Sans doute les élections les plus importantes de l’histoire de la Turquie


L'Institut international d'études sur le Moyen-Orient et les Balkans (IFIMES)* de Ljubljana, en Slovénie, vient de publier une analyse des enjeux des prochaines élections présidentielles et législatives en Turquie, prévues le 14 mai.
Les prochaines élections en Turquie sont un peu partout décrites comme "les plus importantes de l'histoire du pays" depuis la création de la République. Et pour cause, elles marqueront plus que probablement un tournant pour l'avenir du pays.
"L'importance de ces élections tient au fait qu'elles ont lieu cent ans après la création de la République moderne de Turquie par Mustafa Kemal Atatürk, et que la République entre dans son deuxième siècle d'existence dans un contexte mondial pour le moins agité", souligne la dernière étude de l'Institut international d'études sur le Moyen-Orient et les Balkans.
Elles se dérouleront aussi dans le cadre du nouveau système présidentiel, adopté par le pays en 2018, qui confère de larges pouvoirs au président en ce qui concerne la gestion du pays.

Il ne fait aucun doute que ces élections influeront directement sur la manière dont vont se redéfinir les relations géopolitiques.


Compte tenu de l'importance de la Turquie en tant que puissance régionale, les résultats de ce scrutin auront inévitablement des répercussions sur l'ensemble de la région et sur les relations internationales. La Turquie étant membre de l'Otan, elle joue un rôle important au niveau régional et international, notamment dans la crise syrienne, le conflit israélo-palestinien, la guerre civile en Libye et la guerre en Ukraine, où Erdoğan, rappelons-le, est le seul dirigeant occidental à entretenir d'excellentes relations avec le président russe Vladimir Poutine.
«Il ne fait aucun doute que ces élections influeront directement sur la manière dont vont se redéfinir les relations géopolitiques, les pouvoirs et l'équilibre dans le contexte du conflit militaire entre le bloc de l'Est et le bloc de l'Ouest en Ukraine. La décision que prendront les électeurs turcs en mai ne se limitera pas à déterminer qui dirigera le pays, mais aussi la voie économique que prendra la Turquie», estime l’IFIMES.

Opposition morcelée

En pratique, environ 61 millions électeurs sont éligibles aux prochaines élections; des électeurs qui éliront simultanément le nouveau président de la République et 600 députés/représentants à l'Assemblée nationale. Le président sera élu à l'issue de deux tours de scrutin au cours desquels un candidat doit obtenir une majorité relative (plus de 50%) des voix pour être élu.

Kemal Kılıçdaroğlu est le principal leader de l'opposition mais il est critiqué pour son manque de charisme.


Les principaux candidats à la présidence sont :
Recep Tayyip Erdoğan, l'actuel président, qui sera confronté à l'épreuve la plus difficile de son règne de 20 ans. Il est le fondateur et leader du Parti de la justice et du développement (AKP). En 2018, il avait a été élu avec 52,59 % des voix lors d'élections avec un taux de participation élevé de 86,24 %.
Vue en plein écran

Le président turc et candidat de l'Alliance du peuple à la présidence, Recep Tayyip Erdogan, prononce un discours lors d'un meeting électoral, à Ankara, le 30 avril. ©AFP
Erdoğan est aujourd’hui le candidat de la coalition de l'Alliance populaire (Cumhur İttifakı), créée en février 2018 par le Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir et le Parti du mouvement nationaliste (MHP).
Kemal Kılıçdaroğlu est, lui, le principal leader de l'opposition dans le pays depuis 13 ans déjà. Chef du Parti républicain du peuple (CHP) et candidat de l'Alliance nationale, également connue sous le nom de "Table des six", c’est un homme politique expérimenté qui est néanmoins critiqué pour son manque de charisme. Il a toutefois reçu le soutien de trois personnalités de premier plan: Meral Akşener, présidente du parti Iyi, Mansur Yavaş, maire d'Ankara et Ekrem İmamoğlu, maire d'Istanbul.
En cas de victoire de Kılıçdaroğlu, tous les trois devraient devenir vice-présidents, ce qui constituerait un arrangement assez inhabituel et un facteur d’instabilité probable pour tout gouvernement.
 
À noter qu’Yavaş et İmamoğlu avaient joué un rôle déterminant dans la défaite de l'AKP dans les deux villes les plus importantes lors des élections locales de 2019. Ce fut, à l’époque, le tout premier signe que le parti au pouvoir, l'AKP, était en train de perdre le soutien des électeurs.
Muharem Ince est le leader du parti de la patrie, un parti nationaliste de droite. Ce sera la deuxième fois qu'il se présentera contre Erdoğan, puisqu'il a été battu lors des dernières élections présidentielles, où il a obtenu 30,64 % des voix. Après s'être retiré du CHP, il a créé en 2021 le Parti de la patrie (MP).
Malgré les appels de l'opposition à retirer sa candidature afin de ne pas disperser les voix de l'opposition, İnce croit fermement qu'il se qualifiera pour le second tour. L'opposition l'accuse que sa candidature fait le jeu d'Erdoğan.
● Enfin, Sinan Oğan est un homme politique turc d'origine azerbaïdjanaise, candidat de l'Alliance ancestrale (Ata İttifakı) et ancien membre du Parti du mouvement nationaliste (MHP). C’est un homme politique indépendant, moins connu du public que les autres candidats.-

L’influence du récent tremblement de terre

Tous les acteurs et partis en lice ont déjà largement entamé leur campagne électorale. Les rues et les places sont couvertes de grandes affiches avec des messages d'appel aux électeurs. Cette fois-ci, les partis n'ont pas eu recours aux méthodes traditionnelles utilisées lors des campagnes précédentes où les candidats se déplaçaient en voiture dans les rues pour diffuser des chansons spécialement conçues pour les besoins de la campagne.

Le contexte économique difficile pèsera probablement davantage que le ressentiment qui prévaut à l'égard de la gestion et des conséquences du terrible tremblement de terre.

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La raison en est le climat public pesant après les énormes pertes humaines et matérielles infligées par le tremblement de terre du 6 février de cette année. Ce tremblement de terre dévastateur aura d’ailleurs probablement un impact décisif sur le choix de nombreux électeurs lorsqu'ils voteront d’ici quelques jours.
«Mais, ce ne sera certainement pas le seul facteur décisif, car la crise économique, l'inflation qui tourne autour des 50 %, le taux de chômage élevé d'environ 10 % et la chute du pouvoir d'achat joueront aussi un rôle crucial. En réalité, ce contexte économique pèsera même plus que probablement davantage que le ressentiment qui prévaut dans le public à l'égard de la gestion et des conséquences humanitaires du terrible tremblement de terre», analyse l’institut slovène.

L’oignon et le porte-avions

À cet égard, le 10 avril dernier, le jour même où le principal rival d'Erdoğan, Kemal Kılıçdaroğlu, leader de l'opposition, postait un enregistrement vidéo, depuis sa modeste cuisine, promettant de réduire le prix de l'oignon dans le pays, Recep Tayyip Erdoğan inaugurait, lui, la mise en service du premier porte-avions, qui servira principalement à emporter des drones, une première à l’échelle mondiale.
«Un débat s’est ainsi ouvert sur les priorités actuelles des électeurs turcs. Alors que la campagne électorale d'Erdoğan est principalement basée sur de grands projets nationaux, les candidats de l'opposition se concentrent sur les questions de la vie quotidienne et la situation économique difficile à laquelle les citoyens sont confrontés, en particulier en ce qui concerne l'inflation, qui a atteint des niveaux inégalés», observe le think tank.
D’un côté donc, Erdoğan promet de poursuivre les grands projets nationaux et stratégiques, en particulier ceux liés aux infrastructures, à l'industrie de la défense, etc., de l’autre, les dirigeants de l'opposition promettent de réduire les prix des produits de base et de ne plus vendre de biens immobiliers aux étrangers, afin de faire baisser leurs prix et de les rendre abordables pour les citoyens turcs.

 

L'opposition critique donc beaucoup, mais n'a pas présenté jusqu’ici sa vision économique, ce qui suscite aussi la méfiance des électeurs.


Problème: à ce jour, l'opposition n'a toujours pas proposé de mécanismes convaincants pour améliorer les conditions économiques. «Elle se contente de préconiser une politique d'austérité, la vente des avions et véhicules présidentiels d'Erdoğan et prône le recours aux prêts de la Banque mondiale, ce qui suscite des doutes et des craintes parmi les électeurs turcs, qui ne veulent pas d’un "retour à l'ère du tutorat", et se souviennent des baisses constantes de la valeur de la livre turque avant l'arrivée au pouvoir d'Erdoğan», note l’IFIMES.
L'opposition critique donc beaucoup, mais n'a pas présenté jusqu’ici sa vision économique, ce qui suscite aussi la méfiance des électeurs, "car il est logique que si l'on critique quelque chose, on propose une alternative". Pas de plan donc, si ce n'est celui d'augmenter les taux d'intérêt, ce qui contribuerait à redonner de la vigueur à la livre turque par rapport au dollar à court terme, mais qui, à long terme, serait préjudiciable à l'économie turque en raison de l'augmentation du niveau d'inflation.
Pour l’heure, difficile de prévoir les résultats des élections. Les résultats pourraient néanmoins surprendre, prévient le think tank pour qui, en définitive, quelle que soit l'issue, le plus important sera que ces élections se déroulent de manière démocratique, libre et équitable, que tous les participants acceptent les résultats du scrutin et que des efforts soient consentis pour renforcer la démocratie et la promotion des droits de l'homme en Turquie.
 
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