«Toi le singe noir, travaille plus vite»
Un ouvrier kényan évoque son expérience traumatisante sur les chantiers des stades de la Coupe du monde, entre humiliations, souffrance et coups tordus.
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Un ouvrier kényan évoque son expérience traumatisante sur les chantiers des stades de la Coupe du monde, entre humiliations, souffrance et coups tordus.+
L’ONG britannique Equidem a publié jeudi un rapport sur la «discrimination et l’exploitation» sur les chantiers des stades de la Coupe du monde, s’appuyant sur les témoignages d’une soixantaine d’ouvriers. Ce rapport de 95 pages, intitulé «Si nous nous plaignons, nous sommes virés», «est truffé d’inexactitudes et de fausses déclarations», a assuré dans un communiqué le Comité suprême d’organisation du tournoi. Un nouveau témoignage vient pourtant appuyer les propos recueillis par l’ONG.
Ouvrier venu du Kenya, Dennis s’est confié à RFI. Cet homme de 38 ans est parti travailler au Qatar, dans l’espoir de toucher un meilleur salaire que dans son pays. Alors qu’on lui avait promis un poste d’agent de sécurité dans un hôtel, le trentenaire s’est retrouvé «dans une entreprise de construction à porter des briques, comme un aide-maçon». «Je n’avais pas le choix, il fallait travailler», explique-t-il.
Pas de réclamation possible
Le Kényan s’était endetté pour payer son agence de recrutement 1300 dollars pour obtenir un contrat qui n’a, en fin de compte, pas du tout été respecté. Le poste qui lui a été attribué n’avait rien à voir avec ce qui lui avait été proposé, le salaire était de 30% de moins qu’annoncé, sans parler de la pénibilité de la tâche à accomplir. «Nous étions censés travailler 8 heures par jour, mais en fait, c’était plutôt 13 ou 14 heures avec dix minutes de pause, le temps d’avaler à manger et à boire», témoigne Dennis.Le trentenaire est rentré au pays perclus de douleurs à force de rester tout le temps debout et de porter de lourdes charges. Selon lui, son superviseur disait aux ouvriers: «Vous devez travailler dur parce que le stade doit être terminé en 2022 pour la Coupe du monde.» Ceux qui avaient le malheur de demander une indemnisation pour les heures supplémentaires se voyaient menacés de licenciement, raconte le Kényan.
«Culture de la peur au travail»
Dennis a quitté le Qatar mais reste très marqué physiquement et moralement par son expérience. «Parfois, ils nous appelaient les singes. C’était blessant vraiment. Ils nous disaient: «Toi le singe noir, travaille plus vite. Fais ceci, fais cela». C’était terrible. C’était un drame pour nous», souffle le trentenaire.Le rapport de l’ONG Equidem dit s’appuyer sur les récits de 60 ouvriers étrangers employés entre 2014 et 2022 dans les huit stades qui accueilleront le tournoi. Il énumère une série de griefs allant de la «culture de la peur au travail à l’exposition à la chaleur extrême, au froid et la poussière», en passant par l’impossibilité de prendre un congé maladie et le non-versement des salaires.
L’ONG cite par ailleurs deux témoignages indirects évoquant les chutes mortelles d’un Bangladais «en mars 2019» et d’un Chinois «sûrement en 2021» dans le stade Lusail, qui accueillera la finale. Il évoque également le récit anonyme d’un travailleur kényan qui dit avoir assisté dans la même enceinte «à de nombreux décès et blessures sérieuses de nos collègues» pendant que «le travail continuait normalement».