VISITE EN UKRAINE DUN MEMBRE DUNITÉ POPULAIRE
Par Unité Populaire, lundi 1 décembre 2008 à 13:30 :: chroniques
Piero Falotti Voila quinze ans que je travaille notamment en Europe centrale et en Europe de lEst. Au cours de ces années, jai pu découvrir et observer de manière incomplète et partielle bien sûr lévolution des économies, du milieu des affaires, de la politique et aussi des simples gens au fil de nombreux voyages et séjours que jai effectués dans presque tous ces pays. LUkraine, par le hasard des choses, était lun des pays qui mavait échappé, tantôt parce quune réunion était annulée, parce quun collègue me remplaçait, etc Jétais donc très curieux de découvrir, sinon le pays, mais du moins sa capitale, Kiev, lors dun récent voyage.
Jen reviens maussade et dépité.
LUkraine nous est souvent présentée comme un pays pro-occidental et "démocratique" (par opposition à la méchante dictature biélorusse et à l"oligarchie" russe) prêt à entrer dans lOTAN, voire dans lUnion Européenne. Je mattendais donc à trouver un pays, certes économiquement en arrière, mais dynamique et ouvert, un peu comme la République Tchèque dil y a quinze ans, ou la Roumanie dil y a dix ans.
Passé les tracasseries administratives dans laéroport de Kiev, aux airs désuet et fonctionnel typiquement soviétiques, lagression a commencé par les taxis et na pas cessé. Je ne voulais pas croire ce quun ami mavait dit : « Kiev est un zoo, et le visiteur est la nourriture de ses habitants » ; pourtant, lorsque le taxi ma finalement expliqué (une fois en route, dans un anglais incompréhensible et sur un ton menaçant) que le tarif indicatif et négocié pour me rendre à mon hôtel, soit 20 euros, nétait en fait quindicatif et que le vrai tarif était de 100 euros, jai dû me résoudre a le croire et à le payer, ne souhaitant pas marcher pendant des heures, la nuit, sur les bords du Dniepr. Si encore lexpérience désagréable sétait limitée à un conducteur de taxi arnaqueur, ce serait peu, mais les mauvaises expériences se sont hélas succédées.
A peine arrivé dans ma chambre dhôtel, le téléphone sonne. Une voix féminine me propose une fille Je réponds poliment que je suis fatigué. Jai dû refaire de même à deux autres reprises, puisque encore deux fois, des "agences" mont appelé pour essayer de me vendre leur "marchandise". A la télévision, les mêmes programmes quen Occident, des séries américaines, de la musique rap en russe avec chanteurs portant colliers, pierraille brillante, bagues, et entourés de grosses voitures et de filles en string. Sorti dîner avec des clients, puis pour prendre un verre avant de me coucher, je remarque que dans les bons restaurants et les bars, il est tout à fait normal que des messieurs de soixante ans, visiblement bien habillés et riches, paraissent au bras de jeunes femmes de vingt ans. Mes interlocuteurs sur place me confirment que pour les riches Ukrainiens cest pratique courante et quune fille de trente cinq ans est considérée comme vieille De fait, les filles de 18-20 ans désirant soffrir quelques années de bon temps, financer leurs études ou simplement vivre dans un appartement chauffé et bien meublé au centre-ville sont tout à fait prêtes à se monnayer sans vergogne. Après tout, ce libre marché dont les conseillers occidentaux ont tellement chanté les mérites pendant les années 90 doit bien servir à quelque chose et à quelquun aux anciens apparatchiks et mafieux devenus nouveaux notables et nouveaux riches notamment. Et sil reste des miettes et du pourboire pour les autres, cest bien la preuve que le marché fonctionne, non ?
La ville de Kiev est clairement bâtie selon cette architecture soviétique que lon retrouve pratiquement partout en Europe de lEst. Autour dun centre ville, plus ou moins rasé pendant la guerre et plus ou moins reconstruit, alternent banlieues immenses et zones industrielles, le tout traversé par des grands, très grands axes routiers et un très efficace réseau de transports publics trams, trains, métro, bus, hérité lui-aussi de la période soviétique où le transport individuel était un luxe rare ou réservé aux hautes sphères. Souvent, les gens avec qui jarrive à communiquer, me parlent du "bon vieux temps" de lépoque soviétique, quand il y avait pénurie de biens de consommation certes, mais où lon navait pas besoin de fermer les yeux sur les coucheries de sa fille pour payer son loyer et où lon avait un travail digne qui nétait pas fondé sur lexploitation de son prochain. Jai entendu souvent ce discours dans dautres pays mais avec moins de fréquence. Lautre grande différence avec les autres villes que je connais un peu à lEst, cest le nombre de personnes qui ont adopté de gré ou de force léconomie de marché sur tous les aspects de la vie : économiques et privés. Tout se vend, sachète, se négocie. Vite. Violemment. Cest pire que tout ce que jai pu voir à Varsovie, Prague, Bucarest, Moscou ou St Petersbourg.
Dans la rue, et surtout le soir, de nombreuses personnes passent leur temps une bouteille de bière à la main et la clope dans lautre. La nuit, ce sont des grands groupes de jeunes qui se réunissent pour boire ensemble les packs de bière apportés avec eux. Envie de dialogue et de se retrouver ? Bière moins chère que la nourriture (comme en Angleterre sous Thatcher) ? Alcoolisme de masse pour faire passer une perte massive de valeurs ?
En revanche, le nationalisme semble être mis en avant partout. Après la "révolution orange", le gouvernement ukrainien semble avoir mis en avant lidée didentité ukrainienne au grand dam des 18% de la minorité russe du pays. Les massacres et les famines orchestrées par Staline dans les années vingt et trente deviennent à nouveau des sujets dactualité et par ce biais, lEtat semble jouer une partie déquilibriste entre la confrontation avec la Russie sur les sujets de lOTAN, des boucliers anti-missiles, etc., et son lien économique fort qui lunit au géant russe lUkraine à besoin du pétrole et surtout du gaz russe pour se chauffer lhiver. Ce nationalisme sert-il à cacher la corruption massive à tous les niveaux de lEtat ? A rendre moins difficile les conditions économiques des Ukrainiens moyens (ceux qui ne roulent pas en Porsche Cayenne sur les trottoirs) ? Est-ce le nationalisme qui veut mettre la nation comme rempart et protecteur du peuple ou un instrument dillusion pour faire supporter à la population les ravages du libre marché, lécart immense entre les quelques gagnants de la libre économie et la vaste masse des perdants du système, sombrant dans labrutissement et le consumérisme ? Au spectacle de la détresse de ce peuple, on en vient à se dire que, si les mérites ou les crimes du néolibéralisme en matière économique pourront être débattus encore des dizaines dannées avec exemples et contre-exemples à lappui, labjection que le système néolibéral génère en terme de moralité publique et les coups quil porte à la dignité humaine sont, eux, incontestables. Il faudra rappeler cette évidence en toute occasion, encore et toujours.
Il est intéressant de comparer lUkraine avec les deux autres pays qui sont montrés du doigt comme mauvais élèves par les démocrates occidentaux : la Biélorussie et la Russie. Si la situation russe est très complexe, la biélorusse lest moins. Lors de mes derniers voyages à Minsk, Moscou ou St. Petersburg, bien que les ravages de léconomie de marché soient encore très présents (à lexception de Minsk bien sûr), je ressens un nationalisme de type différent, un nationalisme qui donne de plus en plus un sens à la vie des simples citoyens et citoyennes, un signal de ce quun ou une Russe ne devraient plus sabaisser à faire, à subir. Je suis très curieux de voir comment au cours des quelques prochaines années, ces pays, leur économie, leur moralité, leur honneur, vont évoluer.
Par Unité Populaire, lundi 1 décembre 2008 à 13:30 :: chroniques
Piero Falotti Voila quinze ans que je travaille notamment en Europe centrale et en Europe de lEst. Au cours de ces années, jai pu découvrir et observer de manière incomplète et partielle bien sûr lévolution des économies, du milieu des affaires, de la politique et aussi des simples gens au fil de nombreux voyages et séjours que jai effectués dans presque tous ces pays. LUkraine, par le hasard des choses, était lun des pays qui mavait échappé, tantôt parce quune réunion était annulée, parce quun collègue me remplaçait, etc Jétais donc très curieux de découvrir, sinon le pays, mais du moins sa capitale, Kiev, lors dun récent voyage.
Jen reviens maussade et dépité.
LUkraine nous est souvent présentée comme un pays pro-occidental et "démocratique" (par opposition à la méchante dictature biélorusse et à l"oligarchie" russe) prêt à entrer dans lOTAN, voire dans lUnion Européenne. Je mattendais donc à trouver un pays, certes économiquement en arrière, mais dynamique et ouvert, un peu comme la République Tchèque dil y a quinze ans, ou la Roumanie dil y a dix ans.
Passé les tracasseries administratives dans laéroport de Kiev, aux airs désuet et fonctionnel typiquement soviétiques, lagression a commencé par les taxis et na pas cessé. Je ne voulais pas croire ce quun ami mavait dit : « Kiev est un zoo, et le visiteur est la nourriture de ses habitants » ; pourtant, lorsque le taxi ma finalement expliqué (une fois en route, dans un anglais incompréhensible et sur un ton menaçant) que le tarif indicatif et négocié pour me rendre à mon hôtel, soit 20 euros, nétait en fait quindicatif et que le vrai tarif était de 100 euros, jai dû me résoudre a le croire et à le payer, ne souhaitant pas marcher pendant des heures, la nuit, sur les bords du Dniepr. Si encore lexpérience désagréable sétait limitée à un conducteur de taxi arnaqueur, ce serait peu, mais les mauvaises expériences se sont hélas succédées.
A peine arrivé dans ma chambre dhôtel, le téléphone sonne. Une voix féminine me propose une fille Je réponds poliment que je suis fatigué. Jai dû refaire de même à deux autres reprises, puisque encore deux fois, des "agences" mont appelé pour essayer de me vendre leur "marchandise". A la télévision, les mêmes programmes quen Occident, des séries américaines, de la musique rap en russe avec chanteurs portant colliers, pierraille brillante, bagues, et entourés de grosses voitures et de filles en string. Sorti dîner avec des clients, puis pour prendre un verre avant de me coucher, je remarque que dans les bons restaurants et les bars, il est tout à fait normal que des messieurs de soixante ans, visiblement bien habillés et riches, paraissent au bras de jeunes femmes de vingt ans. Mes interlocuteurs sur place me confirment que pour les riches Ukrainiens cest pratique courante et quune fille de trente cinq ans est considérée comme vieille De fait, les filles de 18-20 ans désirant soffrir quelques années de bon temps, financer leurs études ou simplement vivre dans un appartement chauffé et bien meublé au centre-ville sont tout à fait prêtes à se monnayer sans vergogne. Après tout, ce libre marché dont les conseillers occidentaux ont tellement chanté les mérites pendant les années 90 doit bien servir à quelque chose et à quelquun aux anciens apparatchiks et mafieux devenus nouveaux notables et nouveaux riches notamment. Et sil reste des miettes et du pourboire pour les autres, cest bien la preuve que le marché fonctionne, non ?
La ville de Kiev est clairement bâtie selon cette architecture soviétique que lon retrouve pratiquement partout en Europe de lEst. Autour dun centre ville, plus ou moins rasé pendant la guerre et plus ou moins reconstruit, alternent banlieues immenses et zones industrielles, le tout traversé par des grands, très grands axes routiers et un très efficace réseau de transports publics trams, trains, métro, bus, hérité lui-aussi de la période soviétique où le transport individuel était un luxe rare ou réservé aux hautes sphères. Souvent, les gens avec qui jarrive à communiquer, me parlent du "bon vieux temps" de lépoque soviétique, quand il y avait pénurie de biens de consommation certes, mais où lon navait pas besoin de fermer les yeux sur les coucheries de sa fille pour payer son loyer et où lon avait un travail digne qui nétait pas fondé sur lexploitation de son prochain. Jai entendu souvent ce discours dans dautres pays mais avec moins de fréquence. Lautre grande différence avec les autres villes que je connais un peu à lEst, cest le nombre de personnes qui ont adopté de gré ou de force léconomie de marché sur tous les aspects de la vie : économiques et privés. Tout se vend, sachète, se négocie. Vite. Violemment. Cest pire que tout ce que jai pu voir à Varsovie, Prague, Bucarest, Moscou ou St Petersbourg.
Dans la rue, et surtout le soir, de nombreuses personnes passent leur temps une bouteille de bière à la main et la clope dans lautre. La nuit, ce sont des grands groupes de jeunes qui se réunissent pour boire ensemble les packs de bière apportés avec eux. Envie de dialogue et de se retrouver ? Bière moins chère que la nourriture (comme en Angleterre sous Thatcher) ? Alcoolisme de masse pour faire passer une perte massive de valeurs ?
En revanche, le nationalisme semble être mis en avant partout. Après la "révolution orange", le gouvernement ukrainien semble avoir mis en avant lidée didentité ukrainienne au grand dam des 18% de la minorité russe du pays. Les massacres et les famines orchestrées par Staline dans les années vingt et trente deviennent à nouveau des sujets dactualité et par ce biais, lEtat semble jouer une partie déquilibriste entre la confrontation avec la Russie sur les sujets de lOTAN, des boucliers anti-missiles, etc., et son lien économique fort qui lunit au géant russe lUkraine à besoin du pétrole et surtout du gaz russe pour se chauffer lhiver. Ce nationalisme sert-il à cacher la corruption massive à tous les niveaux de lEtat ? A rendre moins difficile les conditions économiques des Ukrainiens moyens (ceux qui ne roulent pas en Porsche Cayenne sur les trottoirs) ? Est-ce le nationalisme qui veut mettre la nation comme rempart et protecteur du peuple ou un instrument dillusion pour faire supporter à la population les ravages du libre marché, lécart immense entre les quelques gagnants de la libre économie et la vaste masse des perdants du système, sombrant dans labrutissement et le consumérisme ? Au spectacle de la détresse de ce peuple, on en vient à se dire que, si les mérites ou les crimes du néolibéralisme en matière économique pourront être débattus encore des dizaines dannées avec exemples et contre-exemples à lappui, labjection que le système néolibéral génère en terme de moralité publique et les coups quil porte à la dignité humaine sont, eux, incontestables. Il faudra rappeler cette évidence en toute occasion, encore et toujours.
Il est intéressant de comparer lUkraine avec les deux autres pays qui sont montrés du doigt comme mauvais élèves par les démocrates occidentaux : la Biélorussie et la Russie. Si la situation russe est très complexe, la biélorusse lest moins. Lors de mes derniers voyages à Minsk, Moscou ou St. Petersburg, bien que les ravages de léconomie de marché soient encore très présents (à lexception de Minsk bien sûr), je ressens un nationalisme de type différent, un nationalisme qui donne de plus en plus un sens à la vie des simples citoyens et citoyennes, un signal de ce quun ou une Russe ne devraient plus sabaisser à faire, à subir. Je suis très curieux de voir comment au cours des quelques prochaines années, ces pays, leur économie, leur moralité, leur honneur, vont évoluer.