Voltaire fut en tout cas le chantre de la liberté d’expression. N’a-t-il pas écrit : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire. »
De plus en plus nombreux sont ceux qui savent que jamais, au grand jamais il n’a dit une chose pareille. Et dans la pratique, il fit exactement le contraire puisqu’il s’évertua à réduire au silence tout gêneur qui eut le malheur de lui faire de l’ombre. L’une de ses victimes, Lefranc de Pompignan, fut ainsi obligé de quitter Paris pour échapper au torrent de sarcasmes vipérins dont il le harcela pour le punir d’avoir, lors de sa réception à l’Académie, émis un jugement critique contre les Lumières.
Voltaire fut impitoyable pour l’honnête critique littéraire Elie Fréron, qui jamais n’eut la bassesse de transiger sur ce qui lui semblait essentiel : rendre compte de la qualité des œuvres dont il rédigeait des analyses. Voltaire ne lui épargna rien : calomnies, libelles injurieux, cabales ordurières, diffamations publiques ou lettres de dénonciation auprès des autorités (auxquelles il communiquait l’adresse de ce monsieur…

Il réussit à faire interdire plusieurs fois « L’année littéraire » et même embastiller son directeur, pourtant chargé de famille et ne vivant que de sa plume.
Comme il avait usé ses fonds de culotte sur les mêmes bancs que quelques très hauts personnage (le maréchal-duc de Richelieu, les frères d’Argenson, tous deux ministres, avaient été avec lui à Louis-le-Grand), obtenir une lette de cachet pour un importun était pour lui un jeu d’enfant. Il en usa plusieurs fois pour faire embastiller La Beaumelle, qui eut l’outrecuidance de critiquer un de ses livres. Jamais Voltaire ne pardonna à ce valeureux jeune homme, qu’il poursuivit de sa haine jusqu’au tombeau et dont il réussit à faire pilonner un des livres.
On pourrait croire, pourtant, que les deux hommes partageaient certaines valeurs. En 1762, La Beaumelle s’était levé, à Toulouse, contre la condamnation d’un innocent nommé Jean Calas. Messieurs de Toulouse le bannirent de la ville pour ce courage, dont seuls aujourd’hui les Protestants français gardent le souvenir. La postérité ne se souviendra que de Voltaire, assurément bien meilleur en relations publiques que l’obscur et courageux La Beaumelle.