L’identité entre le «tagine» et le «patchwork»
Par Rachid Achachi
«Qu’est-ce qu’être marocain?»: voilà une question qui dérange puisqu’elle s’immisce au cœur même de notre intimité, en interrogeant notre être profond et par ricochet notre être collectif. Faites un micro-trottoir à ce propos et vous aurez autant de réponses détricotées que de personnes interrogées.
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Longtemps reléguée au statut de relique historique, l’identité nationale redevient, et ce depuis que la mécanique de la mondialisation heureuse s’est grippée au sens propre (COVID19) comme au figuré (Crise de 2008), une question politique fondamentale dont on ne peut faire l’économie au risque de la voir tomber entre de mauvaises mains.
En Occident, les différents «populismes» autant que certaines «droites traditionnelles» ont fait de la question leur cheval de bataille politique de même que leur étendard rhétorique, animés en cela par un opportunisme politique et des visées électorales courtérmistes. Une manière somme toute vicieuse d’éluder la question sans avoir à l’aborder sérieusement et en profondeur, tout en les préservant du terrain glissant des catégories du sérieux politique,
celui de la remise en cause des politiques néolibérales des années 1980-90,
de la crise de l’Euro, du rouleau compresseur de la mondialisation, du surendettement de plus en plus chronique des Etats, de l’acculturation marchande… Car à quoi bon entrer dans des débats métapolitiques quand il suffit de désigner un ennemi, le plus faible de préférence. La politique du bouc-émissaire, aurait dit René Girard.
L’identité entre les mains des politiques? C’est un peu l’opium du peuple, ce qui permet de tenir le coup pour le dire plus trivialement. C’est de la thanatopraxie politique ou l’art d’embaucher le cadavre du peuple, avant de l’enfermer dans un sarcophage pseudo-identitaire.
Au Maroc, entre le fétichisme identitaire du net que je qualifie de «taginisme» et le discours policé du politique, celui du patchwork identitaire, une marge d’intelligence existe, et il devient de plus en plus en plus urgent de l’investir autant intellectuellement que politiquement. Car à une époque où les dynamiques de déracinements de tout bord prennent d’assaut les dernières citadelles culturelles, celles
qui fondent notre être profond, notre «Marocanité» et notre profondeur civilisationnelle, si nous ne sommes pas capables de définir qui nous sommes, d’autres se feront le plaisir de le faire à notre place.
Car oui,
«Qu’est-ce qu’être marocain?», voilà une question qui dérange profondément puisqu’elle s’immisce au cœur même de notre intimité ontologique, en interrogeant notre être profond et par ricochet notre être collectif. Faites un micro-trottoir à ce propos et vous aurez autant de réponses détricotées que de personnes interrogées.
Sur la scène politique marocaine, le concept de
«Tamaghrabit» refait ponctuellement surface dans la rhétorique de tel ou tel parti, avant de s’éclipser à nouveau au profit des joutes verbales et des débats de secondes zones.
Sur les réseaux sociaux, la confusion entre identité et artefacts culturels donne lieu à un fétichisme identitaire qui, bien que flatteur, atrophie toute capacité à penser la question en profondeur.
C’est le «taginisme 2.0». D’un point de vue structuraliste, cela reviendrait à définir une langue par les phrases qu’elle a rendue possibles. Or il se trouve qu’une langue est avant tout une syntaxe, une grammaire… Autrement dit, une structure qui crée un champ de possibilité linguistique. L’idiosyncrasie d’une langue réside donc en amont et par-delà la dimension formelle dans sa structure. Il en va de même pour l’identité.