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Révélations sur la mort d’Alhoussein Camara, 19 ans, tué par un policier à Angoulême
9 octobre 2023Les premiers éléments de l’enquête auxquels ont eu accès Mediapart et Radio France révèlent que ce jeune Guinéen de 19 ans aurait été tué dans le dos par un policier. Et affaiblissent sérieusement la théorie de la légitime défense.
IlIl n’y avait ni images ni témoins. Il y a désormais quelques réponses et de nombreuses contradictions. Le 14 juin dernier, une quinzaine de jours avant la mort de Nahel, 17 ans, tué par un policier à Nanterre, Alhoussein Camara, 19 ans, subissait le même sort à Saint-Yrieix-sur-Charente, près d’Angoulême.
Il était lui aussi accusé d’avoir refusé d’obtempérer lors d’un contrôle et a été tué par un policier. Sans vidéo, ce drame avait été révélé dans une indifférence quasi générale.
Selon la version policière, relayée par le syndicat de police Alliance, la légitime défense ne faisait pas de doute. « Cette intervention d’une violence exceptionnelle, face à la détermination d’un délinquant qui n’a pas hésité une seule seconde à percuter un policier à pied, et ainsi de commettre une tentative d’homicide sur nos collègues, tout en prenant des risques inconsidérés », pouvait-on lire dans un communiqué. « Nos collègues sont extrêmement choqués par cette intervention à l’issue dramatique. L’un d’entre eux est hospitalisé (blessure aux jambes). »
Le parquet, citant le policier auteur du tir, précisait qu’Alhoussein Camara avait été repéré au volant d’une Peugeot 307 grise « zigzaguant » sur la route. Après avoir refusé de s’arrêter, il aurait finalement été bloqué par deux voitures de police et aurait voulu prendre la fuite en percutant un agent. « Touché aux jambes lors de cette manœuvre, l’agent en question – qui a reçu trente jours d’ITT – fait usage simultanément de son arme à une reprise. »
Mais les certitudes d’Alliance ne résistent pas à la réalité de l’enquête menée par l’IGPN, que Mediapart révèle avec la cellule investigation de Radio France.
Peu de temps après les faits, la procureure de la République d’Angoulême a en effet ouvert une enquête pour « homicide volontaire » visant le brigadier P. P., 52 ans, auteur du coup de feu. Une plainte a aussi été déposée par la famille défendue par Me Arié Alimi.
Cette nuit du 4 juin, à 4 heures du matin, la brigade nocturne enchaîne les missions depuis 18 h 30 la veille et patrouille dans le centre d’Angoulême. Le brigadier-chef J. L. conduit le véhicule sérigraphié avec le brigadier P. P. et la policière adjointe A. D.
Alhoussein Camara, lui, prend sa voiture pour se rendre sur la base logistique d’un Intermarché. Le jeune homme, en France depuis 2018, au casier vierge, réside dans un foyer du centre-ville. Il a obtenu son permis de conduire tout récemment et troque désormais sa trottinette pour une voiture. Comme tous les jours, il quitte sa résidence en tenue de travail ainsi qu’en atteste la vidéosurveillance du foyer. L’enquête de l’IGPN confirme d’ailleurs le portrait brossé par tous ses proches interrogés par Mediapart. « Il était considéré comme quelqu’un de travailleur et sérieux, discret et réservé », indique la synthèse de la police des polices.
Quelques minutes plus tard, à Saint-Yrieix-sur-Charente, une commune voisine, l’équipage aperçoit la voiture du jeune homme et conclut très rapidement qu’il souhaite fuir la police. Mais savait-il que les agents voulaient le contrôler ? « J’ai actionné le gyrophare, comme j’étais le chef de bord, puis actionné une fois le deux-tons pour nous signaler encore une fois », affirme le brigadier P. P., qui ajoute avoir fait deux autres appels sonores. « Le fait que ce soit inopérant, on a constaté que c’était un refus d’obtempérer caractérisé. »