Une musulmane, porte-drapeau des Tories

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Birmingham, mercredi 1er octobre. Avant de faire son discours à l'occasion du congrès du Parti conservateur, qu'il dirige, David Cameron a voulu donner la parole à des Tories d'un nouveau genre, symboles de la modernisation qu'il a mise en route pour mieux reconquérir le pouvoir.

Des femmes, des musulmans, des Noirs, des jeunes, des vieux. Ils sont là pour témoigner de ce renouveau d'un parti que M. Cameron veut à l'image de son pays. Adeela Shafi - 36 ans, musulmane d'origine pakistanaise, vierge de tout passé politique - fait partie de ces Britanniques choisis pour porter le drapeau de la modernité et du changement.

La jeune femme se lève. C'est la première fois qu'elle parle devant des milliers de personnes. La voix est posée. L'exercice lui plaît. "Longtemps, j'ai voté Labour (le Parti travailliste)", commence-t-elle. La salle s'esclaffe. Ses deux filles, 12 ans et 9 ans, s'inquiètent : M. Cameron voudra-t-il toujours d'elle maintenant qu'elle a avoué avoir soutenu l'ennemi ?

Elle se souvient de son premier vote, à 18 ans. "Une dame m'a demandé pour qui je votais. Aussi rapide que l'éclair, ma mère, qui m'accompagnait, a répondu : Labour." Pendant dix ans, la jeune Adeela n'a pas remis en question l'autorité parentale. Aujourd'hui, elle est la candidate tory à Bristol-Est pour les prochaines élections, prévues d'ici à la mi-2010. La première et unique candidate femme musulmane pour le parti de M. Cameron.

"Les travaillistes sont mieux pour les gens comme nous", lui a longtemps dit sa mère. La majeure partie des 33 000 musulmans de Bristol le pense encore. D'origine modeste, les parents d'Adeela, les Ahmed, s'installent dans cette ville travailliste après avoir quitté le Pakistan, en 1972. Le père, Aftab, travaille chez Rolls-Royce. La mère, femme au foyer, aide les Pakistanaises qui arrivent à Bristol. Et élève ses cinq enfants.

"Mes parents ont voté Labour parce que c'est un mot qu'ils ont vite compris", avance Adeela Shafi. Ils ne parlaient pas anglais à leur arrivée, mais le travail, ils savaient ce que c'était. Sur le fond, la jeune femme pense qu'ils ont toujours eu des atomes conservateurs, comme nombre de leurs amis musulmans. "Nous sommes une population d'entrepreneurs", explique-t-elle.

Chez les Ahmed, on ne compte pas sur l'aide publique pour avancer. "Mon père disait toujours qu'il ne faut pas se rendre la vie facile. Si tu as froid, ne te couvre pas. Si tu as faim, ne mange pas...", se souvient-elle. Une philosophie spartiate, qui laisse peu de place à la compassion et à l'Etat protecteur.

Son jeune frère, Ayiaz, a été le premier à s'assumer conservateur. Adeela, comme toute la famille, suivra. Et donnera sa voix aux Tories en 2002, davantage parce qu'elle ne se retrouve pas dans le Labour que par véritable conviction. Car la jeune femme, même si elle donne des cours de psychologie à l'université de Bristol, consacre l'essentiel de sa grande énergie à son cocon familial.

Le déclic qui lui fera envisager une carrière politique - elle qui n'a jamais milité - arrive en 2005. C'est le tremblement de terre au Pakistan. Avec son mari Ijaz, lui aussi pakistanais, elle collecte 117 000 livres en douze jours pour aider son pays d'origine, qui la décorera pour cela en mars 2007. "Je me suis rendu compte qu'on pouvait, tout seul, changer le cours des événements", lance-t-elle.

Pour la jeune femme, c'est une révélation. "J'ai été bluffée par son énergie", confie Catherine Roperto, une amie. Son père, son frère et son mari la poussent. "Ils me voyaient bien député, sourit-elle. Mon mari aurait bien aimé faire de la politique, mais il a du mal à parler en public."

2005, c'est aussi l'année où David Cameron prend la tête des conservateurs, usés par dix ans de guerres intestines. La jeune femme est séduite par cet homme qui humanise son parti. Il veut dépenser pour l'école et la santé. Il défend les valeurs de la famille. "Et quand il parle immigration, il ne parle pas race", ajoute Adeela Shafi.

C'est sans doute là que réside sa principale motivation : combattre le racisme, donner une meilleure image des musulmans. "Quand j'étais jeune, il était entendu que si vous étiez musulman, vous seriez l'épicier du coin. Aujourd'hui, il est entendu que vous serez terroriste", regrette-t-elle.

Entre-temps, il y a eu les attentats de juillet 2005 à Londres. Et Adeela Shafi veut un monde ouvert pour ses quatre enfants. Elle veut qu'ils soient des Britanniques à part entière, qu'ils ne fréquentent pas que des Pakistanais, comme elle et ses frères et soeurs quand ils étaient enfants.

Poussée par les hommes de sa famille, elle franchit les portes du siège du Parti conservateur à Bristol au printemps 2007. Des sondages, aujourd'hui, la donnent gagnante sur cette terre travailliste. Elle n'a pas de projet précis pour Bristol-Est, elle sait qu'elle a de nombreuses lacunes, sans doute pour ne pas s'être intéressée aux affaires publiques pendant longtemps.

Sur l'environnement, les transports ou encore l'économie. "Il faut que j'apprenne", dit-elle. Mais Adeela Shafi veut y croire. Elle a même envisagé, avec sa famille, ce qui se passerait si M. Cameron l'emportait et lui proposait un poste. "Nous irons à Londres", dit-elle. Avant d'avouer une préférence : les affaires étrangères.

"La campagne n'a pas vraiment commencé. Il semble que, pour l'instant, Mme Shafi concentre ses efforts sur la communauté musulmane de Bristol-Est. Et qu'elle n'a pas compris que celle-ci votera à Bristol-Ouest compte tenu du redécoupage électoral", souligne Kerry McCarthy, actuelle députée Labour à Bristol-Est et candidate à sa succession. La campagne n'a pas commencé, mais les couteaux sont sortis.

Virginie Malingre
 
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