Raid meurtrier en Cisjordanie: «Israël joue le pompier pyromane»
Pour Hugh Lovatt, chercheur à l’ECFR, le manque de légitimité de Mahmoud Abbas face aux raids israéliens renforce les groupes armés en Cisjordanie.
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Pour Hugh Lovatt, chercheur à l’ECFR, le manque de légitimité de Mahmoud Abbas face aux raids israéliens renforce les groupes armés en Cisjordanie.
En deux décennies, jamais un raid israélien n’avait été aussi meurtrier. Ce jeudi, neuf personnes ont été tuées à Jénine, dans le nord de la Cisjordanie. Les Palestiniens accusent le coup de ce nouveau drame qui vient s’ajouter au lourd bilan de l’année écoulée. 190 Palestiniens sont morts et 21 Israéliens ont perdu la vie, selon les données des Nations unies. 2022 a donc été l’année la plus meurtrière dans les Territoires palestiniens occupés depuis la seconde Intifada. Selon Francesca Albanese, rapporteuse spéciale sur la situation des droits humains dans les Territoires palestiniens occupés, « les forces israéliennes tuent un Palestinien toutes les 21 heures ». Hugh Lovatt, chercheur au European council of foreign relations (Conseil européen des relations extérieures), ne doute pas qu’une nouvelle révolte massive est à craindre.
Comment explique-t-on le lourd bilan de 2022 dans les Territoires palestiniens occupés ?
Il y a évidemment plusieurs facteurs. La politique palestinienne et le Fatah (du président palestinien Mahmoud Abbas, NDLR.) se fragmentent et ce dernier se remilitarise. Le leadership de Mahmoud Abbas, qui prône la poursuite de pourparlers et une solution négociée, s’étiole. Des membres du Fatah ne le voient plus comme un leader légitime, avec de l’autorité, et ne sont pas alignés sur sa stratégie de négociation. On voit donc réapparaître les groupements armés, comme les Brigades Al-Aqsa. Ce qui se passe en Cisjordanie est d’abord l’histoire du Fatah et de ses propres problèmes. Le Djihad islamique est le deuxième acteur clé. Il se focalise moins sur Gaza et davantage sur la Cisjordanie. Pareil pour le Hamas qui voit davantage d’ouverture en Cisjordanie et, depuis l’annulation des élections palestiniennes en 2020, cherche à déstabiliser l’Autorité palestinienne tout en gardant le calme dans son fief à Gaza. Tout cela se joue sur les frustrations de l’occupation et les problèmes socio-économiques qu’elle génère. Mais cette réapparition des groupes armés ne se serait pas passée sans les raids sécuritaires israéliens à Naplouse puis à Jénine. L’an passé, il y a eu des attaques de Palestiniens contre des civils en Israël, mais ces Palestiniens agissaient d’eux-mêmes. La réponse israélienne à ces attaques a été une augmentation des raids dans le nord de la Cisjordanie, ce qui a poussé une partie de la société palestinienne vers le réarmement sous l’étendard des groupes armés.
Faut-il s’attendre à une nouvelle intifada ?
Je le pense, oui. Beaucoup de facteurs sont alignés en ce sens : les groupes armés, l’Autorité palestinienne qui a perdu le contrôle de Jénine… On voit de plus en plus de forces de sécurité de l’Autorité palestinienne participer à des attaques armées. Et cela va empirer avec le départ prochain de Mahmoud Abbas et les problèmes de succession que cela va générer. La deuxième Intifada avait été déclenchée par la visite d’Ariel Sharon sur l’Esplanade des mosquées. On s’attend donc toujours à une grande explosion. Mais peut-être que cette crise va lentement empirer, de jour en jour.
Quels leviers a l’Autorité palestinienne à l’encontre des forces israéliennes ?
Les forces israéliennes devraient laisser l’opportunité à l’Autorité palestinienne de régler le problème. Et pendant un temps, elles acceptaient cela. Mais elles constatent désormais que l’Autorité palestinienne n’y parvient pas. Et donc elles interviennent. Israël est un pompier pyromane. L’Autorité palestinienne a donc encore moins la possibilité d’intervenir car elle est de plus en plus vue par les Palestiniens comme un pouvoir collaborateur avec l’occupant. Le problème de l’Autorité palestinienne n’est pas un manque d’armement. C’est un manque de légitimité. Les Etats-Unis voudraient renforcer les capacités sécuritaires de l’Autorité palestinienne. Mais son problème n’est pas un manque d’armement. C’est un manque de légitimité. Au final, il n’y a pas de solution instantanée, car les problèmes s’accumulent depuis des années.