Cyrine77
ne rentre pas dans le moule, ne soit pas une tarte
« J’ai passé un hiver entier dans ma ville de Nîshâpûr, sans voyager, sans désir d’enrichir ma bibliothèque, sans essayer d’apprivoiser le désert, l’isolement, sans envie de connaître les extravagances, les paroles folles. Cependant, dans la mosquée de Nîshâpûr, celle où je priais depuis mon enfance, j’ai croisé un prédicateur hors du commun. J’ai essayé de retenir ses mots. C’était un homme de taille moyenne, imberbe et légèrement potelé. Son turban se déplaçait constamment sur sa tête, glissait sur son front, retombait en arrière, ce qui l’obligeait à l’ajuster en permanence. À peine assis sur la dernière marche de la chaire, il étendait ses pieds et les posait deux marches plus bas pour faire croire que ses jambes étaient longues. J’assistais à tous ses prêches. Il commençait toujours à prier pour les voleurs, ceux qu’on appelle râhzan, les coupeurs de route. D’une main, il ajustait son turban rebelle et de l’autre il montrait le ciel en criant :— Ya Allâh, dispense Ta Miséricorde sur ceux qui sont mauvais, ceux qui pèchent, ceux qui corrompent, ceux qui ridiculisent les hommes de bien, ceux qui ne croient pas en notre religion. Un jour, pourtant, un fidèle interrompit le prêche de l’imberbe imam en ces termes :— Tu ne pries que pour les méchants. C’est inadmissible !L’imam, ajustant d’une main son turban qui recouvrait à ce moment-là presque tout son front, répondit :— Je prie pour eux parce qu’ils m’ont fait du bien.L’homme demanda avec un sursaut de rage dans la voix :— Non seulement tu ne pries pas pour les purs, mais tu oses affirmer en pleine chaire que les souillés t’ont fait du bien ?L’imam répondit :— Oui, mon ami. Ces hommes que tu appelles souillés, ces méchants, ces injustes, ces violents, me dirigèrent du mal vers le bien. Chaque fois que je tournai mon visage vers ici-bas, ils m’infligèrent un coup, une blessure. Mon bon ami, ce sont justement ces coups et ces blessures qui me firent prendre refuge dans l’au-delà. Mon bon ami, ce sont justement les loups qui m’indiquèrent le bon chemin. C’est pour cela que je prie pour eux.Il réajusta son turban et continua :— Les hommes se plaignent des centaines de fois devant Allâh de leur souffrance, de leur blessure, de leur douleur.