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“Lettre au policier qui m’a tiré dessus : j’ai perdu mon œil, mon cerveau et la personne que j’étais”
Une demi-heure après son arrivée en bas de l’avenue des Champs-Élysées, Vanessa Langard, fille et petite-fille de militaires, décide d’aller manifester à Paris pour la première fois depuis son adolescence.
Une demi-heure est grièvement blessée au visage par un tir de LBD40 (lanceur de balles de défense d’un calibre de 40 millimètres). Aujourd’hui, elle raconte son histoire dans un documentaire poignant de Matteo Moeschler, lui aussi blessé lors d’une manifestation. Diffusé en
replay sur France.tv jusqu’au 5 juin,
Ma blessure d’âge adulte multiplie les témoignages de mutilés des manifs et demande des comptes au pouvoir et aux forces de l’ordre.
La manifestation venait juste de commencer, l’ambiance était bon enfant, il ne se passait rien. À un moment, nous avons vu une rangée de CRS. Nous étions quatre, nous nous sommes donné la main en nous disant :
“Éloignons-nous, on ne sait jamais, s’ils gazent…” Nous avons marché trois minutes et je me suis retrouvée au sol. Je ne me rappelle rien, sauf le cri d’une femme :
“Appelez les pompiers, elle s’est pris un coup de flash-ball !”
Ma vie d’avant, c’est fini. Mon œil gauche ne voit plus. Tracer un trait, c’est compliqué, discerner les couleurs aussi. Mon cerveau a été impacté par votre tir : on m’a diagnostiqué une nécrose cérébrale définitive. Je souffre aussi d’épilepsie.
J’ai des difficultés à me concentrer et des douleurs dues aux plaques de métal dans mon crâne. Des troubles de l’odorat – impossible de retravailler avec des fours, comme je le faisais en tant que décoratrice sur verre, d’y faire cuire des pièces.
Du jour au lendemain, j’ai perdu mon œil, mon cerveau, mais aussi la personne que j’étais : toujours active, capable de mener plusieurs activités en même temps. Moi, qui étais discrète et détestais me faire remarquer, aujourd’hui, tout le monde me voit avec mes lunettes et le verre opaque plaqué sur mon œil gauche.
Les gens qui, comme moi, ont été blessés gravement perdent tout, ont souvent des idées noires. Je suis “invalide stade 2”. Ce qui implique des soins incessants : rééducation du cerveau deux fois par semaine, kiné deux fois aussi.
Les traitements médicamenteux sont lourds. Les indemnités journalières que je perçois dans l’attente de l’évolution de mon dossier ne me permettent pas de vivre. Ma mère est désespérée de voir sa fille handicapée. Tout cela est en train de nous détruire – le trauma autant que la blessure physique.
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