Deir Yassin, récit accusateur et rocambolesque de J. de Reynier (Croix-Rouge)
19/04/2002
Deïr Yassin
Les massacres de Deir Yassin
Le samedi 10 avril 1948, dans laprès-midi, je reçois un coup de téléphone des Arabes me suppliant immédiatement daller à Deir Yassin, où la population civile de tout un village vient dêtre massacrée. Japprends que ce sont les extrémistes de lIrgoun qui tiennent ce secteur, situé tout près de Jérusalem.
LAgence juive et le Grand Quartier général de la Haganah me disent ne rien savoir de cette affaire et quen outre il est impossible à quiconque de pénétrer dans une zone Irgoun. Ils me déconseillent de me mêler de cette affaire, ma mission risquant dêtre définitivement interrompue si jy vais. Non seulement ils ne peuvent pas maider, mais ils déclinent toute responsabilité sur ce qui ne manquera pas de marriver. Je leur réponds que mon intention est dy aller. Cependant, en fait, je ne sais pas du tout comment faire. Sans appui juif, il mest impossible darriver à ce village. Et, soudain, à force de réfléchir, je me rappelle quune infirmière juive dun hôpital dici mavait fait prendre son numéro de téléphone, me disant, avec un air bizarre, que si jamais jétais dans une situation inextricable, je pouvais faire appel à elle. A tout hasard, je lappelle et lui expose la situation. Elle me dit de me trouver le lendemain à 7 heures à un endroit désigné et dembarquer dans ma voiture la personne qui y sera.
Le lendemain, à lheure et au lieu dits, un individu en-civil mais avec les poches gonflées de pistolets saute dans ma voiture. Nous sortons de Jérusalem, quittons la grande route et le dernier. poste de larmée régulière, et nous nous engageons dans un chemin de traverse. Très rapidement, nous sommes arrêtés par deux espèces de soldats, à lair tout ce quil y a de moins rassurant, mitraillettes en avant et large coutelas à la ceinture. Je reconnais la tenue de ceux que je cherchais.
Parvenus à une crête à 500 mètres du village, il nous faut attendre longuement lautorisation davancer. Le tir arabe se déclenche chaque fois que quelquun tente de passer sur la route et le commandant du détachement de lIrgoun ne semble pas disposé à me recevoir. Enfin, il arrive, jeune, distingué, parfaitement correct, mais ses yeux sont dun éclat particulier, cruel et froid.
Il me raconte lhistoire de ce village, peuplé exclusivement dArabes, au nombre denviron 400, désarmés depuis toujours et vivant en bonne intelligence avec les Juifs qui les entourent. Selon lui, lIrgoun est arrivé il y a vingt-quatre heures et a donné lordre, par haut-parleur, à toute la population dévacuer toutes les maisons et de se rendre. Délai dexécution - un quart dheure. Quelques-uns de ces malheureux se sont avancés et auraient été faits prisonniers, puis relâchés peu après vers les lignes arabes.
Le reste, nayant pas exécuté lordre, a subi le sort quil méritait. Mais il ne faut rien exagérer. Il ny a que quelques morts qui seront enterrés dès que le « nettoyage » du village sera terminé. Si je trouve des corps, je puis les emporter, mais il ny a certainement aucun blessé. Ce récit me fait froid dans le dos.
Jarrive avec mon convoi au village. Le feu arabe cesse. La troupe est en tenue de campagne, avec casques. Tous des jeunes gens et des adolescents, hommes et femmes, armés jusquaux dents : pistolets, mitraillettes, grenades, mais aussi de grands coutelas quils tiennent à la main, la plupart encore ensanglantés. Une jeune fille, belle, mais aux yeux de criminelle, me montre le sien, encore dégoulinant, quelle promène comme. un trophée. Cest léquipe de nettoyage, qui accomplit certainement très consciencieusement son travail.
Je tente dentrer dans une maison. Une dizaine de soldats mentourent, les mitraillettes se braquent sur moi, et lofficier minterdit de bouger de place. Jentre alors dans une des belles colères de mon existence, puis je bouscule ceux qui mentourent et entre dans la maison.
La première chambre est sombre, mais il ny a personne, Dans la seconde, je trouve parmi les meubles éventrés, les couvertures, les débris de toutes sortes, quelques cadavres, froids. On a fait ici le nettoyage à la mitraillette, puis à la grenade. On la terminé au couteau, nimporte qui sen rendrait compte. Même chose dans la chambre suivante mais, au moment de sortir, jentends comme un soupir. Je cherche partout, déplace chaque cadavre et finis par trouver un petit pied encore chaud, cest une fillette de dix ans, bien abîmée par une grenade mais encore vivante. Comme je veux lemporter, lofficier me linterdit et se met en travers de la porte. Je le bouscule et passe avec mon précieux fardeau.
19/04/2002
Deïr Yassin
Les massacres de Deir Yassin
Le samedi 10 avril 1948, dans laprès-midi, je reçois un coup de téléphone des Arabes me suppliant immédiatement daller à Deir Yassin, où la population civile de tout un village vient dêtre massacrée. Japprends que ce sont les extrémistes de lIrgoun qui tiennent ce secteur, situé tout près de Jérusalem.
LAgence juive et le Grand Quartier général de la Haganah me disent ne rien savoir de cette affaire et quen outre il est impossible à quiconque de pénétrer dans une zone Irgoun. Ils me déconseillent de me mêler de cette affaire, ma mission risquant dêtre définitivement interrompue si jy vais. Non seulement ils ne peuvent pas maider, mais ils déclinent toute responsabilité sur ce qui ne manquera pas de marriver. Je leur réponds que mon intention est dy aller. Cependant, en fait, je ne sais pas du tout comment faire. Sans appui juif, il mest impossible darriver à ce village. Et, soudain, à force de réfléchir, je me rappelle quune infirmière juive dun hôpital dici mavait fait prendre son numéro de téléphone, me disant, avec un air bizarre, que si jamais jétais dans une situation inextricable, je pouvais faire appel à elle. A tout hasard, je lappelle et lui expose la situation. Elle me dit de me trouver le lendemain à 7 heures à un endroit désigné et dembarquer dans ma voiture la personne qui y sera.
Le lendemain, à lheure et au lieu dits, un individu en-civil mais avec les poches gonflées de pistolets saute dans ma voiture. Nous sortons de Jérusalem, quittons la grande route et le dernier. poste de larmée régulière, et nous nous engageons dans un chemin de traverse. Très rapidement, nous sommes arrêtés par deux espèces de soldats, à lair tout ce quil y a de moins rassurant, mitraillettes en avant et large coutelas à la ceinture. Je reconnais la tenue de ceux que je cherchais.
Parvenus à une crête à 500 mètres du village, il nous faut attendre longuement lautorisation davancer. Le tir arabe se déclenche chaque fois que quelquun tente de passer sur la route et le commandant du détachement de lIrgoun ne semble pas disposé à me recevoir. Enfin, il arrive, jeune, distingué, parfaitement correct, mais ses yeux sont dun éclat particulier, cruel et froid.
Il me raconte lhistoire de ce village, peuplé exclusivement dArabes, au nombre denviron 400, désarmés depuis toujours et vivant en bonne intelligence avec les Juifs qui les entourent. Selon lui, lIrgoun est arrivé il y a vingt-quatre heures et a donné lordre, par haut-parleur, à toute la population dévacuer toutes les maisons et de se rendre. Délai dexécution - un quart dheure. Quelques-uns de ces malheureux se sont avancés et auraient été faits prisonniers, puis relâchés peu après vers les lignes arabes.
Le reste, nayant pas exécuté lordre, a subi le sort quil méritait. Mais il ne faut rien exagérer. Il ny a que quelques morts qui seront enterrés dès que le « nettoyage » du village sera terminé. Si je trouve des corps, je puis les emporter, mais il ny a certainement aucun blessé. Ce récit me fait froid dans le dos.
Jarrive avec mon convoi au village. Le feu arabe cesse. La troupe est en tenue de campagne, avec casques. Tous des jeunes gens et des adolescents, hommes et femmes, armés jusquaux dents : pistolets, mitraillettes, grenades, mais aussi de grands coutelas quils tiennent à la main, la plupart encore ensanglantés. Une jeune fille, belle, mais aux yeux de criminelle, me montre le sien, encore dégoulinant, quelle promène comme. un trophée. Cest léquipe de nettoyage, qui accomplit certainement très consciencieusement son travail.
Je tente dentrer dans une maison. Une dizaine de soldats mentourent, les mitraillettes se braquent sur moi, et lofficier minterdit de bouger de place. Jentre alors dans une des belles colères de mon existence, puis je bouscule ceux qui mentourent et entre dans la maison.
La première chambre est sombre, mais il ny a personne, Dans la seconde, je trouve parmi les meubles éventrés, les couvertures, les débris de toutes sortes, quelques cadavres, froids. On a fait ici le nettoyage à la mitraillette, puis à la grenade. On la terminé au couteau, nimporte qui sen rendrait compte. Même chose dans la chambre suivante mais, au moment de sortir, jentends comme un soupir. Je cherche partout, déplace chaque cadavre et finis par trouver un petit pied encore chaud, cest une fillette de dix ans, bien abîmée par une grenade mais encore vivante. Comme je veux lemporter, lofficier me linterdit et se met en travers de la porte. Je le bouscule et passe avec mon précieux fardeau.