Pendant deux mois, lécrivain Eric Laurent a recueilli ses pensées les plus intimes. Il en a publié une première partie. Aujourdhui,il raconte le reste.
Linterview qui dérape
Jai rencontré Hassan II pour la première fois en 1991, à ma demande. Javais 44 ans, jétais alors journaliste spécialiste de politique étrangère au Figaro Magazine. Javais interviewé plusieurs chefs dEtat comme Mouammar Kadhafi, Saddam Hussein... A cette époque, les relations
franco-marocaines étaient très tendues, à cause de laffaire Boureqat*. Je souhaitais donc interviewer le roi et linterpeller à ce sujet pour quil clarifie la relation entre les deux pays. Au cours de notre entretien, jai demandé à Hassan II sil ne pensait pas que le cas des Boureqat avait été mal géré par le Maroc. Le roi me répond : Oui. Jenchaîne : Vous pensez donc que leur détention a été une erreur. Et là, il répond : Non, non, laffaire naurait jamais dû apparaître au grand jour !. Jai consigné ces propos et, quelques mois plus tard, les frères Boureqat ont porté plainte contre Hassan II, contre Le Figaro, mais aussi contre moi. Etant lauteur de larticle, on a considéré que jétais solidaire de ces propos. Quelque temps plus tard, un conseiller du roi mappelle pour me dire : Sa Majesté cherche une issue à cette affaire. On a tenu à minformer parce que jétais impliqué dans ce dossier. La suite, on la connaît, il y a eu un arrangement
* Les frères Boureqat, famille proche du pouvoir, ont été victimes de disparition forcée en 1973 après que lun deux eut averti Hassan II quun complot se tramait contre lui. Ils ont été libérés de Tazmamart en 1991.
Biographie ou entretien ?
Nous sommes en 1992, quelques mois après la parution de mon interview avec Hassan II. André Azoulay, conseiller de Hassan II, mappelle pour me dire que le roi souhaite écrire un livre. Il avait, ma-t-on dit, apprécié mon livre Guerre du golfe, le dossier secret (Ed. Orban, 1990), écrit avec Pierre Salinger (journaliste américain, spécialiste en communication politique, ex-porte-parole de la Maison Blanche). Jétais partant, évidemment. Nimporte quel journaliste aurait rêvé de faire un livre avec Hassan II. Cétait loccasion de partager en temps réel lintimité dun chef dEtat, un monarque de droit divin, de découvrir son environnement, son fonctionnement, ses travers, ses qualités Je dis à Hassan II que nous avions plusieurs alternatives. Soit une biographie, auquel cas il devait mouvrir les archives. Jai aussi posé comme condition quil nait pas un droit de regard sur le livre. Deuxième option : le livre dentretien, plus rapide à faire, mais moins complet. Je me rends donc au Maroc, à Ifrane, où je rejoins le roi. Cétait la veille de la fête du Trône en 1992. La première journée, nous nous rendons dans une ferme piscicole de Hassan II, en fin de matinée. Nous y allons dans un 4x4 quil conduit lui-même. A un moment, le roi réclame une canne à pêche et se dirige vers le bord dun lac artificiel. Alors quil pensait être seul, je lentends murmurer : Elles ne veulent pas mobéir !. Il parlait des truites qui ne mordaient pas à lhameçon Après avoir discuté avec Hassan II, nous nous mettons daccord pour écrire ses mémoires sous forme dentretien.
http://www.telquel-online.com/421/couverture_421.shtml
Linterview qui dérape
Jai rencontré Hassan II pour la première fois en 1991, à ma demande. Javais 44 ans, jétais alors journaliste spécialiste de politique étrangère au Figaro Magazine. Javais interviewé plusieurs chefs dEtat comme Mouammar Kadhafi, Saddam Hussein... A cette époque, les relations
franco-marocaines étaient très tendues, à cause de laffaire Boureqat*. Je souhaitais donc interviewer le roi et linterpeller à ce sujet pour quil clarifie la relation entre les deux pays. Au cours de notre entretien, jai demandé à Hassan II sil ne pensait pas que le cas des Boureqat avait été mal géré par le Maroc. Le roi me répond : Oui. Jenchaîne : Vous pensez donc que leur détention a été une erreur. Et là, il répond : Non, non, laffaire naurait jamais dû apparaître au grand jour !. Jai consigné ces propos et, quelques mois plus tard, les frères Boureqat ont porté plainte contre Hassan II, contre Le Figaro, mais aussi contre moi. Etant lauteur de larticle, on a considéré que jétais solidaire de ces propos. Quelque temps plus tard, un conseiller du roi mappelle pour me dire : Sa Majesté cherche une issue à cette affaire. On a tenu à minformer parce que jétais impliqué dans ce dossier. La suite, on la connaît, il y a eu un arrangement
* Les frères Boureqat, famille proche du pouvoir, ont été victimes de disparition forcée en 1973 après que lun deux eut averti Hassan II quun complot se tramait contre lui. Ils ont été libérés de Tazmamart en 1991.
Biographie ou entretien ?
Nous sommes en 1992, quelques mois après la parution de mon interview avec Hassan II. André Azoulay, conseiller de Hassan II, mappelle pour me dire que le roi souhaite écrire un livre. Il avait, ma-t-on dit, apprécié mon livre Guerre du golfe, le dossier secret (Ed. Orban, 1990), écrit avec Pierre Salinger (journaliste américain, spécialiste en communication politique, ex-porte-parole de la Maison Blanche). Jétais partant, évidemment. Nimporte quel journaliste aurait rêvé de faire un livre avec Hassan II. Cétait loccasion de partager en temps réel lintimité dun chef dEtat, un monarque de droit divin, de découvrir son environnement, son fonctionnement, ses travers, ses qualités Je dis à Hassan II que nous avions plusieurs alternatives. Soit une biographie, auquel cas il devait mouvrir les archives. Jai aussi posé comme condition quil nait pas un droit de regard sur le livre. Deuxième option : le livre dentretien, plus rapide à faire, mais moins complet. Je me rends donc au Maroc, à Ifrane, où je rejoins le roi. Cétait la veille de la fête du Trône en 1992. La première journée, nous nous rendons dans une ferme piscicole de Hassan II, en fin de matinée. Nous y allons dans un 4x4 quil conduit lui-même. A un moment, le roi réclame une canne à pêche et se dirige vers le bord dun lac artificiel. Alors quil pensait être seul, je lentends murmurer : Elles ne veulent pas mobéir !. Il parlait des truites qui ne mordaient pas à lhameçon Après avoir discuté avec Hassan II, nous nous mettons daccord pour écrire ses mémoires sous forme dentretien.
http://www.telquel-online.com/421/couverture_421.shtml
La der des ders
Jai revu Hassan II pour la dernière fois lors de la fête du Trône en 1999. En temps normal, à cette occasion, le roi est debout tandis que les gens défilent devant lui dans le mechouar et lui embrassent la main. Mais là, Hassan II est malade. Il est assis, les traits tirés. Le prince héritier Sidi Mohammed est à côté de lui. La cérémonie est écourtée, à la demande du roi. Immédiatement, Hassan II se retire dans ses appartements. Il monte un escalier, avec difficulté, se bat contre la rampe alors quun serviteur se tient derrière lui à distance respectueuse. Je le suis du regard Soudain, il se retourne, saperçoit que je le fixe et me lance un regard furieux, probablement pace que je le voyais dans cet état. Il était dune humeur massacrante. Pendant ce temps-là, la foule des invités na dyeux que pour le prince héritier Sidi Mohammed. Les convives se ruent sur lui, cétait à qui allait lui toucher la main le premier. Jai eu une drôle dimpression à ce moment, un peu comme si Hassan II était déjà sorti de lHistoire. Cétait en quelque sorte le roi est mort vive le roi, avant lheure. A lannonce de sa mort, quelques semaines plus tard, jai dabord été incrédule. En fait, Hassan II était beaucoup plus malade quil ne le prétendait. Oui, je dois ladmettre, jai ressenti un manque pendant un moment.