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PLD (Peace, Love and Diversity)
http://www.lesoir.be/398015/article...lles-vaut-plus-qu-un-non-debat-et-des-cliches
Fusillade Porte de Ninove: «Bruxelles vaut plus qu’un non-débat et des clichés»
Rédaction en ligne
Mis en ligne jeudi 9 janvier 2014, 14h20
Yamila Idrissi, parlementaire bruxelloise SP.A, estime que la fusillade a été une occasion de plus pour « cracher sur Bruxelles ». Carte blanche
n début de semaine, l’émission Reyers Laat sur la Een a consacré une séquence longue aux événements de la porte de Ninove, où dans la nuit, un jeune homme a vélo s’est fait tirer dessus à balles réelles par des inconnus. Cet événement a mis la Flandre en émoi, nombre d’intervenants évoquant l’impossibilité de vivre à Bruxelles, ville dangereuse. Reyers Laat a donné la parole à deux intervenants flamands vivant à Bruxelles, qui abondaient dans ce sens.
Yamila Idrissi, parlementaire flamande sp.a, vivant à Bruxelles, près de ce quartier, et d’origine marocaine, a publié une carte blanche dans De morgen adressée sous forme de lettre au présentateur de cette émission. Elle s’insurge contre cette vision unique et évoque son Bruxelles. Elle est à l’origine du projet de musée d’art contemporain, le MAK, qui pourrait être localisé au Canal.
Voici sa carte blanche.
« Nous nous fourvoyons »
«
Cher Lieven Van Gils, chère rédaction de Reyers Laat,
Chaque jour, Reyers Laat m’offre un regard serein sur des sujets qui touchent notre société. Le programme étanche toujours avec verve ma soif d’informations de fond, de débats, d’opinions et de nuances. Cependant, lundi, après la diffusion sur la fusillade de Bruxelles, je suis restée sur ma faim avec un sentiment mitigé : d’indignation et de déception. D’indignation car la violence gratuite a été réduite à une attaque des « kutmarokkanen » (un terme que l’on pourrait traduire par « Marocains à la *** ») de Molenbeek. De déception car le débat sur Bruxelles s’est une fois de plus terminé en un non-débat stigmatisant qui a confirmé tous les clichés sur ma ville.
Reyers Laat avait toutefois débuté par une vidéo pertinente. Trois jeunes ont pris la parole. L’un d’entre eux demandait de la propreté, un autre de la sécurité et le dernier ne voulait plus de drogue dans nos rues et une plus grande présence policière. Hasard ou non, il s’agissait de trois enfants de couleur, nés et élevés à Bruxelles.
J’avais espéré que l’émission se penche également sur ce que la violence gratuite peut faire d’un être humain, sur l’aversion de notre société pour ces actes lâches et sur les rêves et souhaits de ces trois enfants. Mais nous avons été conviés à un autre débat dont les maîtres-mots étaient : étrangers, terrorisme, extrémisme, Roumains et Bulgares, « kutmarokkanen« , allochtones et petits projets sociaux insipides pour un Marocain derrière un comptoir dans le secteur culturel. Et oui, cela parlait bien de l’amour de Bruxelles, mais encore plus de cracher sur notre ville. Les défis actuels de notre société, comme le vol, l’homophobie et la violence, ont été abordés à juste titre, car Bruxelles, en tant que grande ville, y est confrontée. Mais au moment où les auteurs de l’incident de la semaine dernière n’ont pas encore été appréhendés et que nous ne connaissons par leur identité, les personnes en studio sont parties du principe qu’il devait s’agir de jeunes hommes marocains de Molenbeek, sans perspective d’avenir. La conclusion était sans équivoque : la politique d’intégration a échoué. Reductio ad absurdum. Ce fut un non-débat dans lequel tous les clichés et boutades ont été passés en revue et jetés en vrac sur un tas. Une balle tirée, au sens figuré, dans le dos de tous les jeunes de Bruxelles. Plus d’une fois, j’ai pensé à ce que vous avez littéralement dit à la fin, Lieven : « Nous nous fourvoyons ».
Permettez-moi d’être claire, l’incident de la semaine dernière est atroce, inacceptable et condamnable. Aussi lâche et inutile que le meurtre de Luna et Oulematou à Anvers ou de Shana et Kevin dans le Limbourg. Mais Anvers ou le Limbourg ont-elles été réduites à l’époque à une ville ou une province où les armes font la loi ? Pourquoi est-ce le cas pour Bruxelles ?
Amour-haine
Les Bruxellois aiment ronchonner sur leur ville. La quasi-totalité des Bruxellois que je connais entretiennent une relation d’amour-haine avec leur ville. C’est propre à Bruxelles. Chaque plaisir a sa part de contrariété, chaque avantage un handicap. Il s’agit peut-être de la plus grande qualité de Bruxelles, de la raison pour laquelle cette ville m’attire tant : elle ne laisse jamais indifférent. Elle continue à fasciner. La ville qu’on aime haïr. Ou qu’on hait aimer. La frontière est mince.
Nulle part une apparence ne peut être aussi trompeuse qu’à Bruxelles. Deux personnes peuvent marcher dans la même rue et voir une ville totalement différente. L’une voit la Bruxelles de la fusillade. Bruxelles comme lieu de misère, comme biotope d’une génération perdue, comme foyer d’extrémisme. L’autre voit la Bruxelles des défis et des opportunités, de la beauté dans le chaos.
Je ne peux pas leur jeter la pierre, c’est ce que fait cette ville : elle s’insinue dans vos veines. Bruxelles est présente, Bruxelles est éprouvante. La ville bouffe l’énergie, mais elle en donne aussi. Il y a toujours de l’électricité dans l’air, et oui, cela fait parfois des étincelles en cas de court-circuit. Penser noir ou blanc est trop souvent une solution de facilité qui passe outre la complexité et l’immense potentiel de Bruxelles. Une approche beaucoup trop simpliste que nous ne retrouvons que trop souvent dans les actualités relatives à Molenbeek ou Cureghem, à Anderlecht.
On oublie que la ville a également toujours pu compter sur des personnes qui refusent de se rallier au statu quo. Des personnes qui incarnent le dynamisme de Bruxelles. À chaque revers que la ville doit essuyer, de nombreux Bruxellois jettent inéluctablement et définitivement l’éponge. Mais il existe également un autre groupe de Bruxellois, ceux qui n’en deviennent que plus acharnés. Encore plus motivés à modeler Bruxelles à leur image de la ville. À leur espoir pour la ville et non aux clichés et aux préjugés d’autrui.
Ne nous fourvoyons plus et faisons la ville ensemble. »
Fusillade Porte de Ninove: «Bruxelles vaut plus qu’un non-débat et des clichés»
Rédaction en ligne
Mis en ligne jeudi 9 janvier 2014, 14h20
Yamila Idrissi, parlementaire bruxelloise SP.A, estime que la fusillade a été une occasion de plus pour « cracher sur Bruxelles ». Carte blanche
n début de semaine, l’émission Reyers Laat sur la Een a consacré une séquence longue aux événements de la porte de Ninove, où dans la nuit, un jeune homme a vélo s’est fait tirer dessus à balles réelles par des inconnus. Cet événement a mis la Flandre en émoi, nombre d’intervenants évoquant l’impossibilité de vivre à Bruxelles, ville dangereuse. Reyers Laat a donné la parole à deux intervenants flamands vivant à Bruxelles, qui abondaient dans ce sens.
Yamila Idrissi, parlementaire flamande sp.a, vivant à Bruxelles, près de ce quartier, et d’origine marocaine, a publié une carte blanche dans De morgen adressée sous forme de lettre au présentateur de cette émission. Elle s’insurge contre cette vision unique et évoque son Bruxelles. Elle est à l’origine du projet de musée d’art contemporain, le MAK, qui pourrait être localisé au Canal.
Voici sa carte blanche.
« Nous nous fourvoyons »
«
Cher Lieven Van Gils, chère rédaction de Reyers Laat,
Chaque jour, Reyers Laat m’offre un regard serein sur des sujets qui touchent notre société. Le programme étanche toujours avec verve ma soif d’informations de fond, de débats, d’opinions et de nuances. Cependant, lundi, après la diffusion sur la fusillade de Bruxelles, je suis restée sur ma faim avec un sentiment mitigé : d’indignation et de déception. D’indignation car la violence gratuite a été réduite à une attaque des « kutmarokkanen » (un terme que l’on pourrait traduire par « Marocains à la *** ») de Molenbeek. De déception car le débat sur Bruxelles s’est une fois de plus terminé en un non-débat stigmatisant qui a confirmé tous les clichés sur ma ville.
Reyers Laat avait toutefois débuté par une vidéo pertinente. Trois jeunes ont pris la parole. L’un d’entre eux demandait de la propreté, un autre de la sécurité et le dernier ne voulait plus de drogue dans nos rues et une plus grande présence policière. Hasard ou non, il s’agissait de trois enfants de couleur, nés et élevés à Bruxelles.
J’avais espéré que l’émission se penche également sur ce que la violence gratuite peut faire d’un être humain, sur l’aversion de notre société pour ces actes lâches et sur les rêves et souhaits de ces trois enfants. Mais nous avons été conviés à un autre débat dont les maîtres-mots étaient : étrangers, terrorisme, extrémisme, Roumains et Bulgares, « kutmarokkanen« , allochtones et petits projets sociaux insipides pour un Marocain derrière un comptoir dans le secteur culturel. Et oui, cela parlait bien de l’amour de Bruxelles, mais encore plus de cracher sur notre ville. Les défis actuels de notre société, comme le vol, l’homophobie et la violence, ont été abordés à juste titre, car Bruxelles, en tant que grande ville, y est confrontée. Mais au moment où les auteurs de l’incident de la semaine dernière n’ont pas encore été appréhendés et que nous ne connaissons par leur identité, les personnes en studio sont parties du principe qu’il devait s’agir de jeunes hommes marocains de Molenbeek, sans perspective d’avenir. La conclusion était sans équivoque : la politique d’intégration a échoué. Reductio ad absurdum. Ce fut un non-débat dans lequel tous les clichés et boutades ont été passés en revue et jetés en vrac sur un tas. Une balle tirée, au sens figuré, dans le dos de tous les jeunes de Bruxelles. Plus d’une fois, j’ai pensé à ce que vous avez littéralement dit à la fin, Lieven : « Nous nous fourvoyons ».
Permettez-moi d’être claire, l’incident de la semaine dernière est atroce, inacceptable et condamnable. Aussi lâche et inutile que le meurtre de Luna et Oulematou à Anvers ou de Shana et Kevin dans le Limbourg. Mais Anvers ou le Limbourg ont-elles été réduites à l’époque à une ville ou une province où les armes font la loi ? Pourquoi est-ce le cas pour Bruxelles ?
Amour-haine
Les Bruxellois aiment ronchonner sur leur ville. La quasi-totalité des Bruxellois que je connais entretiennent une relation d’amour-haine avec leur ville. C’est propre à Bruxelles. Chaque plaisir a sa part de contrariété, chaque avantage un handicap. Il s’agit peut-être de la plus grande qualité de Bruxelles, de la raison pour laquelle cette ville m’attire tant : elle ne laisse jamais indifférent. Elle continue à fasciner. La ville qu’on aime haïr. Ou qu’on hait aimer. La frontière est mince.
Nulle part une apparence ne peut être aussi trompeuse qu’à Bruxelles. Deux personnes peuvent marcher dans la même rue et voir une ville totalement différente. L’une voit la Bruxelles de la fusillade. Bruxelles comme lieu de misère, comme biotope d’une génération perdue, comme foyer d’extrémisme. L’autre voit la Bruxelles des défis et des opportunités, de la beauté dans le chaos.
Je ne peux pas leur jeter la pierre, c’est ce que fait cette ville : elle s’insinue dans vos veines. Bruxelles est présente, Bruxelles est éprouvante. La ville bouffe l’énergie, mais elle en donne aussi. Il y a toujours de l’électricité dans l’air, et oui, cela fait parfois des étincelles en cas de court-circuit. Penser noir ou blanc est trop souvent une solution de facilité qui passe outre la complexité et l’immense potentiel de Bruxelles. Une approche beaucoup trop simpliste que nous ne retrouvons que trop souvent dans les actualités relatives à Molenbeek ou Cureghem, à Anderlecht.
On oublie que la ville a également toujours pu compter sur des personnes qui refusent de se rallier au statu quo. Des personnes qui incarnent le dynamisme de Bruxelles. À chaque revers que la ville doit essuyer, de nombreux Bruxellois jettent inéluctablement et définitivement l’éponge. Mais il existe également un autre groupe de Bruxellois, ceux qui n’en deviennent que plus acharnés. Encore plus motivés à modeler Bruxelles à leur image de la ville. À leur espoir pour la ville et non aux clichés et aux préjugés d’autrui.
Ne nous fourvoyons plus et faisons la ville ensemble. »