kamomille
VIB
Par Ruth Grosrichard*
http://www.telquel-online.com/343/maroc5_343.shtml
Pour de nombreux patients, le
recours à la médecine moderne
nest plus incompatible avec les
thérapies traditionnelles.
(AIC PRESS)
Dans son ouvrage fondateur Psychanalyse en terre dislam, le psychanalyste marocain Jalil Bennani se penche sur l'histoire de la maladie mentale, tout en dressant un parallèle avec les contextes culturels, religieux et politiques. Lecture.
En ouvrant les travaux dun colloque, organisé en 2005 à Beyrouth, sur le thème La psychanalyse dans le monde arabe et islamique, Chawki Azouri, président de la Société libanaise de psychanalyse, nhésitait pas à lancer cette formule aux allures de slogan: La psychanalyse, cest la
démocratie !. Cest la démocratie, expliquait-il, puisque la psychanalyse vise à guérir le sujet non seulement de sa névrose, mais aussi et surtout de tout lien de dépendance (...) dallégeance et dassujettissement à la figure du dictateur interne quon appelle le Surmoi.
Cette approche est sans doute trop simplificatrice. Une chose est sûre en tout cas : telle que la concevait Freud, la psychanalyse opère par la parole, en instituant un dispositif dans lequel lanalyste, à lécoute du discours de lautre, ne se pose ni en juge ni en censeur. La seule règle à laquelle doit obéir lanalysant, dès le début de la cure, cest de dire tout ce qui lui passe par la tête, y compris ce qui lui paraît le plus absurde au regard de la logique, ou le plus inavouable du point de vue moral. Or, cette libération de et par la parole, ce droit et même ce devoir salutaire de tout dire, sans craindre de sentendre rétorquer obéis et tais-toi, ne peut évidemment avoir lieu dêtre que dans un espace démocratique, où les droits fondamentaux de lindividu sont reconnus et respectés, à commencer par la liberté dexpression. Pour le psychanalyste Jacques-Alain Miller, éditeur des Séminaires de Jacques Lacan, la psychanalyse nexiste pas sil nest pas permis dironiser, de mettre en question les idéaux de la cité, sans avoir à boire la ciguë. Elle est donc incompatible avec tout ordre de type totalitaire qui rassemble dans les mêmes mains le politique, le social, léconomique, voire le religieux. Elle a partie liée avec la liberté dexpression et avec le pluralisme. Mais pour que la psychanalyse simplante, ajoute Elisabeth Roudinesco, il faut aussi que la maladie mentale soit devenue lobjet dun savoir psychiatrique débarrassé des traditions qui faisaient du fou tantôt un personnage sacré, tantôt un possédé du démon. Il faut enfin que la découverte freudienne de linconscient ait suffisamment investi le champ de la culture à travers la production littéraire et philosophique.
Au début, le Bimaristane
Ce bref rappel nest pas inutile quand on se pose la question : quen est-il aujourdhui de la psychanalyse dans les Etats arabes et musulmans ? Ceux-ci sont en effet bien loin dêtre des modèles de démocratie. Il sagit de sociétés où la superstition et la magie occupent encore une place très importante. Et la production intellectuelle libre et ouverte peine à sy faire entendre.
Cest à cette question que Jalil Bennani, psychiatre-psychanalyste, fondateur de la Société psychanalytique marocaine, apporte des éléments de réponse dans son ouvrage Psychanalyse en terre dislam, introduction à la psychanalyse au Maghreb (co-édition Eres-Le Fennec, 2008), qui reprend et développe ce quil avait naguère exposé sous le titre La psychanalyse au pays des saints. Il nous invite dabord à un retour sur lhistoire des maladies mentales et de leurs traitements dans les pays du Maghreb. Au commencement, il y eut le Bimaristane (souvent abrégé en Maristane, hôpital en persan) pour malades physiques et malades mentaux. En Afrique du Nord, le premier grand Maristane est celui que le sultan almohade Yakoub El Mansour fit édifier à Marrakech au XIIème siècle et qui accueillit des médecins andalous aussi fameux que Ibn Tofaïl, Ibn Zohr, Ibn Rochd... À en croire le chroniqueur Al Marrakushi, cet hôpital navait pas son pareil tant par la beauté de son architecture que par la qualité des services et des soins dispensés aux malades. Après les Almohades, les Mérinides en créèrent beaucoup dautres qui disparurent peu à peu ou périclitèrent, ainsi quen témoigne Léon LAfricain au XVIème siècle. Le plus célèbre fut celui de Sidi Frej, à Fès. Du temps de sa splendeur, on y pratiquait notamment la musicothérapie pour apaiser les malades. Selon déminents psychiatres français Sérieux et Lwoff puis Du Mazel - qui le visitèrent respectivement en 1910 et 1921, il nétait plus quune cour des miracles où, rappelle Jalil Bennani, se trouvaient mélangés avec les fous tous ceux qui ne sont pas fous mais qui le deviennent (...) : perturbateurs de lordre établi, ivrognes, drogués et femmes déchues.
http://www.telquel-online.com/343/maroc5_343.shtml
Pour de nombreux patients, le
recours à la médecine moderne
nest plus incompatible avec les
thérapies traditionnelles.
(AIC PRESS)
Dans son ouvrage fondateur Psychanalyse en terre dislam, le psychanalyste marocain Jalil Bennani se penche sur l'histoire de la maladie mentale, tout en dressant un parallèle avec les contextes culturels, religieux et politiques. Lecture.
En ouvrant les travaux dun colloque, organisé en 2005 à Beyrouth, sur le thème La psychanalyse dans le monde arabe et islamique, Chawki Azouri, président de la Société libanaise de psychanalyse, nhésitait pas à lancer cette formule aux allures de slogan: La psychanalyse, cest la
démocratie !. Cest la démocratie, expliquait-il, puisque la psychanalyse vise à guérir le sujet non seulement de sa névrose, mais aussi et surtout de tout lien de dépendance (...) dallégeance et dassujettissement à la figure du dictateur interne quon appelle le Surmoi.
Cette approche est sans doute trop simplificatrice. Une chose est sûre en tout cas : telle que la concevait Freud, la psychanalyse opère par la parole, en instituant un dispositif dans lequel lanalyste, à lécoute du discours de lautre, ne se pose ni en juge ni en censeur. La seule règle à laquelle doit obéir lanalysant, dès le début de la cure, cest de dire tout ce qui lui passe par la tête, y compris ce qui lui paraît le plus absurde au regard de la logique, ou le plus inavouable du point de vue moral. Or, cette libération de et par la parole, ce droit et même ce devoir salutaire de tout dire, sans craindre de sentendre rétorquer obéis et tais-toi, ne peut évidemment avoir lieu dêtre que dans un espace démocratique, où les droits fondamentaux de lindividu sont reconnus et respectés, à commencer par la liberté dexpression. Pour le psychanalyste Jacques-Alain Miller, éditeur des Séminaires de Jacques Lacan, la psychanalyse nexiste pas sil nest pas permis dironiser, de mettre en question les idéaux de la cité, sans avoir à boire la ciguë. Elle est donc incompatible avec tout ordre de type totalitaire qui rassemble dans les mêmes mains le politique, le social, léconomique, voire le religieux. Elle a partie liée avec la liberté dexpression et avec le pluralisme. Mais pour que la psychanalyse simplante, ajoute Elisabeth Roudinesco, il faut aussi que la maladie mentale soit devenue lobjet dun savoir psychiatrique débarrassé des traditions qui faisaient du fou tantôt un personnage sacré, tantôt un possédé du démon. Il faut enfin que la découverte freudienne de linconscient ait suffisamment investi le champ de la culture à travers la production littéraire et philosophique.
Au début, le Bimaristane
Ce bref rappel nest pas inutile quand on se pose la question : quen est-il aujourdhui de la psychanalyse dans les Etats arabes et musulmans ? Ceux-ci sont en effet bien loin dêtre des modèles de démocratie. Il sagit de sociétés où la superstition et la magie occupent encore une place très importante. Et la production intellectuelle libre et ouverte peine à sy faire entendre.
Cest à cette question que Jalil Bennani, psychiatre-psychanalyste, fondateur de la Société psychanalytique marocaine, apporte des éléments de réponse dans son ouvrage Psychanalyse en terre dislam, introduction à la psychanalyse au Maghreb (co-édition Eres-Le Fennec, 2008), qui reprend et développe ce quil avait naguère exposé sous le titre La psychanalyse au pays des saints. Il nous invite dabord à un retour sur lhistoire des maladies mentales et de leurs traitements dans les pays du Maghreb. Au commencement, il y eut le Bimaristane (souvent abrégé en Maristane, hôpital en persan) pour malades physiques et malades mentaux. En Afrique du Nord, le premier grand Maristane est celui que le sultan almohade Yakoub El Mansour fit édifier à Marrakech au XIIème siècle et qui accueillit des médecins andalous aussi fameux que Ibn Tofaïl, Ibn Zohr, Ibn Rochd... À en croire le chroniqueur Al Marrakushi, cet hôpital navait pas son pareil tant par la beauté de son architecture que par la qualité des services et des soins dispensés aux malades. Après les Almohades, les Mérinides en créèrent beaucoup dautres qui disparurent peu à peu ou périclitèrent, ainsi quen témoigne Léon LAfricain au XVIème siècle. Le plus célèbre fut celui de Sidi Frej, à Fès. Du temps de sa splendeur, on y pratiquait notamment la musicothérapie pour apaiser les malades. Selon déminents psychiatres français Sérieux et Lwoff puis Du Mazel - qui le visitèrent respectivement en 1910 et 1921, il nétait plus quune cour des miracles où, rappelle Jalil Bennani, se trouvaient mélangés avec les fous tous ceux qui ne sont pas fous mais qui le deviennent (...) : perturbateurs de lordre établi, ivrognes, drogués et femmes déchues.