Le palais de justice de Besiktas, à Istanbul, est, depuis lundi, en état de siège. Une cinquantaine d'officiers de l'armée turque, arrêtés par la police, y sont entendus par des procureurs civils et sont accusés d'avoir fomenté un complot pour renverser le gouvernement islamo-conservateur, au pouvoir depuis 2002.
Douze hauts gradés, dont deux amiraux en activité, ont été inculpés et écroués, mercredi 24 février. Jeudi, ce sont deux anciens chefs de corps, le général Ibrahim Firtina, et l'amiral Özden Örnek, ex-commandants de l'armée de l'air et de la marine, qui devaient être présentés au parquet. Ce vaste coup de filet vise les auteurs présumés d'un projet de coup d'Etat datant de 2003, baptisé "Balyoz" ("masse de forgeron"), révélé en janvier par le journal Taraf.
Selon les documents publiés, le plan "Balyoz" prévoyait de déstabiliser le gouvernement en lançant une série d'attaques spectaculaires, contre des chasseurs grecs au-dessus de la mer Egée et contre des mosquées à Istanbul. Des dizaines de milliers d'opposants et d'intellectuels, devaient être mis sous les verrous.
En arrêtant ces officiers, "la Turquie a fait son plus grand pas pour se débarrasser d'un régime semi-militaire sous lequel les coups d'Etat n'ont jamais été traités comme des crimes", écrit Yasmin Congar, rédactrice en chef adjointe de Taraf.
"MOMENT CRUCIAL DU PROCESSUS DE DÉMILITARISATION"
Ces arrestations sans précédent constituent une nouvelle escalade dans la guerre pour le pouvoir que se livrent, depuis 2002, le Parti de la justice et du développement (AKP) issu de la mouvance islamiste, et l'omnipotente institution militaire, qui se considère comme la gardienne des institutions nées de la junte au début des années 1980. Avec l'élection du gouvernement de Recep Tayyip Erdogan, le pouvoir des militaires s'est érodé, sous l'effet des réformes engagées dans le cadre des négociations avec l'Union européenne.
"C'est aujourd'hui un moment crucial du processus de démilitarisation du régime et de la société turque, estime le politologue Ali Bayramoglu. Mais le système de tutelle militaire est très profond. C'est une histoire de cent cinquante ans. Cela demande un parcours long et conflictuel. Il y aura encore des résistances mais c'est irréversible."
Jeudi matin, le premier ministre, M.Erdogan, le président de la République, Abdullah Gül, et le général Basbug tenaient une réunion pour tenter de montrer un semblant d'unité face à cette nouvelle crise. La rumeur d'une démission de l'état-major s'est propagée, mercredi. Le chef des armées, dont le mandat se termine en août, est sous la pression des faucons qui le poussent à une réaction forte contre le pouvoir civil.
Quatre gouvernements ont déjà été renversés par la force depuis 1960. Mais, depuis 2002, l'intrusion des militaires dans le jeu politique a pris des formes moins directes. Les généraux ont d'abord boycotté les réceptions officielles, pour protester contre la présence des femmes des responsables de l'AKP, vêtues d'un foulard islamique.
Le lobby militaire a ensuite organisé de grandes manifestations "laïques" en 2007, contre la candidature d'Abdullah Gül à la présidence de la République Sans succès. C'est enfin une action judiciaire menée par le procureur de la Cour de cassation qui, en 2008, a failli conduire à la dissolution du parti au pouvoir pour "activités antilaïques". Une procédure qui pourrait être de nouveau à l'ordre du jour, comme l'a laissé entendre le procureur de la Cour de cassation, Abdurrahman Yalçinkaya.
A un an des prochaines législatives, une telle manuvre de la part des militaires et de leurs alliés, nombreux au sein de l'appareil judiciaire, risquerait de provoquer des élections anticipées et une nouvelle victoire écrasante de l'AKP, selon Ali Bayramoglu.
Ces menaces répétées contre les hommes d'Erdogan ont renforcé les antagonismes. Menacé, l'AKP s'est replié sur ces certitudes, sans pour autant entreprendre les réformes nécessaires à la démocratisation du pays, comme la refonte de la Constitution, attendue de longue date par l'Union européenne mais contestée par l'armée et par l'opposition.
Solidement installé au pouvoir, le parti islamo-conservateur est entré dans une phase de revanche politique. Avec le soutien tacite des Etats-Unis, selon l'éditorialiste et professeur d'économie, Mehmet Altan : "Ils ne pourraient pas agir sans un accord américain, l'armée turque est la deuxième de l'OTAN, rappelle-t-il. L'AKP cherche un compromis avec l'armée, son but n'est pas une révolution démocratique." Washington a souhaité, mercredi, que les arrestations de militaires turcs s'inscrivent dans un "processus transparent".
Guillaume Perrier
Le Monde
Douze hauts gradés, dont deux amiraux en activité, ont été inculpés et écroués, mercredi 24 février. Jeudi, ce sont deux anciens chefs de corps, le général Ibrahim Firtina, et l'amiral Özden Örnek, ex-commandants de l'armée de l'air et de la marine, qui devaient être présentés au parquet. Ce vaste coup de filet vise les auteurs présumés d'un projet de coup d'Etat datant de 2003, baptisé "Balyoz" ("masse de forgeron"), révélé en janvier par le journal Taraf.
Selon les documents publiés, le plan "Balyoz" prévoyait de déstabiliser le gouvernement en lançant une série d'attaques spectaculaires, contre des chasseurs grecs au-dessus de la mer Egée et contre des mosquées à Istanbul. Des dizaines de milliers d'opposants et d'intellectuels, devaient être mis sous les verrous.
En arrêtant ces officiers, "la Turquie a fait son plus grand pas pour se débarrasser d'un régime semi-militaire sous lequel les coups d'Etat n'ont jamais été traités comme des crimes", écrit Yasmin Congar, rédactrice en chef adjointe de Taraf.
"MOMENT CRUCIAL DU PROCESSUS DE DÉMILITARISATION"
Ces arrestations sans précédent constituent une nouvelle escalade dans la guerre pour le pouvoir que se livrent, depuis 2002, le Parti de la justice et du développement (AKP) issu de la mouvance islamiste, et l'omnipotente institution militaire, qui se considère comme la gardienne des institutions nées de la junte au début des années 1980. Avec l'élection du gouvernement de Recep Tayyip Erdogan, le pouvoir des militaires s'est érodé, sous l'effet des réformes engagées dans le cadre des négociations avec l'Union européenne.
"C'est aujourd'hui un moment crucial du processus de démilitarisation du régime et de la société turque, estime le politologue Ali Bayramoglu. Mais le système de tutelle militaire est très profond. C'est une histoire de cent cinquante ans. Cela demande un parcours long et conflictuel. Il y aura encore des résistances mais c'est irréversible."
Jeudi matin, le premier ministre, M.Erdogan, le président de la République, Abdullah Gül, et le général Basbug tenaient une réunion pour tenter de montrer un semblant d'unité face à cette nouvelle crise. La rumeur d'une démission de l'état-major s'est propagée, mercredi. Le chef des armées, dont le mandat se termine en août, est sous la pression des faucons qui le poussent à une réaction forte contre le pouvoir civil.
Quatre gouvernements ont déjà été renversés par la force depuis 1960. Mais, depuis 2002, l'intrusion des militaires dans le jeu politique a pris des formes moins directes. Les généraux ont d'abord boycotté les réceptions officielles, pour protester contre la présence des femmes des responsables de l'AKP, vêtues d'un foulard islamique.
Le lobby militaire a ensuite organisé de grandes manifestations "laïques" en 2007, contre la candidature d'Abdullah Gül à la présidence de la République Sans succès. C'est enfin une action judiciaire menée par le procureur de la Cour de cassation qui, en 2008, a failli conduire à la dissolution du parti au pouvoir pour "activités antilaïques". Une procédure qui pourrait être de nouveau à l'ordre du jour, comme l'a laissé entendre le procureur de la Cour de cassation, Abdurrahman Yalçinkaya.
A un an des prochaines législatives, une telle manuvre de la part des militaires et de leurs alliés, nombreux au sein de l'appareil judiciaire, risquerait de provoquer des élections anticipées et une nouvelle victoire écrasante de l'AKP, selon Ali Bayramoglu.
Ces menaces répétées contre les hommes d'Erdogan ont renforcé les antagonismes. Menacé, l'AKP s'est replié sur ces certitudes, sans pour autant entreprendre les réformes nécessaires à la démocratisation du pays, comme la refonte de la Constitution, attendue de longue date par l'Union européenne mais contestée par l'armée et par l'opposition.
Solidement installé au pouvoir, le parti islamo-conservateur est entré dans une phase de revanche politique. Avec le soutien tacite des Etats-Unis, selon l'éditorialiste et professeur d'économie, Mehmet Altan : "Ils ne pourraient pas agir sans un accord américain, l'armée turque est la deuxième de l'OTAN, rappelle-t-il. L'AKP cherche un compromis avec l'armée, son but n'est pas une révolution démocratique." Washington a souhaité, mercredi, que les arrestations de militaires turcs s'inscrivent dans un "processus transparent".
Guillaume Perrier
Le Monde