Saïd, 30 ans, cybergardien de la morale

  • Initiateur de la discussion Initiateur de la discussion kolargool
  • Date de début Date de début

kolargool

schtroumpf CoCo
VIB
A la lecture d’un commentaire déposé par un internaute sur le site d’un quotidien, l’écrivain palestinien Hassan Khader s’interroge sur un état d’esprit très répandu dans les pays arabo-musulmans.


AL-AYYAM Ramallah


La princesse Ferial, fille du roi Farouk, est décédée à l’âge de 71 ans en Suisse. Née en 1938 à Alexandrie, elle avait quitté l’Egypte avec ses parents en 1952, après la révolution qui mit in au règne de la dynastie de Mohamed Ali et instaura la république.” C’est ce qu’on pouvait lire dans le quotidien panarabe Al-Quds Al-Arabi le 30 novembre dernier.
L’article précisait en outre que “Ferial souffrait d’un cancer. Fille aînée du roi Farouk Ier , elle avait appris le métier de secrétaire dans les années 1950 avant de travailler dans ce domaine et d’enseigner la dactylographie. En 1966, elle épousa le Suisse Jean-Pierre Perreten. Un seul enfant est né de ce
mariage, une ille nommée Yasmine. […]
Ferial était la dernière ille de Farouk. Sa dépouille sera transférée demain au Caire.” Cet article [mis en ligne sur le site du journal] a inspiré le commentaire
suivant à un certain Saïd : “Elle a épousé un Suisse et elle a eu un enfant
avec lui. Est-ce que cela veut dire que cette princesse musulmane a épousé un chrétien ? Et qu’elle a procréé avec lui ? Est-ce elle qui s’est convertie au christianisme ou bien est-ce lui qui a prononcé la profession de foi musulmane ? Cette question me semble plus importante que de savoir
qu’elle est morte.”
Nous ne connaissons pas Saïd.
Nous ne savons pas où il habite, quel âge il a et à quelle catégorie sociopro-
fessionnelle il appartient. Il y a tout lieu de croire qu’il est arabe et musulman.
Par ailleurs, nous savons qu’il a lu l’article et qu’il a jugé que celui-ci

méritait un commentaire. C’est donc un Arabe sachant lire et écrire, se ser-
vant d’Internet et estimant qu’il est de son devoir de commenter la chose
publique. Nous ne savons donc pas grand-chose de lui, mais sufisamment
pour dire qu’il est représentatif d’un certain nombre de préoccupations, de
valeurs et d’orientations politiques. La mort de la princesse ne l’intéresse ni
de près ni de loin. Qu’elle ait vécu en exil, qu’elle ait été dactylo, tout cela ne
l’incite pas à réléchir au destin tragique des humains. La seule chose qui
retient son attention est le nom étranger de son mari, un nom qui le met en
alerte et lui fait formuler l’unique question qu’il se pose : ce mari a-t-il bien
respecté la loi religieuse ?


suite
 
L’HOMME DE LA RUE PEUT
SE PRONONCER SUR TOUTE CHOSE


Cela nous renseigne sur sa personnalité. Saïd doit être du genre à s’ériger
en censeur et à juger les autres. Il tient à ce que tout le monde sache qu’Un-
tel ne se conforme pas à la norme et voudrait crier sur tous les toits ce qui
aurait pu échapper à un lecteur distrait. En cela, Saïd a quelque chose de
représentatif. Il est probablement trentenaire, ou plus jeune, la proportion
dejeunes dans les pays arabes étant d’environ 60 %. C’est d’ailleurs cette
tranche d’âge qui est la plus férue d’Internet. Il est peut-être au chômage.
Le nombre de chômeurs dans le monde arabe s’élève à 21 millions. Ou
bien il fait partie de l’armée de fonctionnaires qu’on y embauche pour
masquer le chômage.

Dans le monde arabe, 100 millions de personnes sur un peu plus de 300 millions sont analphabètes. Saïd sait certes lire, et même écrire des commentaires, mais il y a de fortes chances qu’il n’ait qu’un diplôme du secondaire ou bien d’une de ces universités arabes qui sont tout en bas dans les classements internationaux. Il vit probablement en milieu urbain, puisque la proportion de citadins est de plus de 50 % dans le monde arabe. Il a grandi dans une région marquée par le contraste entre riches et pauvres, les riches très minoritaires ayant pu imposer leur culture aride aux autres grâce au pétrole qui leur permet de tout contrôler, des médias au marché de l’emploi.
Nous savons donc beaucoup de choses sur Saïd. Reste une autre ques-
tion, à propos de laquelle nous pouvons nous référer à José Ortega y Gas-
set [philosophe espagnol, 1883-1955],Il avait écrit en 1930 que l’Europe
n’était pas menacée par les masses,mais par le fait que ces masses étaient
composées d’individus qui n’avaient plus de respect pour le savoir. Par le
passé, quelqu’un qui s’occupait de politique, qui travaillait dans la culture ou
qui était scientiique devait avoir des compétences. Aujourd’hui, l’homme
de la rue peut se prononcer sur toute chose. Au nom de l’idée d’égalité, tout
le monde est considéré comme également compétent.

Voilà ce qu’il en est de Saïd, qui écoute les rodomontades des “penseurs” de la chaîne satellitaireAl-Jazira et qui se porte volontaire pour être gardien de la morale. Il vit dans un monde arabe dont la moitié des médecins et le quart des ingénieurs sont partis et dont plus de la moitié des étudiants à l’étranger préfèrent ne pas rentrer,un monde en queue de peloton pour les indicateurs des libertés publiques,dominé par le fanatisme et dévasté par des guerres civiles ouvertes ou déguisées. Qu’avons-nous besoin de liberté et de savoir ? Qu’avons-nous besoin de médecins, d’ingénieurs et d’intellectuels,puisque nous avons plein de Saïd ?

Hassan Khader

Courrier international
 
je cite
" Qu’avons-nous besoin de liberté et de savoir ? Qu’avons-nous besoin de médecins, d’ingénieurs et d’intellectuels,puisque nous avons plein de Saïd ? "

et des Saïd , il y en a presque à chaque carrefour
c..mais dangereux au possible
et surtout bien ancrés dans leurs certitudes

mam
 
Retour
Haut