Ils savent déjà que la polygamie est interdite. Et il est superflu de leur apprendre «à ne plus battre leur femme», comme l'aurait suggéré un responsable catholique durant la période de gestation du diplôme.
Mais des mises au point sont parfois nécessaires. Ainsi sur le mariage: certains imams ignorent qu'il est illégal de célébrer une union religieuse avant le mariage civil. Un jeune salafiste de Meaux, en région parisienne, a été mis en examen pour ce délit en octobre dernier.
«La règle s'applique à tous»
De son passage à «la catho», Mohammed Azizi, un Marocain qui entend devenir aumônier dans les prisons et les hôpitaux, conserve une morale simple: «La loi française, c'est la règle, et la règle s'applique à tous.» Il espère que le message passera «à la génération suivante, qui a grand besoin d'être protégée contre l'intégrisme».
Surtout, il souhaite que le nombre d'étudiants augmente vite: «Nous manquons d'un grand nombre d'imams compétents et qui maîtrisent la langue française.» A raison de 35 diplômés par an, il faudra plus d'un demi-siècle pour former aux principes républicains les quelque 2000 imams qui officient en France.
*«Les musulmans de France»,Bernard Godard et Sylvie Taussig, Paris, Robert Laffont, 2007.
http://www.letemps.ch/template/international.asp?page=4&contenuPage=&article=246249&quickbar=
Avec sa cour décorée de mosaïques et son parc à vélos bien entretenu, l'Institut catholique possède l'un des plus joli campus de Paris. Sous les arcades, une statue de sainte Thérèse jette sur les élèves des regards austères. Dans une vitrine, des livres sur la Trinité ou signés Benoît XVI rappellent que cet établissement privé est placé sous la protection de la «mère de Dieu». Mais c'est aussi là que depuis un an, la France initie ses religieux musulmans au respect des «valeurs républicaines».
Le mois prochain, une trentaine d'imams - les ministres du culte dans l'islam - recevront de l'Institut catholique les premiers diplômes de «religion, laïcité, interculturalité». Une seconde volée, un peu plus nombreuse, a commencé les cours le 5 décembre.
«Vouloir-vivre ensemble»
Officiellement, il s'agit de cultiver «une conception consensuelle du vouloir-vivre ensemble fondée sur des valeurs communes». En clair, apprendre aux religieux musulmans à travailler sans heurts dans une société occidentale sécularisée. «80% de nos imams viennent de l'étranger, souligne Bernard Godard, enseignant dans le cadre du diplôme et auteur d'un livre sur l'islam de France*. Il faut qu'ils sachent dans quel monde ils évoluent.»
L'idée est née en 2002-2003, lorsque Nicolas Sarkozy a commencé à réorganiser l'islam français. Il a ensuite fallu cinq ans pour mettre au point l'organisation. Le diplôme dépend de deux Ministères - celui de l'intérieur, chargé des cultes, mais aussi celui de l'immigration et de l'identité nationale - et de deux institutions religieuses, «la catho», comme on appelle l'Institut catholique de Paris, et la Grande mosquée de la capitale, réputée proche du gouvernement algérien. Une université publique, la Sorbonne, a refusé d'accueillir ces cours, au motif qu'ils ne sont pas ouverts à tous les étudiants.
Le diplôme propose une initiation au droit, au système politique, aux autres religions - du catholicisme au bouddhisme - et à la gestion financière d'une mosquée. Il vise à permettre aux imams de devenir «des interlocuteurs crédibles [...] des pouvoirs publics» et à «administrer un culte dans le cadre de la légalité républicaine».
Les sujets les plus sensibles ne sont pas oubliés, comme le discours à tenir sur les juifs ou le génocide nazi. «Certains ne comprennent pas très bien qu'ils sont dans une société où il y a des choses qu'on ne peut pas dire, commente un intervenant. D'autres croient: «On ne peut pas être antisémites, puisqu'on est sémites nous-mêmes!» Il faut leur expliquer que l'Europe a une responsabilité dans la Shoah, qu'il y a une sensibilité extrême et que certains propos tombent sous le coup de la loi.»
La plupart des imams viennent de pays d'Afrique du Nord dont les législations s'inspirent du droit français. Ils savent déjà que la polygamie est interdite. Et il est superflu de leur apprendre «à ne plus battre leur femme», comme l'aurait suggéré un responsable catholique durant la période de gestation du diplôme.
Mais des mises au point sont parfois nécessaires. Ainsi sur le mariage: certains imams ignorent qu'il est illégal de célébrer une union religieuse avant le mariage civil. Un jeune salafiste de Meaux, en région parisienne, a été mis en examen pour ce délit en octobre dernier.
«La règle s'applique à tous»
De son passage à «la catho», Mohammed Azizi, un Marocain qui entend devenir aumônier dans les prisons et les hôpitaux, conserve une morale simple: «La loi française, c'est la règle, et la règle s'applique à tous.» Il espère que le message passera «à la génération suivante, qui a grand besoin d'être protégée contre l'intégrisme».
Surtout, il souhaite que le nombre d'étudiants augmente vite: «Nous manquons d'un grand nombre d'imams compétents et qui maîtrisent la langue française.» A raison de 35 diplômés par an, il faudra plus d'un demi-siècle pour former aux principes républicains les quelque 2000 imams qui officient en France.
*«Les musulmans de France»,Bernard Godard et Sylvie Taussig, Paris, Robert Laffont, 2007.
http://www.letemps.ch/template/international.asp?page=4&contenuPage=&article=246249&quickbar=