Photos sans Lumières
Le mois dernier, Mme Bibi Aisha a fait la couverture de Time Magazine. Mutilée, prétend-on, par des talibans afghans, Mme Aisha na plus ni oreilles ni nez (1). En Iran, Mme Sakineh Mohammadi-Ashtiani, déjà fouettée pour adultère, a été par surcroît condamnée à une peine de lapidation. Son visage encore intact est devenu un signe de ralliement contre le régime de Téhéran. Ces deux images de femmes font réfléchir, mais à quoi ? Pas à la férocité des islamistes afghans : les Soviétiques lavaient déjà éprouvée à une époque où, avec la bénédiction des intellectuels médiatiques, les Occidentaux armaient les fondamentalistes. Les photos ne nous révèlent rien non plus sur le régime du président Mahmoud Ahmadinejad : les fraudes électorales de ses partisans et la répression de ses opposants, pendaisons incluses, en ont établi la nature.
Au lieu de susciter la réflexion, ces images ne risquent-elles pas plutôt de la contraindre en adossant de manière intentionnelle ou non un symbole irrésistible (mutilation que lon aimerait châtier, exécution quon voudrait conjurer) à un projet stratégique hasardeux (poursuite de la guerre en Afghanistan, escalade des sanctions contre lIran) ? Plus le symbole est puissant, moins le projet requiert dêtre argumenté, lémotion faisant passer ce que la réflexion eût arrêté. Pour donner un sens éditorial à son récit du supplice de Mme Aisha, Time Magazine a titré : « Ce qui arrivera si nous quittons lAfghanistan ». Quelques jours plus tôt, soixante-dix-sept mille documents publiés par le site WikiLeaks avaient pourtant confirmé léchec moral, politique et militaire de la guerre occidentale. Mais le choc dune image réclame moins de temps que la lecture critique de plusieurs milliers de pages. Une photo contre les Lumières.
Longtemps les partisans de la peine de mort ont justifié ce supplice en mettant en avant un assassinat horrible, celui dun enfant de préférence. Caméras de surveillance, systématisation des tests de dépistage antidrogue, peines de prison incompressibles, castration chimique des délinquants sexuels : bien des mesures attentatoires aux libertés publiques dont celle daller et venir sans être observé ni fiché ont été adoptées dans le sillage dune photo choc, dun crime que le dispositif en question aurait peut-être prévenu. Un « symbole » peut aussi relayer de justes combats quon pense à Guernica ou à Abou Ghraib. Mais une mobilisation impulsée par ce seul ressort sera vite supplantée par dautres émotions contraires, tant est inépuisable le stock des victimes disponibles.
Le mois dernier, Mme Bibi Aisha a fait la couverture de Time Magazine. Mutilée, prétend-on, par des talibans afghans, Mme Aisha na plus ni oreilles ni nez (1). En Iran, Mme Sakineh Mohammadi-Ashtiani, déjà fouettée pour adultère, a été par surcroît condamnée à une peine de lapidation. Son visage encore intact est devenu un signe de ralliement contre le régime de Téhéran. Ces deux images de femmes font réfléchir, mais à quoi ? Pas à la férocité des islamistes afghans : les Soviétiques lavaient déjà éprouvée à une époque où, avec la bénédiction des intellectuels médiatiques, les Occidentaux armaient les fondamentalistes. Les photos ne nous révèlent rien non plus sur le régime du président Mahmoud Ahmadinejad : les fraudes électorales de ses partisans et la répression de ses opposants, pendaisons incluses, en ont établi la nature.
Au lieu de susciter la réflexion, ces images ne risquent-elles pas plutôt de la contraindre en adossant de manière intentionnelle ou non un symbole irrésistible (mutilation que lon aimerait châtier, exécution quon voudrait conjurer) à un projet stratégique hasardeux (poursuite de la guerre en Afghanistan, escalade des sanctions contre lIran) ? Plus le symbole est puissant, moins le projet requiert dêtre argumenté, lémotion faisant passer ce que la réflexion eût arrêté. Pour donner un sens éditorial à son récit du supplice de Mme Aisha, Time Magazine a titré : « Ce qui arrivera si nous quittons lAfghanistan ». Quelques jours plus tôt, soixante-dix-sept mille documents publiés par le site WikiLeaks avaient pourtant confirmé léchec moral, politique et militaire de la guerre occidentale. Mais le choc dune image réclame moins de temps que la lecture critique de plusieurs milliers de pages. Une photo contre les Lumières.
Longtemps les partisans de la peine de mort ont justifié ce supplice en mettant en avant un assassinat horrible, celui dun enfant de préférence. Caméras de surveillance, systématisation des tests de dépistage antidrogue, peines de prison incompressibles, castration chimique des délinquants sexuels : bien des mesures attentatoires aux libertés publiques dont celle daller et venir sans être observé ni fiché ont été adoptées dans le sillage dune photo choc, dun crime que le dispositif en question aurait peut-être prévenu. Un « symbole » peut aussi relayer de justes combats quon pense à Guernica ou à Abou Ghraib. Mais une mobilisation impulsée par ce seul ressort sera vite supplantée par dautres émotions contraires, tant est inépuisable le stock des victimes disponibles.