Souvenirs: celle qui devint ma femme (part 1)

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ahmed II

Sweet & Sour
Ou quand la musique réveille la mémoire

“Vous vous imaginez, par exemple, qu’une marche funèbre provoquera chez
tous des pensées tristes et solennelles et que n’importe quelle musique de
danse provoquera des pensées heureuses. En fait, ce n’est pas du tout le
cas. S’il m’arrive d’entendre pour la première fois, sous le coup d’une grande
infortune, un air gai, cet air provoquera en moi par la suite, et toute ma vie
durant, des pensées tristes et oppressantes. Et si un jour où je suis
particulièrement heureux, j’entends un air triste, cet air provoquera toujours
en moi des pensées heureuses. Il en est de même pour tout.” G. I. Gurdieff,
cité par Eugène Jacques dans son livre La musique et ses effets, Éd.
Québecor

Pour me faire plaisir, un internaute m’a envoyé une liste de musiciens tels
Jimi Hendrix, Jethro Tull, Yes, que je n’écoute plus depuis belle lurette,
mais comme j’ai une table tournante, j’ai eu l’envie d’essayer un 33 tours
des Doors. Et ce qui arriva arriva: des sillons du disque l’aiguille réveilla
d’anciens souvenirs.

“There will never be another one like you” The Doors

Je l'ai vue pour la première fois dans une exposition culturelle, à Paris: une
jolie femme de 29 ans, élégante. J'étais en train d'écouter du classique avec
des écouteurs. Elle avait retiré ses chaussures et lisait paisiblement,
absorbée. Le livre qu'elle tenait en main attira mon attention: un ouvrage
rare, même en Inde, qui traite des différentes formes de l’amour, du plus
anodin au plus extatique, celui entre Radha et Krishna. C’est ce genre de
littérature qu’aurait dû lire Octavio Paz avant d’écrire Lueur de l’Inde et
auquel je répondrai sévèrement. Toute la complexité et la beauté de la
tradition spirituelle visnouite y est traduite pour l’initié (en anglais, avec un
titre sanskrit dont je ne me rappelle plus le nom mais que je pourrais
traduire par Le cygne blanc royal). Je ne pus m'empêcher de l’approcher pour
lui exprimer mon étonnement. Elle connaissait l'Inde. Elle y avait voyagé
de long en large en 75 et rêvait d'y retourner. Exactement comme moi.
Puis j’ai repris mes écouteurs, elle, son livre.

Trois mois plus tard, alors qu'un matin je me prélassais dans l'immense
boutique de tapis indiens d'une amie, situé dans le centre commercial du
sous-sol des Halles, après une merveilleuse nuit passée, tout seul, sous
LSD, voilà qu'elle arrive; un phosphène enchanteur se matérialisait.
Fraîcheur et gaîté personnifiées, elle se dirigea droit vers moi pour me
saluer : un cadeau des dieux! Ravissant et spirituel, il me comblera d’amour
jusqu'à aujourd'hui alors que je publie ces lignes.

J'avais l'air d'«un pacha dans la caverne d'Ali Baba», selon ses propres
mots. Elle eut le coup de foudre mais se garda bien de le montrer. Le soir,
je l'accompagnai jusqu’à son domicile. Au moment de la quitter, sachant
que j’allais me louer une chambre d’hôtel, elle m’offrit de passer la nuit
chez elle, ce que je déclinai par politesse. Elle avait tant de grâce qu'à
aucun moment le moindre désir de jouissance sexuelle ne me posséda.
Respect total. Mais au fur et à mesure que je m'éloignais de son domicile et
de la féerie de la rencontre, les sens et l'imagination me rappelaient à ma
réalité d'homme!
 
Je dormis dans ma voiture, les hôtels affichant ''complet''. Ce fut une
nuit fort agitée, toute en courbatures, pendant laquelle je maugréais sur
mon stupide puritanisme. La semaine qui suivit fut insupportable.
Impossible de la rejoindre par téléphone et je ne connaissais pas encore
ses sentiments pour moi. J'étais tombé amoureux fou. Je fis 200 km, de
nuit, sous la pluie battante, pour me rendre chez elle, écoutant les Doors:


Girl ya gotta love your man
Girl ya gotta love your man
Take him by the hand
Make him understand
The world on you depends
Our life will never end
Gotta love your man, yeah

Mais la porte resta obstinément fermée. Elle n’était pas chez elle
On se maria trois mois plus tard à Toronto. 33 ans après, si c’était à refaire,
je dis oui sans hésitation -et tout pareil! Expérience que je résume dans ces quelques lignes :

Lors de notre rencontre, je l'ai trouvée si belle
qu’enchanté je fus de l'accompagner chez elle.
Des belles manières et du thé qu'elle me servit
je m'oubliai et contai les secrets de ma vie
Histoires de flèches et d'épées lues dans les Védas
qu'elle gobait, comme moi ses biscuits secs et sans gras
on se communiquait par osmose de passions
inconscients, le feu d'un amour en ébullition
Les choses avec le temps se gâtèrent de grains de sel
piquant ce lien aimanté que nous jurâmes éternel
mais alors que nous passons de la vie son milieu
en bonheur, cette union n'a point d'égal à nos yeux.

Ahmed, heureux
 
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