Torturé et empoisonné, Mikheïl Saakachvili se refuse à succomber à Vladimir Poutine


C’est d’une écriture faible et vacillante que l’ancien président fièrement pro-européen de la Géorgie, Mikheïl Saakachvili, répond, depuis sa prison de Tbilissi et grâce à la collaboration d’un intermédiaire, aux questions du Soir. Aujourd’hui, celui qui a toujours aimé se faire appeler « Misha » n’est que l’ombre du leader audacieux et progressiste qui avait osé s’opposer à Vladimir Poutine. Le mercure et l’arsenic, par lesquels il a été empoisonné, sont la preuve de la vengeance tardive d’un régime russe qui règle toujours ses comptes. Arrêté au mois d’octobre 2021, dès son retour en Géorgie, après huit ans d’exil à l’étranger, Saakachvili se meurt ainsi en détention mais se refuse à oublier ses combats, ses élans, au nom de la liberté et son amour viscéral pour l’Europe.

Il y a quinze ans, Vladimir Poutine a juré qu’il aurait votre peau. Or, vous venez d’être empoisonné en prison. Le président russe n’oublie-t-il jamais ses ennemis ?

Depuis mon retour en Géorgie, j’ai été arrêté, torturé puis empoisonné avec des métaux lourds. Il y a, sans l’ombre d’un doute, la signature de Vladimir Poutine derrière tout cela. Mon empoisonnement a été confirmé par des toxicologues allemands et américains, qui ont même réussi à identifier la date exacte de mon intoxication.
Depuis, j’ai perdu soixante kilos, je souffre de troubles neurologiques et de la mémoire, je suis atteint d’une fièvre constante et je perds régulièrement connaissance.

Comment Poutine a-t-il pu imaginer un seul instant que l’armée russe aurait été en mesure de faire tomber Kiev en quelques jours seulement ?

Je connais très bien l’Ukraine. J’ai fait mes études universitaires à Kiev et j’ai longtemps vécu dans le pays, ayant été nommé conseiller présidentiel puis gouverneur de la région d’Odessa. A la lumière de mes nombreuses conversations avec Poutine, je peux vous dire qu’il est absolument obsédé par la ville de Kiev. Il aurait même envisagé d’en faire une nouvelle capitale russe ! Il rêve, en effet, de se tailler une place dans l’histoire, comme s’il était une sorte de réincarnation du tsar Pierre le Grand, mais il n’a toujours pas compris que personne, à Kiev, ne veut de lui.


Faut-il prendre au sérieux les menaces nucléaires réitérées des autorités russes ?
Poutine n’utilisera jamais l’arme nucléaire, même si la situation devait soudain empirer pour les Russes. Il faut que l’on en soit tous bien conscient. C’est une brute, mais il sait aussi très bien instrumentaliser sa colère pour désorienter, effrayer, voire paralyser l’adversaire. Je me souviens d’un entretien très tendu que j’ai eu avec lui. Il était fou de rage puisque je ne ressentais visiblement aucune peur à son égard. Il a alors enfoncé ses ongles dans la chair de mes genoux, me regardant droit dans les yeux. « Je ne suis pas en train de bluffer », m’a-t-il lancé. Or, c’est exactement ce qu’il est en train de faire aujourd’hui avec la communauté internationale.

Les sanctions occidentales sont-elles en train de faire plier véritablement le moral et l’économie russes ?
Ces sanctions sont indispensables pour déstabiliser les élites. Or, ce sont ces dernières qui décident de tout en Russie. Poutine aura toujours assez d’argent pour se doter de nouvelles armes mais pas assez de richesses pour satisfaire les appétits de cette nomenklatura.

Quel sera, selon vous, le destin politique du président russe ?

Un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pèse désormais sur lui en raison des crimes commis en Ukraine. Une situation explosive pour son entourage, qui représente le cœur même du pouvoir russe. Une minorité exiguë de privilégiés qui menaient une existence bien agréable en Europe et aux Etats-Unis. Or, ils se savent tous empêtrés dans une situation devenue intenable à cause de la folie de leur président. Un équilibre qui n’est pas appelé à durer…

Nombreux sont ceux qui, en Occident, pensent que le président Poutine a effectivement perdu toute rationalité…

Poutine était omnipotent, il avait tout. Mais il était rongé par le désir de prendre sa revanche au nom d’un empire soviétique désintégré par la fin de la guerre froide. Et il essaie aujourd’hui de se venger aussi de la guerre éclatée entre la Russie et la Géorgie, en 2008. Un conflit qui, grâce à la courageuse résistance du peuple géorgien et, surtout, au soutien américain et européen, ne s’est pas terminé comme il l’aurait souhaité. C’est justement à la fin de ce douloureux affrontement militaire qu’il a juré publiquement qu’il m’aurait fait pendre par les testicules sur la place publique.

 
Entre offensives et contre-offensives, la paix en Ukraine semble s’éloigner un peu plus chaque jour. Quand et comment cette guerre prendra-t-elle fin ?
Les Ukrainiens sont maîtres dans l’art de la résilience, des attaques inattendues et de la ruse militaire. Ce n’est qu’une question de semaines : Kiev lancera bientôt une offensive qui brisera la colonne vertébrale de ce qui reste de la machine militaire russe dans le pays. Tous les yeux sont aujourd’hui rivés sur les combats qui ensanglantent la petite ville de Bakhmout, mais les vrais affrontements à venir se profilent ailleurs et… nous sommes prêts.

Les pays baltes et la Moldavie craignent que les appétits du Kremlin ne s’arrêtent pas en Ukraine… Des peurs justifiées ?

Si, par malheur, l’Ukraine devait succomber à l’ennemi russe, il est évident que Moscou poursuivra sa lancée vers l’Ouest. Mais Kiev résistera, j’en suis certain. Et alors, la Moldavie, par exemple, et sa présidente, mon amie Maia Sandu, se retrouveront à nouveau en position de force, et la Transnistrie sera reconquise sans qu’un seul coup de feu ne soit tiré.

Les Géorgiens, tout comme les Ukrainiens, ont une véritable soif d’Europe. Ces deux pays réussiront-ils à rejoindre un jour la grande famille européenne malgré la féroce opposition du Kremlin ?

Lorsque l’Ukraine sortira victorieuse de cette guerre et que la Géorgie saura se débarrasser du régime oligarchique qui la contrôle, en rétablissant les règles du jeu démocratique, le rêve européen de ces deux nations se réalisera enfin. Le Kremlin n’aura alors aucun moyen d’interférer avec notre élan. Je pense à un horizon temporel d’un an, un an et demi.

L’opposition entre la Russie et l’Occident n’est pas seulement politique et militaire : elle est aussi culturelle et idéologique. S’agit-il là de deux visions du monde irrémédiablement antagonistes ?

Je viens de recevoir un message de la part de l’opposant russe Alexeï Navalny, par lequel il me présente ses excuses ainsi qu’à toute la population géorgienne pour des propos un peu chauvins tenus par le passé. Prisonnier politique comme moi, il m’exprime, de même, toute sa solidarité. Avec la défaite russe et la disparition politique de Poutine, Navalny, ou un homme de son envergure, pourrait reprendre les rênes du pouvoir à Moscou. Ce qui marquerait la fin de cet antagonisme historique entre l’Occident et la Russie.

Environ 80 % des Géorgiens qui manifestent aujourd’hui contre leur gouvernement pro-russe sont jeunes, voire très jeunes. Comment l’expliquez-vous ?

Selon un récent sondage mené par l’organisation américaine International Republican Institute, 89 % des Géorgiens rêvent de pouvoir adhérer à l’Union européenne, et 60 % sont en faveur de ma libération immédiate, ce qui souligne bien l’échec total de la propagande russe. Ces jeunes pro-européens font partie de la « Génération Misha », ils sont nés au moment de la Révolution des Roses, lancée en 2003. Ils n’ont pas connu la Géorgie de l’ère soviétique, privée d’électricité, ravagée par la pauvreté, la corruption et le crime organisé. Nous avons donné un ordinateur gratuit à chaque petit Géorgien, invité des milliers de professeurs américains et remplacé la langue russe par l’anglais… Ils sont les enfants du printemps démocratique géorgien.

Depuis votre empoisonnement, vous espérez pouvoir vous rendre en Europe pour sauver votre vie. Que pourrait faire l’UE pour vous aider dans ce projet primordial ?

Les vingt-sept ambassadeurs de l’UE ont conclu un accord avec le gouvernement géorgien pour autoriser une mission de médecins européens à mon chevet. Plus de deux mois se sont écoulés et… encore rien ! Entre-temps, ma santé ne cesse de se dégrader. De même, le Parlement européen a voté, presque à l’unanimité, en faveur de ma libération et de mon transfert en Europe, mais cette décision n’a pas encore été respectée. Par leur obstruction, les autorités géorgiennes affichent un manque de respect total vis-à-vis de Bruxelles. Ne vous laissez pas humilier de la sorte !
 

Bjorn

Мир без Путина، زندگی، آزادی Слава Україні
Bladinaute averti
Il ne fait pas bon s'opposer à poutine, si ce n'est pas une balle, c'est le poison,

Alexeï Navalny, empoisonné, condamné à mourir en prison

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Boris Nemtsov, exécuté sous les murs du kremlin, le lieu le plus fliqué au monde

Vladimir Kara-Murza, empoisonné à deux reprises, condamné à mourir en prison

Sergueï Skripal, empoisonné


A voir et revoir
Russie, le poison autoritaire, documentaire de Stéphane Bentura (Fr., 2021, 53 min).
Disponible en replay sur Arte.tv
 
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