La galère des maghrébins au Canada
27 août 2008
Pour de nombreux Tunisiens, Algériens et Marocains, le Canada, et spécialement le Québec, est l’Eldorado. Sur le terrain, dans ce pays froid à des années lumière de notre climat nord-africain, la réalité est toute autre. Qu’ils soient Maghrébins, ou même Français, leur quotidien est des plus décourageants avec un taux de chômage supérieur quatre fois ou plus à la moyenne de la province. S’il est vrai que le pays est un des plus charmants au monde, qu’il offre les meilleures opportunités de réussite et un extraordinaire cadre de vie (si l’on n’est pas frileux), il est impératif de savoir qu’il n’est pas donné à tout candidat à l’émigration d’y réussir et de savoir tirer son épingle du jeu. Pour se trouver une place au Canada, il faudrait concurrencer les autochtones, les Asiatiques, les Sud-Américains et faire valoir un grand savoir-faire. Ce n’est nullement évident pour plusieurs de nos ressortissants…
On va l’appeler Mohamed. Il a 35 ans quand il a décidé de quitter sa Tunisie natale pour aller s’installer à Montréal. Il a préparé ses papiers et il est parti en règle voilà cinq ans.
En Tunisie, il a été professeur de français dans un lycée au sud du pays, avant de se reconvertir dans le journalisme. Sa carrière s’annonça alors brillante et il arrivait à contenter ses supérieurs. Ses ambitions se situaient pourtant bien au-delà de ce qu’il percevait dans son pays. Il décida un jour d’aller voir si l’herbe était plus verte ailleurs. La France, avec le racisme ambiant qu’il soupçonnait, ne le tenta guère. Il choisit le Canada, un pays dont les échos ne sont que positifs de ce côté de l’Atlantique. Il mena l’enquête et prépara un énorme dossier d’émigration. Son profil de bac+4, son expérience professionnelle et son compte en banque, plutôt garni, jouaient en sa faveur. Il réussit à obtenir facilement le visa.
Une fois atterri dans le pays de ses rêves, il découvre cet Eldorado dont on lui avait tant parlé. Froid et glacial, doublé d’un tempérament à l’américaine : chacun pour soi ! Premier choc.
Avec son press-book, il frappa à la porte des journaux locaux. Son français, considéré comme parfait en Tunisie et même en France, déplait. Le style du français québécois est différent du nôtre. "Trop parisien", lui répète-t-on souvent. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, il "survit" comme il peut, entre des petits boulots et des piges dans des journaux communautaires, le temps de déposer un dossier pour redevenir enseignant. Après une multitude de tracasseries bureaucratiques, équivalences de diplômes notamment, on lui signifie que sa maîtrise tunisienne ne lui permet pas d’enseigner le français au Québec. Motif : vous n’avez pas étudié la matière pédagogie chez vous. Retour à la case départ, notre Mohamed doit se réinscrire pour réétudier le français et la pédagogie avec. Avec son job "étudiant" à 36 ans, il continue à "survivre" tant bien que mal. Il entame les démarches en parallèle pour la naturalisation, appelée citoyenneté en québécois.
Il finit par décrocher son fameux diplôme quatre ans plus tard. Il peut enfin rejoindre une petite école. Il a le statut de stagiaire. Il lui faut remonter tous les échelons et tous les grades à partir de quarante ans. Cela ne signifie aucunement la fin de la galère, car ses collègues le critiquent souvent pour son accent venu d’ailleurs. « Du racisme ? Oui, j’en connais et souvent, mais c’est toujours caché et non dit. Tu le sens dans le regard, dans le comportement… », dit-il avec beaucoup d’amertume.
Si Mohamed réussit, grâce à une volonté de fer, à s’établir et à trouver une place, nombreux sont ceux qui n’ont pas eu sa détermination. Entre ceux qui n’ont pas de papiers, ceux obligés de travailler dans un bistrot au deuxième sous-sol avec un diplôme d’ingénieur de bac +6 et les SDF, il y a l’embarras du choix. Certes, telle situation n’est pas exclusive aux Maghrébins, mais le pourcentage est élevé.
Une étude réalisée par Statistique Canada, et publiée il y a quelques mois, précise que le taux de chômage chez la population maghrébine avoisine 27,9%. Pour l’ensemble de la province du Québec, le taux de chômage n’est que de … 6,3% et de 5,8 au Canada ! Si les 27,9% touchent les Maghrébins installés entre 2001 et 2006, la "génération précédente" n’est pas nettement mieux lotie, puisque ceux arrivés entre 1996 et 2001 ont un taux de chômage de 18%. Presque le triple de la moyenne !
Selon un journaliste algérien installé à Québec, cette situation est due en partie au 11 septembre, mais aussi aux structures d’accueil des nouveaux arrivants qui seraient aux antipodes des critères de sélection.
L’argument du français européen est également cité par le journaliste qui ne manque pas de citer également la question religieuse. « Mal expliqué, mal compris, l’islam fait peur », précise-t-il.
Face à cet état de fait, des mouvements de droite s’élèvent pour essayer de stopper l’immigration maghrébine et n’hésitent jamais à dénoncer les "sans-papiers" aux services compétents. Arrestation, détention et retour forcé au pays sont au menu. Ceux qui échappent aux mailles du filet ou encore ceux qui ont les papiers en règle sont condamnés aux allocations sociales et la délinquance : larcins, vols, trafic de drogue...
De tels actes, quand ils se passent en France, sont surmédiatisés aussi bien à Tunis, Alger que Casablanca. A cause de la distance, du silence et de l’absence de médias canadiens chez nous, les souffrances des Maghrébins du Canada demeurent encore mal connues (pour ne pas dire méconnues) par nos candidats à l’émigration. Éblouis par les annonces des bureaux d’émigration, des journaux et des "success stories" de ceux qui ont réussi, ces candidats continuent à ne voir que ce qui leur plait. « Si Untel a réussi, pourquoi pas moi », se disent-il. Il faut qu’il sache qu’Untel est loin de représenter une majorité et qu’Untel a beaucoup souffert avant de rentrer au pays avec la voiture dernier cri !
C’est cette souffrance que nos candidats au départ ne voient jamais. Pour eux, et quoiqu’on en dise, l’herbe est toujours plus verte ailleurs.