Notre métier de chercheur
Le Monde” le 30 janvier
par MARIE PASCALE D., Chercheuse au CNRS
“J‘ai étudié pendant 10 ans et trouvé un métier que j’aime. Je suis chercheuse en génétique moléculaire, une profession que j’exerce depuis 20 ans. Je connais mon métier, je maîtrise les technologies afférentes,[réponds à des appels d’offre, gère mes budgets, forme des étudiants, je donne des conférences, j’apprends tous les jours.
Mon organisme employeur (CNRS) le sait, j’ai été embauchée pour ça. Je consacre un temps important à ce travail, nos enfants respectent ce choix. Mon métier est fait de curiosité intellectuelle, de connaissance, de liberté et de passion, d’habileté manuelle et de créativité. Ces mots sont essentiels pour moi. Tous les jours, je manipule des concepts et les transforme en expériences. Je lis, je réfléchis et écris.
C’est un métier difficile, compétitif, particulièrement pour les femmes, fait de petites joies ou de grandes découvertes, mais aussi d’échecs et de remises en question incessants.
Mon parcours est similaire à celui de beaucoup d’autres. Nous sommes 50 à 100000 chercheurs et enseignants du supérieur diplômés d’un doctorat en France qui travaillons pour des organismes publics (Universités incluses). Les 12 000 chercheurs du CNRS font essentiellement de la recherche fondamentale, couvrant l’essentiel des domaines de la connaissance humaine.
En tant que chef d’équipe, je décide du choix des sujets et de l’orientation des recherches dans mon laboratoire. Mon but est d’élargir le champ des connaissances dans mon domaine de spécialisation. Je le fais en fonction de ce que je sais, et des travaux publiés par d’autres. Je le fais aussi en concertation avec les étudiants ou chercheurs qui viennent renforcer ma puissance de travail. Et je réoriente continuellement mes projets selon les résultats que nous obtenons.
Les crédits pour financer ces recherches sont obtenus en répondant à des appels d’offre, ce dont je m’occupe en mettant en valeur dans mon activité ce qui présente la meilleure adéquation avec les thèmes mis à concours. La sélection de mes projets souligne leur intérêt, leur valeur, mais aussi leur faisabilité et la reconnaissance de mon aptitude à les encadrer. Sans contrats, un labo ne peut fonctionner, les crédits octroyés par le CNRS ou l’Université, via le Ministère de la Recherche, l’Etat donc, sont trop misérables ; la biologie moléculaire est une science onéreuse (moins que la physique cependant).
Notre activité professionnelle est continuellement évaluée au travers de rapports d’activités adressés régulièrement à nos employeurs ou aux organismes contractualisateurs, au travers aussi des diverses formes de communication que nous devons emprunter, articles scientifiques, conférences, participation à des colloques, discussions avec des collègues. Réciproquement, je suis régulièrement amenée à évaluer les travaux de mes collègues, lorsque je siège dans des commissions, participe à des jurys, quand j’expertise des projets, ou que l’on me demande de juger des articles, soumis à publication internationale, dont la proximité avec mes centres d’intérêt me donne le droit de les accepter/refuser selon leur qualité.
Bien que chargée de nombreuses responsabilités au niveau organisation, administration, encadrement, enseignement, direction de l’équipe, j’ai réussi à continuer de « maniper », comme nous disons. Tous les jours, j’extrais des ADN, les analyse, les ré-introduis en bactéries, ou autres organismes, sélectionne les organismes ainsi modifiés, étudie les modifications que confère cette transformation. Ce travail est précédé d’études bibliographiques, de recherches dans des bases de données pour identifier les gènes ou fonctions qui nous intéressent. Et puis quand un résultat intéressant sort, on l’étaye, le confirme, le contrôle, le vérifie, et si c’est solide, on rédige un article (en anglais bien sûr, langue que tout chercheur se doit de pratiquer couramment à l’écrit comme à l’oral). Je documente, analyse les données et les mets en forme. pour le soumettre à publication dans une revue dont l’audience internationale reflète la qualité de ce qu’on a trouvé.
L’accomplissement de chaque étape de ce travail me procure un profond sentiment de satisfaction. Je connais beaucoup de chercheurs, de simples collègues à amis, nous partageons à peu près cette vision de notre profession, ces convictions. C’est notre vie.
Alors quand j’entends ça :
« Mauvais, non performants, archaïques, idéologues, partisans, conservateurs, aveugles, refusant de voir la réalité, immobilistes, ayant des mentalités à changer, installés dans le confort de l’autoévaluation et travaillant dans des structures obsolètes, archaïques
et rigides.” Voici les termes que Nicolas Sarkozy a utilisés dans son discours du 22 janvier 2009, pour dire ce qu’il pense de nous et de nos institutions. Et il a ajouté :
« N’y a-t-il pas urgence à en finir avec une organisation désastreuse. Les organismes de recherche doivent opérer leur transformation en agence de moyens » J’ai très très mal.
Le Monde” le 30 janvier
par MARIE PASCALE D., Chercheuse au CNRS
“J‘ai étudié pendant 10 ans et trouvé un métier que j’aime. Je suis chercheuse en génétique moléculaire, une profession que j’exerce depuis 20 ans. Je connais mon métier, je maîtrise les technologies afférentes,[réponds à des appels d’offre, gère mes budgets, forme des étudiants, je donne des conférences, j’apprends tous les jours.
Mon organisme employeur (CNRS) le sait, j’ai été embauchée pour ça. Je consacre un temps important à ce travail, nos enfants respectent ce choix. Mon métier est fait de curiosité intellectuelle, de connaissance, de liberté et de passion, d’habileté manuelle et de créativité. Ces mots sont essentiels pour moi. Tous les jours, je manipule des concepts et les transforme en expériences. Je lis, je réfléchis et écris.
C’est un métier difficile, compétitif, particulièrement pour les femmes, fait de petites joies ou de grandes découvertes, mais aussi d’échecs et de remises en question incessants.
Mon parcours est similaire à celui de beaucoup d’autres. Nous sommes 50 à 100000 chercheurs et enseignants du supérieur diplômés d’un doctorat en France qui travaillons pour des organismes publics (Universités incluses). Les 12 000 chercheurs du CNRS font essentiellement de la recherche fondamentale, couvrant l’essentiel des domaines de la connaissance humaine.
En tant que chef d’équipe, je décide du choix des sujets et de l’orientation des recherches dans mon laboratoire. Mon but est d’élargir le champ des connaissances dans mon domaine de spécialisation. Je le fais en fonction de ce que je sais, et des travaux publiés par d’autres. Je le fais aussi en concertation avec les étudiants ou chercheurs qui viennent renforcer ma puissance de travail. Et je réoriente continuellement mes projets selon les résultats que nous obtenons.
Les crédits pour financer ces recherches sont obtenus en répondant à des appels d’offre, ce dont je m’occupe en mettant en valeur dans mon activité ce qui présente la meilleure adéquation avec les thèmes mis à concours. La sélection de mes projets souligne leur intérêt, leur valeur, mais aussi leur faisabilité et la reconnaissance de mon aptitude à les encadrer. Sans contrats, un labo ne peut fonctionner, les crédits octroyés par le CNRS ou l’Université, via le Ministère de la Recherche, l’Etat donc, sont trop misérables ; la biologie moléculaire est une science onéreuse (moins que la physique cependant).
Notre activité professionnelle est continuellement évaluée au travers de rapports d’activités adressés régulièrement à nos employeurs ou aux organismes contractualisateurs, au travers aussi des diverses formes de communication que nous devons emprunter, articles scientifiques, conférences, participation à des colloques, discussions avec des collègues. Réciproquement, je suis régulièrement amenée à évaluer les travaux de mes collègues, lorsque je siège dans des commissions, participe à des jurys, quand j’expertise des projets, ou que l’on me demande de juger des articles, soumis à publication internationale, dont la proximité avec mes centres d’intérêt me donne le droit de les accepter/refuser selon leur qualité.
Bien que chargée de nombreuses responsabilités au niveau organisation, administration, encadrement, enseignement, direction de l’équipe, j’ai réussi à continuer de « maniper », comme nous disons. Tous les jours, j’extrais des ADN, les analyse, les ré-introduis en bactéries, ou autres organismes, sélectionne les organismes ainsi modifiés, étudie les modifications que confère cette transformation. Ce travail est précédé d’études bibliographiques, de recherches dans des bases de données pour identifier les gènes ou fonctions qui nous intéressent. Et puis quand un résultat intéressant sort, on l’étaye, le confirme, le contrôle, le vérifie, et si c’est solide, on rédige un article (en anglais bien sûr, langue que tout chercheur se doit de pratiquer couramment à l’écrit comme à l’oral). Je documente, analyse les données et les mets en forme. pour le soumettre à publication dans une revue dont l’audience internationale reflète la qualité de ce qu’on a trouvé.
L’accomplissement de chaque étape de ce travail me procure un profond sentiment de satisfaction. Je connais beaucoup de chercheurs, de simples collègues à amis, nous partageons à peu près cette vision de notre profession, ces convictions. C’est notre vie.
Alors quand j’entends ça :
« Mauvais, non performants, archaïques, idéologues, partisans, conservateurs, aveugles, refusant de voir la réalité, immobilistes, ayant des mentalités à changer, installés dans le confort de l’autoévaluation et travaillant dans des structures obsolètes, archaïques
et rigides.” Voici les termes que Nicolas Sarkozy a utilisés dans son discours du 22 janvier 2009, pour dire ce qu’il pense de nous et de nos institutions. Et il a ajouté :
« N’y a-t-il pas urgence à en finir avec une organisation désastreuse. Les organismes de recherche doivent opérer leur transformation en agence de moyens » J’ai très très mal.