Syrie : pour les chrétiens, le dilemme de l’après-Assad
Les chrétiens de Syrie sont tiraillés entre le soulagement après la chute du régime dictatorial de Bachar al-Assad, et la crainte face à l’arrivée des islamistes au pouvoir.
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Sur le parvis de l’église latine de Damas, à la sortie de l’office, Mouayn descend les marches, le pas léger. « C’est la première fois qu’on ressent une telle joie à la sortie de la messe », dit-il. Paré de ses habits du dimanche, le Damascène âgé de 55 ans se dit « ému » de participer à la première messe dominicale depuis la chute d’Al-Assad. « Sous Bachar, on vivait dans la même peur que le reste des Syriens. Chrétiens et musulmans, nous avons tous été opprimés. Son départ est un réel soulagement », explique-t-il. Durant son règne, Bachar al-Assad a régulièrement instrumentalisé les chrétiens, se présentant comme un protecteur contre l’islam radical. « C’était un mensonge », s’exclame Mouayn, « de la propagande. C’est lui qui attisait les tensions ».
« Bachar ne protégeait pas les chrétiens »
Dans une pièce adjacente à l’église, une dizaine de fidèles sont réunis, café et biscuits à la main, dans une ambiance joviale. « Nous fêtons la fin de Bachar », affirme Marie, 72 ans. « Mon fils, Joseph, a été arrêté par la police du régime l’année dernière. Il est resté trois mois en prison », raconte-t-elle. « J’ai payé plusieurs milliers de dollars à l’Etat pour sa libération. Bachar ne protégeait pas les chrétiens. »Marie arbore une écharpe bleue avec l’inscription Legio Mariae, un organisme chrétien de soutien aux populations pauvres. « Nous distribuons de la nourriture et offrons un soutien moral », dit-elle. « Je connais donc bien les chrétiens de Damas. Tous sont soulagés par le départ de Bachar, mais ils se posent des questions sur l’avenir. » A ses côtés, son amie, Souhad, acquiesce. « Je ne veux pas être obligée de porter le voile », dit-elle, faisant mine de poser son foulard sur sa tête en ricanant.
Les chrétiens, dans leur ensemble, se montrent soulagés par le départ du clan Assad, mais les craintes émergent entre les lignes. L’arrivée des islamistes de Hay’at Tahrir al-Sham (HTS), formation islamiste dominante chez les rebelles victorieux, plonge la minorité chrétienne dans l’inconnu. Le Premier ministre chargé de la transition, Mohammad el-Bachir, a affirmé que la coalition « garantira » les droits de toutes les confessions. Les rebelles veulent se montrer rassurants, mais les responsables religieux chrétiens sont prudents. Mercredi, le pape François a exprimé le souhait que « le peuple syrien puisse vivre en paix et en sécurité dans sa terre aimée et que les diverses religions puissent cheminer ensemble dans l’amitié et le respect réciproque ».
« Depuis qu’ils ont pris le pouvoir, les rebelles font beaucoup de promesses », affirme le père Firas, franciscain qui officie dans l’église latine. « Ils affirment que les chrétiens sont une part essentielle de la nation, mais nous attendons de voir des actes. » Depuis la victoire rebelle, inquiets pour l’avenir, les responsables des communautés chrétiennes de Syrie se sont réunis à plusieurs reprises. « Nous souhaitons faire activement partie de la formation de la Syrie de demain », dit le père Firas, « être des citoyens à part entière et non pas des sujets que la loi islamique tolérerait ».