Reportage. Voyage au bout du froid

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(TNIOUNI)


A Azilal, on les surnomme les Kurdes du Maroc. Les tribus des Aït Abdi, perchées sur les hauteurs du Grand Atlas, sont coupées du reste du pays dès les premières chutes de neige. Nous sommes allés à leur rencontre.


Point de départ : Béni Mellal. C’est sous un temps ensoleillé que nous commençons notre périple. Le mercure est relativement clément : 19°. Mais, dès que nous nous éloignons de la ville, le froid reprend ses droits. Afourer : 17°. Quelques kilomètres plus loin le thermomètre
perd deux degrés de plus. Nous quittons la plaine du Tadla, la montagne nous accueille à bras ouverts et nous commençons à craindre une chute vertigineuse de la température. Il n’en sera rien. Enfin pas pour le moment.

A vos marques, prêts, partez !
Azilal, que nous atteignons en début d’après-midi, affiche, à notre grande surprise, 19°. C’est une ville en chantier que nous traversons et qui se bat avec ses propres moyens pour sortir de l’anonymat. Ce n’est pour nous qu’un point de transit. Les tribus des Aït Abdi que nous souhaitons rencontrer sont isolées par la neige à une centaine de kilomètres de là. Comment les atteindre ? Notre 4x4 sera-t-il adapté à ce terrain hostile ? Nous nous présentons à la préfecture pour solliciter un avis expérimenté. Le gouverneur Ali Biouknach et toute son équipe sont formels : notre destination sera difficile à atteindre en l’absence de routes goudronnées. Nous en profitons pour demander si la neige et les températures glaciales ont fait des victimes cette année. “Non, aucune perte humaine à déplorer. Une caravane médicale vient d’y séjourner, elle n’a rapporté aucun cas tragique”. On apprend qu’une vingtaine de médecins et infirmiers ont passé huit jours sur les hauteurs du Grand Atlas, se déplaçant parfois à dos de mulet, seul moyen de locomotion pour atteindre les douars isolés et leurs habitants en manque de soins. Avant de quitter la préfecture, nous participons à la réception organisée en l’honneur de ces “médecins sans frontières”. Mais la nuit est déjà tombée, nous empêchant de poursuivre notre route. Nous n’avons d’autre choix que de passer la nuit à Azilal.
Le lendemain, le directeur de la Maison des jeunes nous file un tuyau pour trouver un bon guide. Lahcen Agourram, officiellement maître d’école et journaliste à ses heures perdues (il alimente régulièrement le site azilal-online.com), connaît bien la région. Il nous accompagnera à condition qu’on patiente jusqu’à ce qu’il finisse ses cours de la matinée. Le départ sera repoussé à midi. En l’attendant, nous décidons de faire un saut aux manifestations de la Journée de la montagne, organisées par la Chambre d’agriculture de la province. Gouverneurs, élus, notables : tout le gratin local est là. Développement humain et investissements dans les régions montagneuses, tels semblent être leurs préoccupations majeures. “La province d’Azilal a tout d’un paradis qui s’ignore, mais ses habitants ne vivent pas forcément dans un éden”, affirme le président du conseil communal, Khalla Saïdi. Nous décidons d’abandonner les festivités un peu avant midi pour rejoindre notre guide.
 
Attachez vos ceintures
Le thermomètre affiche 24° quand nous lançons le départ. Notre 4x4 s’engage sur une route sinueuse qui traverse le barrage Bin El Ouidane. 40 km plus loin et huit degrés de mercure en moins, nous arrivons à Ouaouizeght. C’est là que nous faisons la connaissance de Lahcen Oudad, maître d’école et fils d’un notable de la région, et de son frère Houssine, un guide de tourisme stagiaire, qui se propose de nous accompagner entre Ouaouizeght et Aït Abdi, un trajet qu’il a l’habitude d’emprunter avec sa Jeep. Quand nous atteignons le pont Afdanous sur l’oued Abid, les premières traces de neige apparaissent. “Les dernières pluies torrentielles ont fait fondre la neige”, nous explique notre guide. 13 km plus tard, nous entrons à Tilouguit. Ce samedi, c’est jour de souk hebdomadaire. Les dos des mulets sont chargés de provisions (sucre, huile, farine, allumettes, bougies, etc.). C’est déjà la fin de la route goudronnée.
Nous abandonnons le volant du 4x4 à Houssine. Premier défi : traverser l’oued Assif Noualat les roues dans l’eau. Exercice risqué que réussit brillamment notre pilote. Le danger est plus grand quand il s’agit d’emprunter le pont Irghis, qui donne l’impression d’être sur le point de s’effondrer. L’hésitation nous gagne. Mais si proches de notre but, nous ne voulons pas faire demi-tour. Nous avançons la peur au ventre. Là encore, Houssine s’en sort avec brio. Les premières neiges abondantes font leur apparition quand l’imposant mont Agouti pointe son col. Plus que 50 km à parcourir avant d’arriver à douar Mascou, première localité abritant des tribus Aït Abdi. Encore un oued à traverser sans pont. Et c’est le village de Tagourt (littéralement la porte) que nous traversons pour déboucher au carrefour d’Agarmen Noudoumaz. Plus que 10 km. Nous empruntons une piste rocailleuse que Houssine décrit comme “la route de la mort”. Pas très rassurant. “Ici, les 14 véhicules de la caravane du gouverneur ont enregistré 7 crevaisons l’année dernière”, nous explique notre guide. Nous sommes déjà à 130 km d’Azilal et le mélange de neige et de boue sur lequel nous roulons rend les manœuvres de plus en plus difficiles. Notre véhicule finit par s’enliser à quelques kilomètres de notre destination finale. Cinq jeunes du village viennent nous prêter main forte. En vain. Il est déjà 19 heures. Nous décidons de rejoindre le douar à pied.
La mort blanche Nous arrivons enfin à la maison de Lhaj Sîid Oudad, frère du résistant Haddou Ou Moha, alias Izm Nâri (Lion de la montagne). L’accueil est chaleureux : toute la famille est réunie autour du poêle à chauffer, alimenté en bois de genévrier. La lampe à gaz éclaire deux portraits de Mohammed VI trônant sur le mur aux côtés de l’emballage cartonné d’un jus de fruit. Une denrée rare ici, qui se transforme en élément de décoration. L’un des murs de la pièce est barbouillé de chiffres. “Nos enfants n’ont nulle part où étudier. Alors, ceux qui ont eu la chance de s’instruire en dehors du douar transmettent leur savoir aux plus jeunes. Le mur leur sert de tableau”, nous explique-t-on. La misère est visible partout à Mascou. Les visages de ses habitants, endurcis par le froid et amaigris par la faim, en disent long sur le dénuement de leur vie. Cela ne va pas empêcher Lhaj Sîid d’égorger un bouc en notre honneur. En attendant que le repas soit servi, Lhaj nous raconte ses faits d’armes contre l’occupant. Poliment, nous tentons de réorienter la conversation sur notre préoccupation principale : les conditions de vie dans le froid. “Qu’est-ce qui risque de nous arriver ? Rien. On va trembler un peu, comme chaque année quoi !”, nous répond Lhaj, avec un ton détaché. Son fils est néanmoins plus direct : “Nos parents ont lutté contre l’occupant, nous on lutte contre le froid”. Chaque année, des proches ou des voisins succombent au froid, victimes de la “mort blanche”, comme on appelle la neige dans cette région. Certains sont morts chez eux, d’autres sur la route, ou dans la montagne. Combien sont-ils ? Difficile d’obtenir un bilan précis. On nous précise, par ailleurs, que le bois de chauffage menace de manquer cruellement puisque les genévriers de la région tendent à disparaître. Quelle solution alors ? Pour le clan Sîid Oudad, la réponse est simple : “Il faut construire une route qui désenclaverait la tribu. Ce serait la meilleure jellaba, le meilleur moyen pour nous autres de lutter contre le froid”. Interpellés, les responsables de la région nous ont affirmé que le projet est en cours. La phase d’étude serait achevée et 100 millions de DH, ponctionnés sur le budget de l’INDH (Initiative nationale pour le développement humain) pour son exécution.
 
La construction de cette route constitue pour les habitants du douar une question de vie ou de mort. Car pour se soigner il leur faut aller à Azilal, voire même Béni Mellal. Et on imagine les difficultés du voyage dans les conditions actuelles et en période de neige. Les conséquences de cet isolement sont parfois dramatiques : “plusieurs femmes sont mortes sur la route en allant accoucher”, nous raconte-t-on. C’est également une question d’accès à l’éducation. Leur dernier contact avec le ministère de l’Education nationale remonte à 2005, date à laquelle une école avait été ouverte. Elle ne tiendra pas plus d’un mois. Depuis, elle sert d’étable pour les chèvres. Selon les responsables locaux, un projet d’étude communale serait en cours, incluant un internat, un magasin à provisions et des logements de fonction pour parer à toute éventualité. A la radio, nos hôtes écoutent les prévisions météorologiques avec attention. Le transistor représente leur seul fenêtre sur le monde. Pas d’électricité, pas de télévision donc, et encore moins d’eau courante. Quant aux toilettes, il ne faut pas rêver : il faut affronter le froid dehors ou se retenir.

Pire qu’Anefgou
Au petit matin, les montagnes environnantes affichent leur nudité. Sur Jabel Aâri, aucune terre cultivable, mis à part quelques parcelles que l’on laboure au printemps après la fonte du verglas. Nous tentons à nouveau de dégager la voiture avec l’aide d’une quinzaine de jeunes de la tribu mais sans succès. Houcine, le fils d’un autre résistant, nous invite à déjeuner. Sur la route de Mascou, nous passons devant Mourazzane, une source naturelle infestée de guêpes. C’est là que la tribu s’approvisionne en eau. Juste au-dessus nous apercevons plusieurs cavernes, dont une où nous décelons du mouvement. Et pour cause, c’est là que Moha Addou et sa famille ont élu domicile. Ce berger, qui conduit des troupeaux dont il n’est pas le propriétaire, ne possède aucun meuble...à peine quelques couvertures pour se protéger de la “mort blanche”. Des morceaux de plastique servent à boucher les trous d’où s’infiltrent l’eau qui descend de la montagne. Moha vit dans un dénuement total. Son seul souhait ? Que Mohammed VI vienne constater leurs conditions de vie. “Ici, c’est pire qu’à Anefgou (localité isolée dans les hauteurs du Moyen Atlas qui a perdu une trentaine d’habitants en janvier 2007 suite à une vague de froid, ndlr)”, répètent en chœur les membres de la tribu des Aït Abdi. Difficile d’en douter. Nous reprenons notre marche. 20 km plus tard, nous arrivons chez Houcine qui, lui aussi, sacrifie un bouc en notre honneur. Sa maison est éclairée à l’énergie solaire et dispose d’une antenne parabolique, la seule de toute la tribu des Aït Abdi. Ce sera bien le seul endroit où nous décelons une lueur de civilisation. La souffrance et la misère sont visibles partout. Comme ce jeune adolescent qui admet vivre avec 250 DH par mois en s’occupant de quelques chèvres. Et depuis l’âge de 8 ans, il ne fait que cela. L’école c’est pour les autres... ailleurs. Le mécanicien, que nous attendions pour réparer notre véhicule, est arrivé de Ouaouizeght. Après examen, il décide de le remorquer jusqu’à Tilouguit, où on le gare devant la maison du caïd. Ce dernier se propose de nous ramener jusqu’à Azilal. Nous quittons les Aït Abdi le cœur lourd, des images plein la tête.
 
Insurrection. Impitoyable Makhzen
Les tribus des Aït Abdi, qui ont résisté à l’occupant jusqu’en 1932, ont affronté le Makhzen à deux reprises. En 1960, les Aït Abdi ont hébergé et protégé le Caïd Bachir Ben Al Touhami après qu’il a mené une révolte pour dénoncer la corruption qui prévalait dans les arcanes de l’Etat. Lhaj Sîid, un combattant de l’armée de libération, avait pris part à l’insurrection aux côtés de son frère Haddou Ou Moha. Les deux hommes furent arrêtés et emprisonnés pendant cinq ans. En 1973, Lhaj Sîid reprend les armes contre le pouvoir. Il sera raflé avec trois de ses frères et héliportés jusqu’au Corbès (centre de détention à Casablanca), où il sera torturé, puis enfermé dans une autre prison pendant 14 mois. Après avoir emprisonné les contestataires, le pouvoir, enragé par la désobéissance des Aït Abdi, avait brûlé leurs vivres et éliminé leur bétail, abandonnant femmes et enfants à la merci de la faim et du froid.



Réconciliation. Les hélices de l’espoir
Dans les années 1970, les hélicoptères du Makhzen avaient mené une expédition punitive contre les membres de la tribu des Aït Abdi après les événements de Moulay Bouazza, raflant plusieurs d’entre eux. Mais l’heure est désormais à la réconciliation. Certains membres de la tribu ont même été indemnisés. A l’instar de Haj Sîid qui a reçu 300 000 DH en dédommagement. Il en a profité pour faire construire une maison à Ouaouizeght et financer un pèlerinage à La Mecque. En 2009, les hélicoptères du Makhzen se sont de nouveau posés dans les hauteurs du douar, mais cette fois-ci pour apporter des provisions, après que la neige a enclavé les habitants. En mai 2009, le gouverneur en personne s’est déplacé dans la localité, une première depuis l’indépendance. Il a refait le tour de la région en hélicoptère en début d’année pour dresser un état de la situation des Aït Abdi.
 
c'est bizarre sur bladi.. qui est tout de meme un forum majoritairement orienté diaspora marocaine et MRM de voir si peu de reactions sur un tel sujet..

j'ai parcouru le texte , ca fait un peu ascension de l'everest par une expédition de courageux explorateur-journaliste inconscient du danger et amoureux de l'aventure , il manque plus que les sherpa et les bouteilles d'oxygene pour s'y croire
alors que c'est juste deux trois stagiaire de tel quel qui sont parti en 4*4 climatisé prendre le thé dans un village de l'atlas
 
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