Youssef Zouini ou la difficile réinsertion d’un innocent

Laila

Ex-Kalaloly
Administrateur
La justice a définitivement blanchi Youssef Zouini en mai dernier lors de son procès en appel pour braquage. Issu de la banlieue nantaise, ce « coupable idéal » veut saisir le Conseil supérieur de la magistrature et se lance dans le théâtre.

Dimanche 16 juin 2007, Youssef Zouini tente de se pendre aux barreaux de sa cellule de la maison d’arrêt de Nantes. Quelques heures plus tôt, il a été condamné à dix ans de prison pour un braquage commis en 2004. Braquage qu’il niait. « A Nantes, quand j’attendais le verdict, j’étais dans la geôle n°10 du palais de justice. J’ai pris dix ans. Ce chiffre dix, je ne le supporte plus. Il me rappelle toute l’injustice dont j’ai été victime », raconte aujourd’hui ce jeune homme de 26 ans, bien vivant.

Youssef Zouini a raté son suicide, mais sa rage est toujours intacte. Le 14 mai 2009, la cour d’assises d’appel de Rennes l’a définitivement acquitté après quatre ans de bataille judiciaire et deux ans de prison. Victime d’une erreur judiciaire reconnue par l’avocat général lors du procès, ce garçon au visage taillé à la serpe a toujours « la haine ». « J’ai les nerfs, ça ne passe pas. J’ai connu le trou, l’angoisse des procès. Pendant quatre ans, je n’ai pas pu faire ma vie ! » s’énerve-t-il, la colère froide au bord des larmes. Il va déposer avant la fin du mois une requête en indemnisation par l’Etat, mais surtout il souhaite que la Chancellerie saisisse le Conseil supérieur de la magistrature. Dans son collimateur, le juge qui a instruit son affaire et les services du procureur de la République de Nantes. « J’ai payé très cher pour quelque chose que je n’ai pas fait. Pourquoi, eux, ils ne paieraient pas pour leurs erreurs ? »

« Une faiblesse dans l’instruction » selon l’avocat général

Le 4 avril 2005, Youssef Zouini est arrêté chez ses parents à Nantes. Pour les policiers, ce petit lascar de la cité Malakoff a tout d’un véritable caïd. Ils le soupçonnent d’être l’un des auteurs du braquage d’un Super U le 1er novembre 2004. Dix-sept employés du supermarché y avaient été séquestrés par trois hommes armés et encagoulés qui avaient raflé 45.000 euros. Pour minimiser son propre rôle, un des braqueurs accuse Zouini d’être le cerveau du casse.

Deux mois plus tard, en juin 2005, l’instruction examine les téléphones portables du groupe. Sur quatre suspects arrêtés, trois ont leur mobile éteint au moment du casse. Un seul appareil – celui de Zouini – est allumé, et en communication pendant plus d’une heure, à six kilomètres des lieux du hold-up. Il faudra attendre le procès en appel, quatre ans plus tard, pour que cet appel soit vérifié, et atteste que Zouini était au téléphone avec sa petite amie de l’époque.

Laissé libre au début de l’instruction, Zouini est incarcéré en juin 2006 à la maison d’arrêt d’Angers, après avoir violé son contrôle judiciaire et fui chez des proches au Maroc. Depuis sa cellule, le jeune homme envoie plus de 400 courriers au magistrat instructeur, au procureur de la République, au garde des Sceaux, au président de la République… En vain. Son procès, un an plus tard devant la cour d’assises de Nantes, se passe mal. « A l’audience, on a fantasmé sur moi. J’étais le génie de la bande, j’avais tout organisé, j’avais même trompé les experts psychologues. Les jurés m’ont regardé dès le départ comme un coupable. » Et l’ont condamné à l’arrivée à dix ans.

Mai 2009, second round en appel devant les assises de Rennes. Autre cour, autre ambiance. « On a redécouvert le dossier, on m’a enfin écouté. » Son nouvel avocat, Me Yvan Trebern, ténor du barreau nantais, a enfin obtenu le supplément d’information décisif sur la téléphonie. L’évidence s’impose. L’avocat général, Philippe Petitprez, requiert l’acquittement pour Youssef Zouini. « Il y a eu une faiblesse dans le dossier d’instruction qui a été réparée avec ce verdict », assène le magistrat.

« Le théâtre canalise ma haine »

Depuis, Zouini repart de zéro. Oublié le BEP commerce qu’il préparait à Nantes avant son arrestation. Désormais, il fait du théâtre à Paris. « J’ai participé à un atelier en prison, ça a canalisé ma haine », confie-t-il. Elève au cours Florent depuis la rentrée, il est persuadé qu’« il est plus difficile de prouver son innocence que son talent de comédien ». C’est sa mère, femme de ménage, qui l’aide à payer ses études. « Depuis mon acquittement, je suis tout seul, je n’ai droit à aucune aide, surtout, je n’ai reçu aucune excuse de l’institution judiciaire. » Le jeune homme rêve de raconter dans un livre son histoire d’« un coupable idéal » afin qu’elle ne se reproduise pas. En attendant, il répète pour ses cours un monologue de Tête d’or, de Paul Claudel. Tête d’or peut-être. Tête dure sûrement.

Edition France Soir du samedi 10 octobre 2009
 

Laila

Ex-Kalaloly
Administrateur
Le parcours de Youssef Zouini sera évoqué mardi à 20h35 sur France 2 dans l’émission de Béatrice Schönberg, Prise directe, consacrée à la justice.
 
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