Ceux qui ont fabriqué les taliban.
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François LAFARGUE — 17 septembre 2001 à 00:50
Pourquoi les Etats-Unis ont financé le régime de Kaboul.
Après l'heure de la stupéfaction vient le moment de l'explication. Si les motivations de cet acte de guerre contre l'Amérique sont encore difficiles à cerner, l'identité de leurs auteurs semble se préciser. Le mot taliban et le nom d'Oussama ben Laden semblent s'imposer. A défaut de savoir qui sont exactement ces taliban, vaste nébuleuse de Pachtouns afghans et d'Arabes venus du Golfe, la question: «Qui les a fabriqués?» a déjà une réponse.
Guerre d'Afghanistan. Malheureusement, les milliers de victimes du mardi 11 septembre constituent la rançon macabre des incohérences de la politique américaine en Afghanistan. Au début des années 80, les Etats-Unis apportèrent un soutien logistique important aux Afghans, engagés dans une guerre terrible contre l'Union soviétique. Un soutien symbolisé par la fourniture de missiles sol-air, les redoutables Stinger. Cette aide américaine fut, dans les faits, gérée directement par le Pakistan et se porta essentiellement en faveur de l'un des chefs de la résistance afghane, Gulbuddin Hekmatyar. Issu de l'ethnie pachtoun, population dont une partie vit également au Pakistan (où ils sont dénommés Pathan), Gulbuddin Hekmatyar était un familier des cercles du pouvoir du Pakistan, notamment de Zia ul-Haq. L'aide américaine lui fut en majorité attribuée au détriment d'un autre chef militaire, le commandant Massoud. Ce dernier, un Tadjik (25 % de la population de l'Afghanistan), inspirait moins confiance à Islamabad.
Première trahison. A la fin de la guerre d'Afghanistan, les soldats de Gulbuddin Hekmatyar, enhardis par leur succès, entreprirent un nouveau combat contre cette Amérique impie, accusée de persécuter les musulmans en Bosnie et en Somalie. Le symbole de cette lutte fut le premier attentat contre le World Trade Center, en février 1993. Première trahison. C'est à ce moment-là que les Américains prennent conscience de la menace que représentent ces mouvements extrémistes.
Washington décide alors de mettre sur pied et de financer, avec le concours de l'Arabie Saoudite et du Pakistan, un mouvement dénommé les taliban, avec deux objectifs en tête. La priorité est d'éradiquer les mouvements islamistes présents en Afghanistan en instaurant un régime politique rigoriste et stable, à l'image de celui de l'Arabie Saoudite.
Mais le financement des taliban s'explique également par un intérêt pétrolier largement oublié aujourd'hui. En ce milieu des années 90, les hydrocarbures de la mer Caspienne et des Etats riverains suscitent les convoitises du consortium américain Unocal. Or cette région d'Asie centrale est enclavée. L'idée va alors germer de construire un gazoduc, doublé d'un oléoduc partant du Turkménistan, et qui devrait déboucher sur l'océan Indien en passant à travers l'Afghanistan.
Ce pétrole et ce gaz auraient pu être évacués par le sud à travers l'Iran. Mais la loi d'Amato interdit tout investissement américain dans ce pays. Les autres voies à travers la Turquie ou le Caucase sont jugées dangereuses (rébellion kurde, guerre de Tchétchénie...). Reste le trajet à travers l'Afghanistan. Ces hydrocarbures permettront d'alimenter les nouveaux marchés d'Asie comme la Chine, contrainte déjà d'importer 12 % de son pétrole.
Toutefois, la construction de ce gazoduc ne peut se concrétiser dans un pays plongé dans l'anarchie. L'arrivée des taliban est donc vue sous un angle favorable. Le département d'Etat américain comme les lobbies pétroliers américains vont faciliter la victoire des taliban, en accord avec le Pakistan et l'Arabie Saoudite. Le Pakistan, chef d'orchestre, gagnera une profondeur stratégique face à l'Inde, et l'Arabie Saoudite poursuit sa politique d'endiguement du chiisme (rite majoritaire en Iran et en Irak).
Pavot. Parvenus au pouvoir à Kaboul en septembre 1996, les taliban vont trahir les Etats-Unis. La culture du pavot (l'Afghanistan devient l'un des principaux producteurs) leur offre la liberté de quitter la tutelle américaine et de financer leur prosélytisme religieux.
L'engrenage est inéluctable et, en août 1998, sont perpétrés deux attentats, en Tanzanie et au Kenya. Deuxième trahison pour les Etats-Unis. Ces événements politiques et la condamnation de l'Afghanistan obligent alors l'Unocal à suspendre son projet pétrolier, en décembre 1998. Les rêves de profits fabuleux grâce à l'or noir de la Caspienne s'évanouissent.