Une de mes amies qui porte les cheveux crépus à la mode « afro » ma rapporté quil lui arrivait parfois que des personnes noires lalpaguent dans la rue en la saluant de « bravos », comme si elle avait réalisé un exploit. En réalité, elle na fait que garder ses cheveux tels quils sont, mais ce choix est si contraire à la norme quil est perçu comme un acte daffirmation de soi, à contre-courant des obligations dominantes. Ce choix pose de fait les personnes qui ladoptent dans une posture de militants malgré eux, dêtres décomplexés et fiers.
Ce renversement du naturel fait passer les personnes qui ne choisissent pas de lisser leurs cheveux au mieux pour des artistes inspirés ou des militants, au pire pour des personnes sans éducation ou des pauvres. La société, dont le regard sest habitué à ces pratiques, attend de toutes les femmes qui ont les cheveux naturellement crépus quelles les portent lisses, et celles qui ne font pas « leffort » de se conformer à cette injonction sociale sont perçues comme « négligées ». Une femme portant des cheveux naturels sera ainsi considérée comme une originale, une « rebelle » ou une femme prenant peu soin delle. Stigmatisation garantie.
À la télévision, le message est clair : vous verrez rarement une journaliste sérieuse présenter les informations avec une volumineuse tignasse. Le film White Man [7], inversant les rapports entre Blancs et Noirs, nest pas allé jusquà montrer des Blancs redoublant defforts pour ressembler au modèle dominant. Il aurait pourtant été intéressant de les voir user de toutes sortes de procédés pour se foncer la peau, ou copier de manière maladroite les coiffures envisageables avec des cheveux crépus en gonflant leurs cheveux de manière grotesque. Dans le film de Chris Rock, Good Hair [8], les femmes noires qui se succèdent sur le plateau nont de cesse de dénigrer les cheveux crépus, certaines femmes les associant à une classe sociale inférieure faisant ainsi écho à lanalyse de Juliette Sméralda :
« Le défrisage est donc bien un signe qui transmet de linformation sociale sur la personne qui le pratique. »
P.-S.
Ce texte est extrait du livre de Rokhaya Diallo, Racisme, mode demploi, paru en 2011 aux éditions Hachette.