similitude entre l'arabe et l'hébreu

  • Initiateur de la discussion Initiateur de la discussion Barlamane
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En lien avec le propos tenu sur un autre fil, faisant écho à la proximité linguistique entre les 2 langues
Je ne m'étais jamais interrogée sur laquelle des 2 langues a pu dériver de l'autre

A ce stade de mes recherches, je n'ai pas la réponse à ma question, mais j'ai appris que l'hébreu est plus ancien que l'arabe
 
La source n'est pas folichonne mais "on" prend et "on" hésitera à revenir sur ce qui est déclaré, avec des sources académiques
L'avantage, c'est que c'est vulgarisé donc à la portée de tout un chacun.

Les historiens et les linguistes s’accordent à dire que le sumérien, l’akkadien et l’égyptien sont les langues écrites les plus anciennes. Tous les trois sont éteints, c'est-à-dire qu'ils ne sont plus utilisés eux-mêmes et n'ont pas de descendants vivants sur lesquels leur branche linguistique puisse vivre.

Quant à la langue vivante la plus ancienne, elle compte également plusieurs prétendants. L’hébreu et l’arabe se distinguent parmi eux car ils ont des délais clairs que les linguistes peuvent retracer.

L'hébreu est une langue sémitique, comme l'arabe, et appartient à la branche des langues cananéennes. Elle est considérée comme la plus ancienne langue sémitique encore utilisée aujourd’hui.

Les premières formes d'hébreu, qu'on appelle parfois l'hébreu biblique, remontent à environ 1200 av. J.-C., avec les premiers textes hébraïques apparaissant dans les manuscrits bibliques. L'une des plus anciennes inscriptions en hébreu est celle de la stèle de Tel Dan, datée du IXe siècle avant notre ère.

L'hébreu a évolué à travers plusieurs phases : l'hébreu biblique, l'hébreu mishnique (au temps du Talmud), et enfin l'hébreu moderne, qui a été revitalisé à partir du XIXe siècle.

L'arabe est également une langue sémitique, mais son développement en tant que langue écrite et standardisée est plus tardif. L'arabe moderne trouve ses racines dans l'arabe classique, qui est apparu avec la révélation du Coran au VIIe siècle. Cependant, l'arabe dans ses formes anciennes, parfois appelé proto-arabe, existait bien avant cette période.

Les premières inscriptions en arabe datent d'environ 300 av. J.-C., sous forme d'inscriptions nabatéennes, un dialecte précurseur de l'arabe. Mais l'arabe classique, tel que nous le connaissons aujourd'hui, s'est vraiment développé après la révélation coranique.

L'hébreu en tant que langue écrite apparaît donc plus tôt que l'arabe classique.

Voici des exemples des plus anciennes inscriptions en hébreu et en arabe, qui témoignent de l'ancienneté de ces langues dans leur forme écrite :

1. Inscriptions les plus anciennes en hébreu

a) L'inscription de Khirbet Qeiyafa (vers 1000-950 av. J.-C.)

Cette inscription, découverte en 2008 dans l'ancien site de Khirbet Qeiyafa en Israël, est considérée comme l'une des plus anciennes inscriptions en hébreu. Elle est datée du Xᵉ siècle av. J.-C., une période qui correspond aux débuts de la monarchie israélite.

Le texte est écrit dans un alphabet proto-cananéen et contient des phrases qui semblent refléter des préoccupations sociales et juridiques.

Bien que les experts débattent encore pour déterminer si elle est effectivement en hébreu ou dans une langue cananéenne apparentée, elle est souvent citée comme un exemple très ancien d'écriture hébraïque.
 
b) L'inscription de Gezer (vers 925 av. J.-C.)

Cette inscription est un calendrier agricole inscrit sur une tablette de pierre et retrouvée à Gezer en Israël. Elle est datée de la fin du Xᵉ siècle av. J.-C. et est écrite dans un alphabet proche de l'hébreu ancien.

Le calendrier de Gezer décrit les différentes phases de l'agriculture au cours de l'année, telles que la récolte des fruits et la plantation des graines.

c) La stèle de Tel Dan (IXᵉ siècle av. J.-C.)

Découverte en 1993 à Tel Dan, dans le nord d'Israël, cette stèle est une pierre gravée qui mentionne la "Maison de David", une des premières références écrites au roi David, figure importante dans la Bible hébraïque.

Bien qu'elle soit rédigée en araméen, cette inscription est cruciale car elle utilise des noms hébraïques et reflète la proximité linguistique des peuples voisins.

2. Inscriptions les plus anciennes en arabe

a) L'inscription de Namara (328 ap. J.-C.)

L'épitaphe de Namara, découverte en Syrie, est l'une des plus anciennes inscriptions en arabe. Elle date de l'an 328 ap. J.-C. et honore le roi des Lakhmides, Imru' al-Qays.

Cette inscription est rédigée en alphabet nabatéen, qui est l'une des formes écrites ayant influencé le développement de l'arabe classique. Elle montre les premières traces de la transition entre l'alphabet nabatéen et l'alphabet arabe.

b) Les inscriptions de Safa (Iᵉʳ siècle av. J.-C. – IIᵉ siècle ap. J.-C.)

Les inscriptions safaites, découvertes dans la région désertique du nord de l'Arabie et du sud de la Syrie, sont des gravures rupestres laissées par des nomades arabes. Elles datent du Iᵉʳ siècle av. J.-C. au IIᵉ siècle ap. J.-C. et sont écrites dans un alphabet safaitique, une ancienne forme d'écriture arabe.

Ces inscriptions contiennent des récits simples concernant la vie quotidienne, comme les expéditions ou les prières.

c) Les inscriptions nabatéennes (IIᵉ siècle av. J.-C.)

L'arabe nabatéen est considéré comme un précurseur direct de l'arabe moderne. Les Nabatéens étaient un peuple arabe établi dans ce qui est aujourd'hui la Jordanie, et leur alphabet a évolué pour donner naissance à l'alphabet arabe. Une des plus anciennes inscriptions nabatéennes datée du IIᵉ siècle av. J.-C. est l'inscription de la tombe de Hegra, située à Al-Hijr (Madâ'in Sâlih, en Arabie Saoudite actuelle).

d) Les inscriptions préislamiques (VIᵉ siècle ap. J.-C.)

Avant la révélation du Coran, plusieurs inscriptions préislamiques montrent l'évolution de l'arabe vers sa forme classique. Ces inscriptions, trouvées dans différentes régions de la péninsule arabique, datent du VIᵉ siècle ap. J.-C. et sont souvent gravées sur des pierres ou des stèles funéraires. Elles reflètent déjà des formes linguistiques proches de l'arabe classique.

Conclusion

Les inscriptions en hébreu remontent à environ 1200-1000 av. J.-C., ce qui en fait l'une des langues les plus anciennes de la région. Les inscriptions en arabe ancien, bien que plus récentes dans leur forme écrite standardisée, commencent à apparaître vers le IIᵉ siècle av. J.-C., avec des formes plus élaborées au IVᵉ siècle ap. J.-C. et avant le développement de l'arabe classique au VIIᵉ siècle. Ces inscriptions témoignent de l'évolution de ces deux langues, toutes deux profondément enracinées dans l'histoire du Moyen-Orient
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Je suis allée demander à google qui étaient les nabatéens

Les Nabatéens (en arabe : الأنباط al-Anbɑːṭ ou النبطيون) étaient un peuple arabe commerçant de l'Antiquité qui vivait au sud de la Jordanie et de Canaan ainsi que dans le nord de l'Arabie. Façade d'El Khazneh (la Trésorerie) à Pétra (capitale de la Nabatène) en Jordanie.

Les milliers de documents épigraphiques nabatéens et les quelques textes à l'encre prouvent, sans conteste, que les Nabatéens écrivaient en araméen, mais les savants s'accordent généralement pour penser qu'ils parlaient une certaine forme d'arabe archaïque qui n'a survécu sous forme écrite que dans quelques .

Les Nabatéens étaient polythéistes et vénéraient une grande variété de dieux locaux ainsi que Baalshamin, Isis et des dieux gréco-romains tels que Tyché et Dionysos. Ils étaient surtout aniconiques et préféraient décorer leurs lieux sacrés avec des motifs géométriques
 
Toujours dans ce même fil d'échange,
Un intervenant juif semble t-il précise à toutes fins utlies,

Techniquement, l'Hébreu est supposé être plus ancien. Mais l'hébreu moderne est une "reconstruction", donc l'arabe est plus ancien…

Pour en savoir plus cliquez sur le lien que je posterai plus bas.
 
Un autre qui juge que la question de savoir laquelle des 2 langues est la plus ancienne est vide de sens, complète son propos comme suit

Revenons à nos moutons: La seule question concernant l'âge respectif de l'hébreu et de l'arabe à avoir un sens quelconque serait la suivante: "A quand remonte la première attestation des deux langues?".

La réponse à cette interrogation est évidemment que l'hébreu est attesté bien plus tôt que l'arabe. Mais l' examen linguistique de l'arabe littéral montre que cette langue n'est nullement "plus jeune" que l'hébreu biblique. Comment une langue qui encore aujourd'hui à bien des égards a des traits plus archaїques que ce dernier pourrait-elle être plus jeune?
 
La langue arabe et l'hébreu ont évolué de manière indépendante. L’hébreu utilise un alphabet dérivé de l'alphabet phénicien, tandis que l'arabe utilise un alphabet dérivé de l'alphabet nabatéen.

En outre, les langues arabes et hébraïques ont des racines différentes. L'arabe est souvent considéré comme une langue sémitique sud, tandis que l'hébreu est une langue sémitique nord.

Enfin, les recherches linguistiques modernes ont montré que la langue araméenne n'a pas exercé une influence majeure sur la langue arabe et l'hébreu.

Bien qu'il puisse y avoir des similitudes entre ces langues, ces similitudes peuvent être expliquées par des influences et des échanges culturels plutôt que par une filiation directe. Il est donc plus juste de dire que ces langues ont des origines sémitiques communes, plutôt que de les attribuer à une seule langue ancestrale.
 
Il y a de très nombreuses langues sémitiques qui se ressemblent et ont un tronc commun, à l'arabe et l'hébreux, il faut ajouter l'araméen qui était beaucoup plus parlé

Pourquoi l'arabe s'est développé ? par hasard. Les abbassides au moment où se créait leur empire avaient besoin pour l'unifier d'une langue et d'une religion différente de leurs adversaires (grecs et perses) et qui n'aient pas d'histoire. Ainsi sont nés l'islam et la langue arabe.
 
Je publie là le début d'un commentaire publié par un universitaire, je n'ai pas encore tout lu mais ça vaut son pesant de cacahuètes s on en juge le début....


« Une mise au point sur l’hébraïsme est ici nécessaire, car une illusion compliquée d’une perpétuelle prestidigitation étymologique a pu entraîner bien des gens à voir dans les Hébreux et dans leur « culture > les ancêtres suprêmes de l’histoire de l’Orient et par là même de la nôtre. Et tout d’abord il est bon de savoir qu’en dehors des textes bibliques, l’histoire fait sur les Hébreux un silence total. Nulle part ni l’archéologie, ni l’épigraphie, ni la statuaire ne révèlent le moindre vestige hébraïque. Sur les milliers de textes cunéiformes ou égyptiens qui constituent les bibliothèques d’Egypte, de Ras Shamra ou de Ninive, pas plus que dans les récits araméens le mot hébreu n’est mentionné ; les fameux rois bibliques que sont David ou Salomon ne défraient aucune chronique. Aucune mention non plus de l’épopée et des batailles liées à un exode des Hébreux. Nulle rupture de civilisa tion n’est attestée par les fouilles faites en Palestine depuis 1890. Le néant est aussi parfait que définitif. Il ne saurait donc être question d’histoire lorsqu’on ignore les faits, ni de tenter de deviner les événements alors qu’on ne possède aucun document. En 1973 a été publiée sous le patronage des autorités israéliennes une belle édition de l’œuvre de Flavius Josèphe ; l’ouvrage est illustré de re productions babyloniennes, sumériennes, égyptiennes, hittites, c’est-à-dire arabes. Nul hébraïsme là-dedans, pas même dans le texte qui, comme chacun le sait, est une traduction du grec, Flavius Josèphe écrivant en grec et parlant araméen ainsi que tous les Palestiniens de son époque. Ajoutons qu’ignorés des Evangiles, les Hébreux le sont aussi du Coran qui parle seulement des Juifs, des Israélites, ou des Enfants d’Israël. En tous cas chaque fois que figure le mot hébreu dans les littératures arabe, grecque ou latine, il désigne une religion et non pas une nation. Il existe bien une épître aux Hébreux mais elle a été rejetée par les exégètes ; d’abord pour des raisons matérielles, la notation « aux Hébreux » ayant été ajoutée marginalement ; ensuite parce que personne n’était d’accord sur le sens du terme hébreu qui échappe à toute ana lyse sérieuse. Il nous est actuellement impossible de dé finir les Hébreux ni dans le temps, ni dans l’espace, ni par la sociologie, ni par la confession. Et ce n’est pas Flavius Josèphe qui nous aidera ; son Histoire ancienne des Juifs est étonnante dans ses contradictions et dans ses contes : il place la Chaldée hors de la Mésopotamie, fait d’Abraham un roi de Syrie ; il signale aussi que les «samaritains sont hébreux mais pas juifs ». (page 361 éditions Lidis 1973). Une certitude en tous cas, l’hébreu n’est pas la langue originelle du judaïsme dont l’expression vivante et parlée fut d’abord l’araméen, ensuite l’arabe : le judaïsme ayant partagé le destin culturel des autres religions égypto-babylonienne, orphique, chrétienne ou islamique. Lorsque Jésus sur la croix jeta le grand cri « Allah, Allah, limadha sabactani », c’est en arabe qu’il cria ; tout Arabe en comprendra aujourd’hui le sens : « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi t’en vas-tu le premier ?» ou bien «pourquoi me laisses-tu en arrière ? »

II n’y a rien d’hébreu là-dedans, malgré les commentaires de certains érudits. Par acquit de conscience nous avons relevé les termes donnés comme « hébreux » par les exégètes chrétiens ; la plupart sont tout simplement des mots arabes. Si on se décidait enfin, au lieu d’aller cher cher midi à quatorze heures, à réviser l’exégèse biblique sous l’éclairage de la langue et de la culture arabes, toute une scolastique artificielle s’effondrerait au bénéfice d’une vision vivifiée et vivifiante des Testaments. Il est anormal que la Révélation conçue pour la prédication et la prière universelle, faite pour la compréhension populaire, soit devenue la prisonnière de l’hébreu, écriture sacrée inventée pour une minuscule secte sacerdotale. Les juifs d’Orient, quant à eux, n’ayant jamais cessé de s’exprimer en arabe, ont su donner à la littérature, à la pensée, à la science arabes des représentants prestigieux.
 
Nous avons dit que la première version de la Bible juive se présente dans un texte grec tel qu’il fut composé à Alexandrie au siècle avant notre ère sous le règne de Ptolémée III, en même temps que furent collationnées les œuvres homériques, épiques ou ésotériques que la tradition nous a transmises à peu près intactes. L’Egypte est donc la mère de l’ancien Testament ; un même esprit arabo-hellénique a présidé à l’épopée de David et d’Achille. Tout lecteur attentif s’en apercevra aisément. Comme il fallait s’y attendre, l’indiscutable originalité du texte grec dit des Septante qui est la source de la tradition juive, gêne les hébraïsants qui s’obstinent à n’y voir que la traduction ou l’adaptation d’une première version en langue hébraïque. Rien n’est venu jusqu’à ce jour confirmer une telle hypothèse. C’est seulement à partir du iii e siècle après J.-C. qu’on se décida à rédiger en hébreu la Tradition juive jusqu’alors formulée en arabo-araméen ; on fit appel, pour la circonstance, au syriaque tel qu’il est encore enseigné aujourd’hui. Quelques fragments hébraïques figurent bien sur le papyrus Nash remontant au i”siècle av. J.-C., mais on en discute encore et il est pro bable que les signes sont du néo-phénicien. (Le texte hébraïque de la Bible juive ne sera fixé que fort tardivement, entre le ixe et le x” siècle de notre ère, par des sa vants de l’école de Tibériade nommés Massorètes qui utilisèrent quatre sources : le texte grec des Septante, la Vulgate latine de Saint-Jérôme, les Targoumim en araméen et enfin les éléments syriaques.) Il y a quelques années beaucoup de bruit a été fait autour de la découverte des manuscrits de la mer Morte à Khirbet-Quoumràn ; nous étions alors en pleine action sioniste en Palestine, aux Nations Unies et dans l’opinion ; il y avait intérêt à chercher une justification biblique à l’entreprise militaire. Aussi l’opportunité de la découverte avait-elle paru suspecte. Consultés sur la valeur du document les savants avaient été fort prudents et, de toutes façons, en avaient daté la rédaction au ii e ou iii* siècle de notre ère. De plus, à y regarder de près l’écriture était truffée de signes phéniciens et araméens. Aujourd’hui les soupçons se sont accentués et les manuscrits de la mer Morte sont considérés avec scepticisme ; ils ne sauraient modifier en rien l’opinion que se font les savants sérieux sur le rôle de l’hébraïsme dans l’histoire de l’Orient. Nous avons vu l’église romaine inventer un latin liturgique et évangélique destiné à sa vie intérieure et dont la sonorité archaïsante a été recherchée pour symboliser le décalage entre la société des hommes et l’expression divine. Que les résonances harmonieuses des psaumes en latin d’église ou en langue hébraïque puissent atteindre le cœur et réveiller des intuitions sur l’au-delà, c’est une certitude. Mais personne n’est jamais allé y chercher une documentation linguistique valable ni surtout l’origine ou l’aboutissement d’une culture. La beauté de ces langues liturgiques tient précisément à leur irréalité. Leur valeur est d’ordre esthétique et non historique. Quant à la langue hébraïque moderne, elle est une invention, dic tée par les circonstances à Eliezer ben Yéhouda qui publia entre 1910 et 1922 un dictionnaire commandé par le Mouvement sioniste mondial et destiné à procurer une sorte d’espéranto aux juifs du monde appelés à émigrer en Palestine. Elle est donc un instrument politique.

Quelles sont les raisons qui ont poussé la science occidentale à faire de l’hébreu le fil d’Ariane de ses recherches orientales, alors qu’elle disposait d’une langue arabe vivante, sûre, expression fidèle d’une continuité plusieurs fois millénaire et propre à élucider aisément le mystère des hautes époques ?
 
Pour les courageux, la suite....



On pourrait chercher une explication dans le parti pris de l’église catholique romaine et de ses érudits qui avaient fait de leurs couvents les forteresses d’une exégèse militante. Depuis les iv* et v* siè cles qui avaient vu l’affrontement des églises d’Orient et d’Occident dans les violents conflits christologiques au tour des Nestoriens, des Monophysites, Aryens et autres « hérétiques », Rome était en guerre ouverte ou latente contre les dialectiques arabes. Les Croisades que devait entreprendre plus tard la puissance pontificale contre l’Orient n’étaient pas seulement dirigées contre l’Islam mais bien contre tous les systèmes religieux et philosophiques inspirés directement de la pensée arabe, tels qu’ils animaient l’Orient ou tels que les avaient adoptés certaines sociétés d’Espagne, de Russie ou de la France méridionale. Les anciennes chroniques nous apprennent qu’on appelait « arabes » les Aquitains, les Basques, les Andalous ou Castillans peu touchés par le christianisme trini- taire et ouverts tant au judaïsme qu’à l’Islam. Il est à cet égard instructif que le christianisme oriental (si riche de foi et de traditions évangéliques) n’ait jamais cherché dans l’hébreu les voies de sa justification, alors qu’il était particulièrement bien placé pour le faire. Ce catholicisme- là est resté attaché à la langue ancestrale, l’arabe. C’est bien le christianisme latin et lui seul qui s’est adressé à une forme retirée et excentrique de la Tradition, utilisant de bonne heure l’hébreu comme une arme et un instrument de croisade contre la métaphysique orientale.

Ainsi donc de même qu’il est aberrant au nom d’un prétendu sémitisme de séparer les Arabes de l’ensemble culturel égypto-cananéo-babylonien dont ils sont partie intégrante, il tient de la superstition de faire à la langue hébraïque une place à part ; elle n’est qu’un rameau tardif et liturgique de la langue arabe, rameau intellectuel très longtemps ignoré des peuples et par là même infécond

parce que dans une large mesure fabriqué. Aujourd’hui encore l’hébreu appartient au petit monde clos des savants.
 
Au sens populaire et historique du terme il n’a pas d’existence propre. Déjà la faveur de ses défenseurs s’estompe et la science moderne est en train de remettre en cause la valeur de cet emblème liturgique drapé dans le manteau de la propagande apostolique et romaine. A l’expression « référence hébraïque s le moment est venu de substituer celle de « référence biblique », car, comme nous le voyons, l’une ne coïncide guère avec l’autre, le terme « biblique » ayant infiniment plus d’affinité avec le terme arabe (ou araméen, ce qui revient au même). Remplaçons Noé par son nom arabe Nùh, Job par Ayyùb, Jonas par Yùnous ben Matta, Sem par Sam bin Nùh, Abraham par Ibrahim, David par Daoud, Aaron par Ha- roun, Salomon par Soleïman, Goliath par Djalloud, Jésus pas Issa, Marie par Myriam, et alors nous retrouverons la fraîcheur primitive du Testament et sa présence réelle ; nous sentirons combien il a perpétué, de millénaire en millénaire, une parole qui est demeurée en intonation et en esprit celle des millions d’hommes qui peuplent aujourd’hui l’Orient dont ils sont les indiscutables héritiers. Alors il tombera sous le sens que non seulement le judaïsme, le christianisme et l’Islam, mais encore les religions zoroastriennes, solaires, orphiques, religions de mystères et de salut, cultes grecs et romains dérivent comme frères et sœurs du cosmos oriental tel qu’il régnait autrefois entre le Nil et l’Indus, porté par une langue commune, l’araméen toujours vivante dans l’actuelle langue arabe. Lorsque Jésus déclare : « Avant qu’Abraham fût, je suis » il affirme que sa parole n’est pas une leçon tirée du judaïsme mais qu’elle procède d’un univers spirituel bien antérieur. Entre le Nil, le Caucase, le Yémen et l’Indus se sont croisés, et entrecroisés en un tissu serré, des courants mystiques qui se sont parfois confondus au point qu’il est vain d’en chercher les lignes de partage géographiques. Le monde culturel, religieux et poétique de l’Orient des premiers âges était parfaitement œcuménique et le demeura longtemps. Ainsi dès le 2‘ millénaire avant notre ère la déesse Ishtar était-elle honorée à Thèbes, Babylone, Karkémish ou Suse avant de l’être par les Grecs sous le nom d’Aphrodite et par les Romains sous les traits de Vénus ; de même au iiie siècle de notre ère l’empereur Alexandre Sévère, élevé à Antioche et éduqué par l’égyptien Origène, adorait-il dans un même oratoire une trinité rassemblant Abraham, Orphée et Jésus. La société antique n’analysait pas en effet la religion mais la vivait, comme elle vivait la nature, le ciel et la terre. Elle ne se posait point les épineuses questions dont notre rationalisme fait son jeu quotidien. Quelles qu’aient pu être les particularités doctrinales des religions de Baal, de Jéhovah, d’Isis, d’Orphée ou de Jésus, toutes avaient de l’homme la même idée ; elles le regardaient du haut des cieux ; n’ayant nullement en vue son bonheur personnel elles ne se préoccupaient que de son entente harmonieuse avec les Eléments, avec les Origines, la Mort, l’Univers. Et comme l’histoire de l’Univers ne se mesure pas à la durée d’un jour mais à l’année lumière, la société antique, imbue de religion, établissait ses calculs politiques ou historiques à partir d’énormes quantités d’espace et de temps.
 
C’est dire combien alors une vie humaine ne comptait qu’à la seule condition de se trouver enchâssée dans une réalité tout à la fois cosmique et épique donc mythique, car Dieu ne peut être qu’épique. Il n’est pas là pour faire le décompte de nos états d’âme ou des intermittences de notre cœur. L’histoire au jour le jour, à l’événement l’événement, telle que nous la concevons n’est pour l’homme antique qu’une aventure misérable. Son destin il le voit, il le vit sous la forme d’un drame à plusieurs regis tres où s’affrontent des peuples entiers, des cités célestes, des Puissances fabuleuses. A ce niveau là les différences s’effacent. Toutes les religions se rejoignent au ciel. Le ciel est un, la religion est donc une. Les querelles théologiques n’apparaîtront que tardivement. Temples de Baal ou de Mithra, églises d’Axoum ou d’Arménie, sanctuaires d’Osiris ou oratoires de Mésopotamie, mosquées ou synagogues du Yémen ou de Syrie exprimeront longtemps une mentalité identique. Et cela est tellement vrai qu’on a pu voir tout au long des siècles des sanctuaires passer successivement du culte d’Ishtar, à celui d’Orphée, de l’Eternel des juifs à celui de Jésus ou à l’Islam ; le fanatisme religieux ou philosophique étant la caractéristique du monde contemporain. De cet œcuménisme dans l’espace et dans le temps la langue grecque donne un témoignage singulièrement précieux mais plus encore la langue arabe puisque, sans interrution, depuis ses origines nilotiques et mésopotamiennes jusqu’à l’heure présente, elle a porté en elle toutes les formes, sans exception, de la religiosité dont est pétrie notre société, toutes les méditations, les philosophies, les esthétiques et les sciences occultes ou publiques. En arabe parlait le prêtre de Baal, en arabe le dévot d’Isis ou Moïse l’Egyptien, en arabe bien entendu le Christ quand il s’entretenait avec Caïphe ou avec le peuple de Palestine ; en arabe le prophète Mohammed. La droite ligne de notre culture n’a point dévié.
 
C’est en effet un jeu d’enfant pour un philologue de retrouver à la racine des langues égyptienne, cananéenne, anatolienne ou assyro-babylonienne les éléments essentiels de la langue arabe ; parfois même le mot a été transporté dans son entier à travers les siècles qu’il résume en un racourci stupéfiant. Quelques exemples : dans les textes cunéiformes et araméens la Mésopotamie est appelée Senaar ; l’arabe d’aujourd’hui l’appelle Shenaar. Le dieu solaire Chamash correspond à l’arabe moderne Chams qui désigne le soleil ou l’Orient ; le Baal signifie en arabe « maître », et Rab (terme mésopotamien qui donnera rabbin) veut dire « père » ; Rab el beït est le « maître de maison ». Le suffixe « malek » accolé à tant de noms bibliques veut dire « propriétaire ». Le dieu babylonien de la foudre s’appelle Baraq ; l’arabe du xx* siècle dit Barqua ; le dieu de la fortune est Djad ; en arabe moderne Djada signifie prospérité ; le dieu Tammouz a donné son nom au mois de juillet arabe. Les innombrables termes mésopotamiens ou bibliques contenant la racine Chalem, Chalom etc. rappellent l’arabe Salam. Le dieu syro-palestinien des Enfers s’appelle Moût ; le même terme désigne en arabe la mort. « Hag » signifie en mésopotamien la fête rituelle ; en arabe « Hadj » est la fête du Pèlerinage. Quand à Sabet qui veut dire en arabe samedi, c’est-à-dire le Sabbat, il dérive directement du babylonien Sabattu, fête de la pleine lune. Nous n’en finirions plus. Il n’est pas jusqu’à la langue grecque qui n’ait puisé dans le fonds mésopotamien et araméen une part notable de son vocabulaire et de ses structures. Si le mot grec « Sibylle » (Sibulla) désigne une personne sacrée chargée d’énoncer des oracles, l’arabe « as sabil » veut dire « chemin qui mène à Dieu » ; on s’en sert aussi pour désigner l’emplacement qui, dans chaque ville ou cité, sert de lieu de rencontre ou de méditation, généralement orné d’une fontaine. Les Grecs, il est vrai, n’ont jamais fait mystère de leur ascendance asiatique ; ils se disaient disciples des Egyptiens et des Babyloniens ; leur panthéon était arabe ; leurs cosmogonies et théogonies directement inspirées d’Anatolie ou de Canaan. Le père d’Hésiode n’était-il pas d’origine éolienne ? Hérodote s’étonne qu’on distingue l’Europe de l’Asie car il n’y voit, et ses compatriotes avec lui, qu’une seule et même culture. Effectivement la Grèce est née de l’Asie, recueillant par l’intermédiaire de la colonisation phénicienne le fruit de quelque 4 000 ans d’efforts menés par l’Egypte et la Babylonie
 
Son éclosion certes fut tardive puisque 1000 ans avant Homère, alors que les Grecs végétaient encore dans l’obscurité, les sujets de Thoutntosis jouissaient dans la vallée du Nil d’un art et d’un confort raffinés. En transmettant à l’Occident sicilien et italique l’héritage asiatique la Grèce devait y introduire les diverses religions arabes et notamment le christianisme puisque c’est en grec que le nouveau Testament parvint en Méditerranée occidentale. Pourquoi dans ces conditions, nous qui sommes les fils de l’hellénisme, continuerions nous à nous définir par rapport à la seule philosophie judéo-chrétienne ?Juifs et Chrétiens ne sont qu’un élément de l’apport hellénique. Fils de l’Asie, fils de l’arabisme nilo-mésopotamien, voilà ce que nous sommes en vérité. C’est la totalité du legs que nous revendiquons. Défions-nous donc des clichés passe-partout. Judaisme et Christianisme sont des termes qui masquent une vérité infiniment plus complexe et plus vaste, nous l’avons vu, que les castes où nous les enfermons. Il y a tant de choses troublantes au sujet des Juifs dans les histoires de Flavius Josèphe, dans les littératures grec que et latine, dans les Evangiles mêmes puisque saint Jean appelle « Juifs » les ennemis du Christ. Comment expliquer que Jésus, en contradiction ouverte avec la loi de Moïse, soit allé jusqu’à fêter sa Pâque à lui, à une date qu’il a choisie à contre-temps, puisque la célébration de la Pâque juive a coïncidé avec sa mort ? Autre question troublante : ces autres « Juifs », les Apôtres, qui ont rédigé les Evangiles à partir de l’an 70 ou 80, pourquoi ne mentionnent-ils nulle part un événement dont on nous dit qu’il a secoué la société juive : la destruction du Temple par Titus en l’an 70 précisément ? Pourquoi de son côté, Flavius Josèphe ne parle-t-il qu’ac- cidentellement de Jésus de Nazareth ? Autre interrogation tout aussi grave : les premières métropoles chrétiennes ne furent ni Jérusalem ni Nazareth mais les grandes capitales arabes de l’époque, Philadelphie, Ptolémaïs, Sardes, Pergame, Damas, Smyrne, Ephèse, Laodicée. Pourquoi l’Apocalypse qui est une lettre de Révélation (du grec apokalupteïn, découvrir) fut-elle adressée à la fin du i’siècle au 7 églises arabes d’Asie, celles là mêmes exactement qui abritaient les grands cultes d’Isis, de Baal, d’Orphée ? L’Apocalypse contient une imprécation contre « ceux qui se disent juifs et ne le sont pas, mais qui appartiennent à la synagogue de Satan ». Etrange aussi la déclaration de saint Paul qui appelle « Israël » l’ensemble des croyants, ajoutant pour épaissir l’énigme : « Ceux qui descendent d’Israël ne sont pas tous d’Israël ».
 
Les Evangiles disent aussi qu’il y avait des « Grecs qui montaient adorer à Jérusalem ». Que signifie, en l’occurrence, « Grecs » ? Que signifie « Juifs » ? Non décidément rien n’est simple dans ce jeu de terminologie et il faut penser sérieusement à nous défaire des habitudes prises concernant l’exclusivité de notre prétendu héritage judéo-chrétien ; cessons de nous en prévaloir ; invoquons plutôt la tradition gréco-asia tique. Y a-t-il meilleure façon d’échapper aux fausses catégories que sont l’aryanisme et le sémitisme ? Quant au judaïsme, orphisme, christianisme, manichéiste, islam, gnoses innombrables, les gens d’autrefois les considéraient comme les éléments d’un ensemble indivisible ; l’échange des dieux et des anges s’opérait aisément pour la simple raison que ces gens d’autrefois étaient profon dément des Croyants. Et c’est bien sans doute parce que nous ne le sommes plus que nous nous attachons furieusement à quelques points de dialectique auxquels nous avons réduit la religion. L’œil inexorablement fixé sur les mêmes fantômes nous perdons de vue la course du soleil. Avouons que notre horizon se borne à nous-mêmes et à quelques idées reçues qui nous confirment dans une haute idée de notre valeur. Laborieusement, scrupuleusement nous travaillons à parfaire l’image où nous nous complaisons. Tandis que les peuples de grande culture acceptent de vivre inconscients et intégrés corps et âme à leur histoire, nous autres, Européens, sommes travaillés par l’insomnie d’une quête perpétuelle. Les civilisations égyptienne, cananéenne, babylonienne ou ana- tolienne ont été étudiées séparément selon la méthode de la monographie, de même qu’a été inventé un « monde arabe » lui aussi à part ; poussant plus loin l’analyse nous avons distingué à l’intérieur de ces civilisations des sous-groupements provinciaux qui ont été à leur tour divisés puis sous divisés en corpuscules confessionnels, éthiques, familiaux etc. L’art de la dissection est allé si loin que les civilisations, sous notre microscope meurtrier, ont fini par se briser en miettes. Car dans le même temps que progressait la démarche analytique, reculait le goût de la synthèse sans laquelle pourtant il n’est pas d’histoire possible. Il paraît inconcevable à nos critiques de juger de l’histoire de l’Orient et de l’Occident non à partir de tel ou tel pays isolé, non en se fondant sur tel ou tel épisode, mais à partir d’une unité culturelle et sociologique dont tous les documents démontrent la cohé rence indiscutable. Militaires ou politiques les frontières tracées selon les besoins des professeurs ou des archéologues ne passent pas nécessairement par le cœur des hommes. Lorsque, dans une vision de synthèse, nous affirmons que l’Orient se définit par une culture arabe dans un espace arabe, nous n’inventons rien ; nous ne faisons que rassembler et réajuster l’un à l’autre les élé ments géographiques et culturels maintenus jusqu’ici dis persés par une volonté d’analyse excessive. Volonté qui est la première responsable de notre exclusion du monde réel.
 
Le second coupable est l’enseignement universitaire dispensé depuis la Renaissance exclusivement en faveur d’Athènes et de Rome devenues des Utopies rétrospectives dans lesquelles l’Européen, depuis le xve siècle, a cru découvrir l’apogée de ses idéaux. C’est à compter de cette époque que les Arabes cessent d’intéresser la culture européenne pour s’enfoncer dans des sables de plus en plus reculés d’où ils seront extraits au xxe siècle par les spécialistes du chameau, de la tribu, de la vendetta, des Bédouins. C’est aussi à partir de la Renaissance que, pour expliquer tout de même l’extrême raffinement artistique, industriel et scientifique de la période des Califes, on fait des Arabes les traducteurs et les adaptateurs des Grecs. La légende a la vie dure et il se trouve aujour d’hui encore, chez les Arabes eux-mêmes, des gens pour s’en prévaloir dans la défense et l’illustration des thèses arabisantes. Sous la plume d’un auteur bien intentionné nous lisons : « Si Avicenne n’avait pas traduit Aristote, saint Thomas d’Aquin n’aurait peut-être pas existé. » La vérité est autre ; elle est celle-ci : « Si la Grèce n’avait pas été formée à la culture arabe, Aristote n’aurait cer tainement pas existé. « Oui, au firmament de la Renaissance ne brillèrent qu’Athènes et Rome. Elles étaient l’alpha et l’omega de l’honnête homme. » Je veux lire en trois jours l’Iliade d’Homère « se promet Ronsard avec gourmandise. Dans son admirable toile de « l’Ecole d’Athènes » Raphaël s’est proposé de figurer l’architecture mentale de la parfaite humanité. Les pontifes catho liques de Rome revêtent la majesté militaire et juridique des Césars. Mais sous l’apparence des retrouvailles intel lectuelles avec l’antiquité débute en fait l’ère du rétrécis sement culturel, car si Athènes et Rome, qui ne furent que des puissances relativement modestes, envahissent à partir du xvesiècle toute la scène européenne, en contre partie s’efface de notre tradition le souvenir de l’immense culture arabe qui du Nil à l’Indus avait couvert une durée plusieurs fois millénaire. Avec les xviii“ et xix” siècles, sous l’influence des théoriciens de la démocratie et de la libre pensée qui allaient s’emparer des écoles et régner souverainement sur la rédaction des manuels scolaires, Athènes devint l’idole de l’enseignement républicain, la Rome des Brutus l’enseigne des vertus civiques. Carica turées en maîtresses du genre humain les deux capitales figurent au fronton des chapelles politiques, des professions de foi de la société libérale. La Prière sur l’Acropole d’Ernest Renan reste un chef-d’œuvre du genre en même temps qu’un bel exemple de niaiserie littéraire. En regard des Pyramides et des temples de Karnak ou de Louqsor, le Parthénon n’est pourtant qu’une bien petite chose ; petite chose la république athénienne qui entre la victoire de Salamine et la capitulation aux mains du Spar tiate Lysandre ne brilla guère plus de 70 ans. Les quelques 1 150 ans de la puissance romaine que sont-ils face aux 5000 ou 6 000 ans des civilisations égyptienne et babylonienne, issues de la nuit des temps, prolongeant encore de nos jours en terre d’Orient leur règne invul nérable ? Et encore est-ce à l’Orient que l’empire romain a dû de se perpétuer si longtemps, absorbé qu’il fut dès le règne d’Octave Auguste dans un ensemble culturel, religieux, politique qui coalisait l’Egypte, l’Anatolie, l’Asie mésopotamienne et syrienne. L’empire fut marqué du signe arabe sitôt qu’à la commande d’Agrippa, fut édifié à Rome par un architecte syrien le temple du Panthéon à l’aube de l’ère chrétienne. Avec les Flaviens débu tent les dynasties asiatiques. Rome se survivra en Byzance, Justinien sera le précurseur des Califes.
 
Athènes dans tout cela ? Une bourgade perdue. Si l’imagination et les partis pris esthétiques ou politiques l’ont magnifiée, l’histoire l’a mise à sa juste place. Ni le christianisme ni l’Islam n’ont pris le chemin de la capitale de Périclès ; ils ont pris celui de Damas, de Médine, de Jérusalem. Le Moyen-Age fasciné par l’Egypte et la Terre Sainte ne se souvient guère d’Athènes. L’œuvre maîtresse de l’époque, la Légende Dorée, qui rassemble au xiii”siè cle les traditions populaires de l’Europe, célèbre la Palestine, la Syrie, l’Egypte, Byzance, l’Anatolie ; quelques mots à peine sur Athènes. Or cette Légende Dorée, bien ignorée de nos jours, est une somme de connaissances et de sciences de toutes sortes qui constitue, avec l’œuvre de Dante qu’elle a inspirée, la plus importante réserve de thèmes artistiques, poétiques, liturgiques, qu’ait jamais connue la chrétienté. Ainsi des deux capitales de nos Humanités classiques, l’une Athènes a péréclité en banlieue de l’histoire ; météore au ciel des intellectuels, elle n’a rien apporté aux peuples d’Orient ou d’Occident ; l’autre, Rome, s’est fondue au creuset de la culture arabe dont elle est devenue par Byzance et par l’Eglise une héritière et un témoin. Tirons-en les réflexions propres à la remise en ordre de nos convictions.

Il est aussi grand temps que la confusion cesse entre l’histoire de certaines tribus malheureuses de la presqu’île arabique et l’histoire des Arabes. Pas plus que l’histoire de France ne se confond avec celle de la Lozère ou des cantons déshérités des régions alpines, la réalité et la culture arabes ne se limitent aux champs de parcours de ces trois ou quatre familles errantes dont les experts nous racontent lyriquement et confusément le destin miraculeux. Il n’est point de miracle en notre monde. Si la civilisation arabe s’est, en un clin d’œil, étendue des Pyrénées à l’Insulinde, c’est qu’elle n’était point l’apanage d’une poignée de mangeurs de lézards soudainement divinisés. Si la religion musulmane s’est propagée sur des continents entiers, si la langue arabe a connu une fortune que n’a encore atteinte aucune autre, si elle a été la langue du judaïsme, du christianisme, de l’Islam, de la gnose, des mystères et des magies, c’est bien parce qu’une imposante civilisation lui donnait une autorité dépas-

sant de loin telle colline du Hedjaz. A cette autorité ont obéi les Grecs puis les Romains et avec eux les Etrusques, avant que ne s’y rallient les royaumes Wisigoths d’Occident et les princes de l’Inde. C’est la raison pour laquelle il est aussi difficile de croire à une victoire grecque lors des guerres médiques qu’à une conquête d’Alexandre en Asie ; tout aussi difficile d’admettre une invasion militaire de l’Espagne par les seuls Arabes du Hedjaz. Dans un cas comme dans l’autre la disproportion des forces était telle qu’elle conduit à chercher ailleurs que dans les explications scolaires les raisons profondes de ce qui fut non pas un conflit mais une collaboration. Dans cette quête il suffira de se fier au bon sens. Il est généralement plus honnête que l’érudition.
 
Si nous rejetons comme fantaisiste et dénué de la moin dre valeur scientifique le concept de « peuple et langue sémitiques », si nous réfléchissons afin de voir clair et nullement pour nous complaire dans les idées reçues, si nous sommes résolus à ne rien emprunter au rêve, alors il faut définir l’arabisme comme une culture, comme la seule culture de l’Orient et entreprendre à la lumière de cette culture la révision de ce qui nous a été enseigné à l’école sous le titre l’Orient et la Grèce.

Nous n’y parviendrons qu’à la condition d’écarter la vision incohérente et fragmentaire de l’Orient que nous avons reçue de nos maîtres, précisant d’abord ce qui revient à l’Islam et ce qui ne lui revient pas. La politique de l’Islam, si elle a centralisé les pouvoirs, n’a point uni fié les nations ; cette unité nationale et territoriale dont Alexandre avait profité avant les Califes, l’Islam l’a héritée des siècles antérieurs. La politique de l’Islam n’a pas davantage promu la société arabe : cette société avait déjà été portée au plus haut niveau de la civilisation pal les ancêtres pharaoniques ou babyloniens. Sorti du désert l’Islam n’est pas retourné au désert mais s’est adressé dans leur langue et dans leur mentalité aux foules innom brables des grandes cités maritimes et fluviales. La religion révélée au Prophète était conforme à leur enten dement ; n’étant ni une innovation insolite ni une révolution ; elle accomplissait simplement les Traditions et les Ecritures précédentes ; elle ne niait ni ne reniait, elle intégrait ; les spiritualités de l’Orient multiples en appa rence mais une en essence elle les résumait en un acte de foi unique sur l’unicité de Dieu. Le Coran n’ajoute pas, il totalise ; le Coran ne discute pas, il conclut ; il ne divise pas, il rassemble. A proprement parler il n’est point une religion nouvelle. Il clame la soumission au Dieu de toujours, présent au passé comme à l’avenir, seul, immuable et incréé, remplissant l’univers. Ce n’est certes point là une conception née de l’écho au coin d’un désert mais bien la quintessence d’une méditation portée de siè cle en siècle au travers des plaines nilotiques, cananéen nes et mésopotamiennes ; on y retrouve la cosmogonie chaldéenne, la résurrection égyptienne ou chrétienne, l’espérance apocalyptique qui, avant de résonner dans la bouche de saint Jean avait déjà été entendue des disciples de la gnose. L’Islam n’a donc nullement surpris les peuples de l’Orient, il les a éclairés, ce qui est différent. Point n’a été besoin d’épée ni de persécutions pour les convertir. Ils étaient naturellement conduits à l’Islam par la pente de leur croyance ancestrale. Non seulement les Juifs et les Chrétiens mais encore les Mages, les Grecs, les adorateurs des diverses divinités y ont reconnu une parole qui ne leur était point étrangère. Pas plus que l’Islam n’a eu à conquérir de haute lutte l’opinion, les Arabes n’ont eu à conquérir militairement l’Orient et la Méditerranée où ils étaient chez eux depuis les temps reculés. En revanche ils ont culturellement conquis l’Occident européen et, par voie de conséquence, l’Occident américain en y introduisant leurs religions, leur philoso phie, leur esthétique. Vaste entreprise dans laquelle ils eurent pour alliés et intermédiaires l’hellénisme et le rejeton étrusque, levain des sociétés italiques. Durant longtemps c’est à l’hellénisme seul qu’on attribua cette initiation culturelle sans mesurer le miracle que cela aurait supposé, sans voir non plus que la Grèce n’était qu’un balcon et une annexe de l’édifice arabe de l’Orient, ce que les Grecs reconnaissaient eux-mêmes parfaitement.

Mais en l’occurrence nous fûmes plus Grecs que les Grecs. On risque de ne rien entendre à Périclès et à Eschyle si on ignore leur parenté asiatique. On se méprendrait sur l’Islam et sur les Arabes si on les détachait de leur géographie et de leur spiritualité maternelles. »

Pierre Rossi ; Le voile d’Isis
 
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