Au sens populaire et historique du terme il n’a pas d’existence propre. Déjà la faveur de ses défenseurs s’estompe et la science moderne est en train de remettre en cause la valeur de cet emblème liturgique drapé dans le manteau de la propagande apostolique et romaine. A l’expression « référence hébraïque s le moment est venu de substituer celle de « référence biblique », car, comme nous le voyons, l’une ne coïncide guère avec l’autre, le terme « biblique » ayant infiniment plus d’affinité avec le terme arabe (ou araméen, ce qui revient au même). Remplaçons Noé par son nom arabe Nùh, Job par Ayyùb, Jonas par Yùnous ben Matta, Sem par Sam bin Nùh, Abraham par Ibrahim, David par Daoud, Aaron par Ha- roun, Salomon par Soleïman, Goliath par Djalloud, Jésus pas Issa, Marie par Myriam, et alors nous retrouverons la fraîcheur primitive du Testament et sa présence réelle ; nous sentirons combien il a perpétué, de millénaire en millénaire, une parole qui est demeurée en intonation et en esprit celle des millions d’hommes qui peuplent aujourd’hui l’Orient dont ils sont les indiscutables héritiers. Alors il tombera sous le sens que non seulement le judaïsme, le christianisme et l’Islam, mais encore les religions zoroastriennes, solaires, orphiques, religions de mystères et de salut, cultes grecs et romains dérivent comme frères et sœurs du cosmos oriental tel qu’il régnait autrefois entre le Nil et l’Indus, porté par une langue commune, l’araméen toujours vivante dans l’actuelle langue arabe. Lorsque Jésus déclare : « Avant qu’Abraham fût, je suis » il affirme que sa parole n’est pas une leçon tirée du judaïsme mais qu’elle procède d’un univers spirituel bien antérieur. Entre le Nil, le Caucase, le Yémen et l’Indus se sont croisés, et entrecroisés en un tissu serré, des courants mystiques qui se sont parfois confondus au point qu’il est vain d’en chercher les lignes de partage géographiques. Le monde culturel, religieux et poétique de l’Orient des premiers âges était parfaitement œcuménique et le demeura longtemps. Ainsi dès le 2‘ millénaire avant notre ère la déesse Ishtar était-elle honorée à Thèbes, Babylone, Karkémish ou Suse avant de l’être par les Grecs sous le nom d’Aphrodite et par les Romains sous les traits de Vénus ; de même au iiie siècle de notre ère l’empereur Alexandre Sévère, élevé à Antioche et éduqué par l’égyptien Origène, adorait-il dans un même oratoire une trinité rassemblant Abraham, Orphée et Jésus. La société antique n’analysait pas en effet la religion mais la vivait, comme elle vivait la nature, le ciel et la terre. Elle ne se posait point les épineuses questions dont notre rationalisme fait son jeu quotidien. Quelles qu’aient pu être les particularités doctrinales des religions de Baal, de Jéhovah, d’Isis, d’Orphée ou de Jésus, toutes avaient de l’homme la même idée ; elles le regardaient du haut des cieux ; n’ayant nullement en vue son bonheur personnel elles ne se préoccupaient que de son entente harmonieuse avec les Eléments, avec les Origines, la Mort, l’Univers. Et comme l’histoire de l’Univers ne se mesure pas à la durée d’un jour mais à l’année lumière, la société antique, imbue de religion, établissait ses calculs politiques ou historiques à partir d’énormes quantités d’espace et de temps.