« Que ma mort apporte l’espoir », poésie de Gaza

Drianke

اللهم إفتح لنا أبواب الخير وأرزقنا من حيت لا نحتسب
Contributeur
Le recueil, publié aux éditions Libertalia dans la collection Orient XXI, présente une cinquantaine de poèmes dont les auteurs et autrices viennent toutes et tous de Gaza. Écrits pour la grande majorité en arabe, ils ont été traduits par l’ancienne diplomate et interprète Nada Yafi, qui signe également la préface de l’ouvrage. L’écrivain palestinien Karim Kattan a également offert une postface au livre.

Octobre 1996. Il y a de cela près de trente ans. Le président Chirac, en visite dans les territoires palestiniens dans le cadre de sa tournée moyen-orientale, s’était arrêté dans la ville de Gaza. L’interprète officielle du président pour la langue arabe que j’étais alors se souvient encore de ce moment où il suivait attentivement les gestes du président de l’Autorité palestinienne, Yasser Arafat, balayant une grande carte dépliée devant eux. Celle d’un projet de port qui devait ouvrir de nouveau Gaza sur le monde, renouant avec son passé prestigieux de carrefour commercial des temps anciens<a href="https://orientxxi.info/lu-vu-entendu/que-ma-mort-apporte-l-espoir-poesie-de-gaza,7698#nb1" rel="appendix" title="Voir le catalogue de l’exposition à l’Institut du monde arabe, Gaza&nbsp;(…)">1</a>. Projet qui ne devait jamais voir le jour. Faute d’accord israélien. Nous étions pourtant dans la foulée des accords d’Oslo, qui avaient ouvert des perspectives de relative autonomie palestinienne, avec l’espoir d’un État palestinien à l’horizon. Du moins, c’est ce que les rêveurs avaient voulu croire. L’encerclement était déjà là, de facto, toutes les frontières étant sous contrôle israélien. Je ne me rappelle plus les détails de la carte… mais l’espoir qui rayonnait sur tous les visages autour de nous, cela, je ne puis l’oublier. C’est cet espoir insensé, indestructible, que j’ai retrouvé tout récemment à la lecture de quelques poèmes de Gaza, sur fond d’actualité tragique. Le dernier poème de Refaat Alareer, jeune poète tué dès le début des bombardements israéliens, à l’automne 2023, m’avait frappée par sa chute : « Que ma mort apporte l’espoir ».......................
 

À travers les yeux de trois enfants​

Fidaa Ziyad est poétesse de Gaza. Ce poème a été écrit sous le bombardement le 24 octobre 2023, publié le 25 novembre, revu le 5 décembre. Diffusé sur Facebook dans la série de vidéoclips intitulée « This is Gaza, litterary texts », lu par Fidaa Allawzi.

Je vis ce génocide à travers l’imaginaire de trois enfants
Le premier se cachait sous les draps
En disant je voudrais être un fantôme
Pour que les avions ne me voient pas
Le deuxième disait, du fracas des navires de guerre
C’est la voix de la pieuvre dans la mer
Et le troisième, une petite fille : Je voudrais être une tortue
Pour cacher tout le monde
Sous ma carapace

Ô toi la main de l’imaginaire
Berce le sommeil de ces petits
Préserve pour eux tous ces rêves
Ô toi la main de l’imaginaire
Ne va pas plus loin que l’horreur du réel.
 

« Aujourd’hui c’est hier »​

Ce poème a été écrit le 12 octobre 2024, sous les bombardements, par Bissane Abdel Rahim. Diffusé sur Facebook dans la série de vidéoclips intitulée « This is Gaza, literary texts » et déclamé en arabe par Fadwa Abed.

Aujourd’hui c’est hier

Hier est le prolongement d’une ancienne douleur
Je ne veux pas être écrivaine
Je n’ai pas de rêves pour demain
Seule ma foi me soutient
Nous sommes le 12 octobre 2023
Il est une heure de l’après-midi
Comment le jour est-il devenu si terrifiant
Ô Dieu nous redoutions la nuit noire
Mais voilà qu’aujourd’hui il n’y a plus de jour, il n’y a plus de nuit
Ô Dieu même le temps ils nous l’ont pris.
 

« Tends-leur l’autre joue »​

Yahya Achour est né en 1998 à Gaza où il a vécu jusqu’en septembre 2023, et qu’il n’a pu regagner après un voyage aux États-Unis. Écrivain, boursier de l’université américaine d’Iowa en 2022, auteur du livre pour enfants C’est pour cette raison que Ryan a cette démarche (2021) qui a obtenu un prix panarabe, et du livre de poésie jeune public Tu es une fenêtre, ils sont des nuages (2018). Publie de nombreux textes sur internet. Ce poème a été publié le 7 novembre 2023. Sa dernière publication en anglais, au printemps 2024, s’intitule « A Gaza of siege and genocide » (Une Gaza de blocus et de génocide).

Ce monde blanc
Qui ne croit plus au Christ
T’adjure, Gaza, avec ses mots à lui
De tendre l’autre joue
Ils ne sont guère affligés par l’histoire ni la géographie
Tends-leur donc l’autre joue, Gaza
Donne-leur la mer
Cette fois-ci, à ta manière
Le monde te prie maintenant
Au moment où tu subis
Ce qu’aucune ville au monde n’a subi
De baiser la main de ceux qui ont tué tes petits
Mais rien ne pourra, Gaza, rassembler les restes humains
Pour faire des corps entiers
Aucune paix ne compensera une seule de tes funérailles
De ces funérailles qui n’ont pu trouver leurs dépouilles
Les martyrs n’ont-ils pas réussi leur ascension au ciel ?
Ou bien ce luxe n’était-il pas donné à tous ?
Les lambeaux peuvent-ils voler si haut ?
Peut-être les martyrs n’ont concédé leur mort
Qu’après avoir compris que c’était le seul moyen
De rester, pour l’éternité, dans l’étreinte de leur terre ?
Pas un législateur, pas un dirigeant, d’Orient ni d’Occident
Qui ait pu essuyer ton front, Gaza, de toute cette mort
Pas un législateur, pas un dirigeant
Pour au moins te présenter ses condoléances
Sans doute les avions empêchent-ils leur ingérence
Tout va bien, Gaza,
Il paraît que la mort est une grâce que nous envient les immortels
L’Égypte t’a finalement envoyé des chevaux de Troie
Non pas un mais plusieurs
Réjouis-toi
Ces chevaux — à Dieu ne plaise —
Ne sont pas remplis de renforts
Mais seulement de nourriture
Afin que tu puisses mourir, Gaza
Sans avoir faim
Ces chevaux sont remplis de linceuls indignes du voisinage des pharaons
Ils ne contiennent pas un seul exemplaire du Livre des morts
Ni une goutte de carburant pour nous éclairer
Nous permettre de distinguer
Notre survie de notre mort
Alléluia, Gaza
Nous ne sommes plus assassinés au moment où le monde dort
Le monde est tout à fait éveillé : il chante, il danse
Certains lisent nos nouvelles, celles qu’ils peuvent supporter
Certains autres, moins nombreux, manifestent, quand ils en ont le temps
Et notre monde arabe, sur des charbons ardents
Attend que les Mille et Une nuits se terminent
Que tu puisses t’en sortir seule, Gaza
En « contant » les milliers de victimes…
 
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