Sondage sur les «Français musulmans» et le Hamas : comment plusieurs médias de droite se sont arrangés avec les résultats

C’était «le choc» annoncé. Vendredi 15 décembre, le zemmouriste Damien Rieu prédisait sur les réseaux sociaux «une déflagration» après la publication «des résultats du sondage Ifop […] sur le soutien des musulmans de France à l’attaque jihadiste du Hamas [du] 7 octobre». A l’arrivée, les résultats dévoilés lundi 18 décembre révèlent plutôt «un soutien à la cause palestinienne, pas au Hamas», écrivent les auteurs de l’enquête dans leur synthèse des enseignements qu’ils en tirent. François Kraus, qui dirige le pôle «Politique et actualité» au sein du département Opinion de l’Ifop, confie d’ailleurs à CheckNews regretter «le teasing mensonger de Damien Rieu» à propos de cette étude consacrée au regard des «Français musulmans sur le conflit israélo-palestinien».

De fait, seule une poignée de médias (Valeurs actuelles, CNews, Europe 1, ou encore le Figaro) se sont emparés de ce sondage, qu’ils ont, faute de «choc» promis, restitué de façon largement biaisée. Chez les trois premiers, c’est «la sympathie pour le Hamas» qui est mise en avant. «Près d’un Français musulman sur cinq (19 %) exprime de la sympathie pour l’organisation terroriste du Hamas», peut-on ainsi lire dans l’article d’Europe 1. Le Figaro, de son côté, écrit qu’«une minorité, mais pas moins significative, de 19 % des Français musulmans déclare, se sentir “solidaires” à l’égard du Hamas».


25 % qui ressentent de l’antipathie ne sont pas (ou peu) cités​

Problème : aucun de ces médias ne fait apparaître qu’en parallèle, un quart (25 %) des 1 002 Français musulmans interrogés dans le cadre de ce sondage ont déclaré «éprouver de l’antipathie» pour le Hamas – tout juste CNews note que «25 % des Français musulmans interrogés condamnent l’action menée par le Hamas depuis l’attaque terroriste orchestrée le 7 octobre dernier en Israël», ce qui n’est pas exactement la même chose.

Ces 25 % qui ressentent de l’antipathie ne sont donc pas (ou peu) cités, alors qu’ils sont plus nombreux que les 19 % ayant répondu qu’ils éprouvent «de la sympathie». Surtout, une franche majorité (56 %) ont exprimé leur indifférence à l’égard du Hamas, déclarant n’éprouver «ni sympathie ni antipathie». Raison pour laquelle, dans leur publication, les chargés d’études de l’Ifop préfèrent souligner que «seule une minorité des Français musulmans expriment de la sympathie pour le mouvement islamiste du Hamas».

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Par ailleurs, Europe 1 et Valeurs actuelles occultent totalement une autre donnée. A la question précédente, les sondés devaient dire s’ils éprouvaient de la sympathie pour : l’Autorité palestinienne, le Hamas, Israël. Or 59 % des Français musulmans interrogés ont déclaré «éprouver de la sympathie» pour l’Autorité palestinienne, le gouvernement au pouvoir en Cisjordanie, qui est une autorité politique reconnue par la communauté internationale et non un mouvement islamiste comme le Hamas (qui recueille donc, lui, 19 % d’avis positifs, et Israël, 9 %).


Un chiffre qui devient, dans la bouche de CNews : «59 % des Français musulmans ont exprimé leur sympathie pour la cause palestinienne», quand le Figaro parle de «musulmans soutenant la Palestine (pas le Hamas) sur un principe de solidarité religieuse (59 %)». Des affirmations inexactes, dans la mesure où les sondés n’étaient interrogés ni sur leur sentiment à l’égard de la cause palestinienne ni de la Palestine en général, mais bien de l’Autorité palestinienne. La confusion vient probablement de la synthèse rédigée par l’institut de sondage, où figure la phrase suivante : «Reposant sur le principe d’une solidarité religieuse, la cause palestinienne semble bénéficier en France d’une aura indéniable chez les musulmans de France, si l’on en juge par le soutien qu’ils affichent à l’Autorité palestinienne : 59 % des Français musulmans expriment leur sympathie pour le pouvoir qui gère la Cisjordanie.»

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Le Figaro, lui, concentre son papier sur un autre résultat : les 45 % de Français de confession musulmane qui qualifient les attaques menées par le Hamas le 7 octobre d’«actions de résistance contre la colonisation» israélienne. Et parle alors de «majorité limitée (sic)».


Concernant «les actes du Hamas commis le 7 octobre en territoire israélien», 45 % du panel de Français musulmans ont effectivement préféré les caractériser d’«actions de résistance contre la colonisation». En face, cependant, 26 % des sondés ont répondu qu’ils les qualifieraient plutôt de «crimes de guerre», et 29 % ont déclaré y voir «des actes terroristes», soit 55 % au total pour ces deux derniers items. Ce qui fait d’ailleurs écrire à l’Ifop dans son analyse que «la majorité des musulmans français jugent négativement les actions du Hamas commises le 7 octobre en territoire israélien (55 %)».

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Par ailleurs, si les intitulés «actions de résistance contre la colonisation», «crimes de guerre» ou «attaques terroristes» correspondent, selon François Kraus, aux «trois hypothèses qui reflétaient le débat autour de la qualification de ces actes», les répondants n’avaient qu’«un seul choix possible» parmi les trois réponses proposées.


De même, les 1 002 musulmans interrogés étaient «obligés de se positionner» : alors que les items «ne sait pas» ou «ne se prononce pas» sont couramment proposés par les sondeurs, François Kraus explique que «les non-réponses posent problème dans les enquêtes en ligne». Dès lors, le «parti pris à l’Ifop est d’éviter si possible de les suggérer», par crainte qu’ils ne servent «d’items refuge» et «altèrent la qualité des résultats». Sauf qu’en choisissant de ne pas proposer la rubrique «ne se prononce pas», cela augmente d’autant plus la part relative des autres items dans le total des réponses.

Résultats mis en parallèle avec d’autres études​

Enfin, les comparaisons avec «l’ensemble des Français» – comme celle opérée par l’Ifop quand ses chargés d’études écrivent que «59 % des Français musulmans expriment leur sympathie pour le pouvoir qui gère la Cisjordanie, contre à peine 10 % des Français» – sont à appréhender avec prudence. En effet, les réponses des 1 002 Français musulmans sont tirées d’un questionnaire en ligne généré par l’Ifop à la demande d’Ecran de veille, une revue mensuelle qui entend «résister aux fanatismes». Mais les résultats de cette enquête sont mis en parallèle avec ceux issus d’autres études réalisées pour des clients différents, ce qui peut fausser la comparaison. S’agissant du panel «ensemble des Français» présenté en réponse aux deux questions qui nous ont intéressées ici (sur la sympathie éprouvée à l’égard du Hamas et sur la caractérisation des actes commis par le mouvement le 7 octobre), cet échantillon correspond aux 1 014 personnes qui avaient précédemment été interrogées dans le cadre d’une enquête commandée par le Conseil représentatif des institutions juives de France. Les résultats de ce sondage, deuxième vague de l’étude dédiée au «regard des Français sur le conflit israélo-palestinien», avaient été mis en ligne le 7 décembre, deux mois après le début des hostilités. A cette occasion, le terme «crimes contre l’humanité» avait été préféré à celui de «crime de guerre», un degré de gravité divergent qui peut influencer les réponses fournies.


Un choix méthodologique que François Kraus justifie par des «questions budgétaires», estimant qu’«il aurait été bête de reposer ces questions alors qu’on avait des réponses encore fraîches».


 
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