salam, bonsoir,
Kerrou, Mohamed, (dir.), Public et Privé en Islam, IRMC, Maisonneuve & Larose, 2002, 343 p.
http://remmm.revues.org/document2421.html
Les sciences sociales tiennent leur légitimité de leur capacité à produire, éprouver et si possible exporter des catégories. Outils danalyse des réalités quelles prétendent rendre lisibles, ces catégories sont historiquement construites. Elles fournissent aux chercheurs autant de grilles de lecture du monde social. Ces outils peuvent-ils voyager sans perdre de leur pertinence théorique et de leur efficience pratique ? En dautres termes, ces concepts qui permettent dappréhender et de saisir le réel restent-ils opératoires après leur dépaysement ?
Cette question nodale posée aux sciences sociales, louvrage collectif dirigé par Mohamed Kerrou prend le risque de la repenser à partir dun couple conceptuel dont la production scientifique a particulièrement usé et peut-être abusé : les catégories-miroirs de public et de privé. Le couple conceptuel public/privé, qui a su, sur la rive nord de la Méditerranée, nourrir la profession pendant des décennies, est-il un produit dexportation ? Cette « provocation scientifique », au sens le plus noble du terme, répond bien aux exigences éditoriales de la collection « Connaissance du Maghreb » et à son projet de dépasser les frontières culturelles et disciplinaires, grâce notamment à la promotion de la recherche collective en réseau à léchelle de la Méditerranée.
Si Mohamed Kerrou, directeur de louvrage et responsable de sa problématique générale, cest assez rare pour être souligné a pris le risque de poser aux différents intervenants du programme de recherche une question franche et précise, il a su également décliner cette ambition avec nuance et subtilité : comme le souligne Jean-Charles Depaule dans la préface de louvrage, les territoires emboîtés de la ville, de la religion, du domaine juridique, de lÉtat, de la sphère domestique sont ici successivement exploités dans une volonté clairement assumée de déplacer les barrières et de brouiller les cartes. Ces questionnements sont abordés à toutes les échelles, mais avec une attention particulière portée à la notion despace public, qui semble condenser lensemble des problématiques connexes de la question. Jean-Charles Depaule résume assez bien lambition de louvrage, qui est déviter les deux écueils contraires et symétriques de « lethnocentrisme tranquille » (les catégories de public et de privé sont pleinement opératoires pour analyser les sociétés dIslam) et du « relativisme invertébré » (à chaque situation spécifique sa grille de lecture irréductiblement singulière), grâce à une ré-historicisation des catégories public/privé ainsi mises à lépreuve.