mardi 23 décembre 2008 - 06h:59
Alain Gresh - Le Monde Diplomatique
« Le Hamas et les forces palestiniennes ont offert une occasion en or dapporter une solution raisonnable au conflit israélo-arabe. Malheureusement, personne ne sen est saisi, ni ladministration américaine, ni lEurope, ni le Quartet. Notre bonne volonté sest heurtée au refus israélien que personne na la capacité ou la volonté de surmonter. Dans le document dentente nationale de 2006 signé avec toutes le forces palestiniennes (à lexception du Jihad islamique), nous affirmons notre acceptation dun Etat palestinien dans les frontières du 4 juin 1967, avec Jérusalem comme capitale, sans colonies et avec le sujet (mawdou) du droit au retour. Cest le programme commun aux forces palestiniennes. Certaines veulent plus, dautres moins. Ce programme date de trois ans. Les Arabes veulent quelque chose de similaire. Le problème est en Israël. Les Etats-Unis jouent un rôle de spectateur dans les négociations et ils appuient les réticences israéliennes. Le problème nest donc pas le Hamas, ni les pays arabes : il est israélien. »
Dans une villa de Damas, Khaled Mechaal, le chef du bureau politique du Hamas, multiplie les entretiens avec la presse, alors que le cessez-le-feu avec Israël à Gaza est arrivé à échéance le 19 décembre et que le mandat du président Mahmoud Abbas (Abou Mazen) arrive à son terme début janvier. La télévision du Hamas indique le chiffre « 19 » au-dessous du portrait du président : le temps au-delà duquel lorganisation ne reconnaîtra plus sa légitimité.
Mechaal jouit dune aura particulière depuis quil a échappé de peu à la mort en septembre 1997. Il résidait alors à Amman. Sur ordre de Benyamin Netanyahou, le premier ministre israélien, un commando des services secrets israéliens lui avait injecté un poison. Mais lopération tourna au fiasco quand les membres du commando furent arrêtés par les Jordaniens ; le roi Hussein exigea que son voisin lui livre lantidote. Pour faire bonne mesure, Israël accepta aussi de libérer le cheikh Ahmed Yassine, dirigeant spirituel du Hamas (qui sera assassiné le 22 mars 2004).
Le Hamas se défend dêtre un obstacle à la paix. « Nous avons une position de réserve par rapport à la reconnaissance dIsraël. Mais, malgré cela, nous avons dit que nous ne serions pas un obstacle aux actions arabes pour la mise en uvre de linitiative arabe de 2002. Les Arabes ont multiplié les initiatives. Ils ont renouvelé leur proposition en 2007. Et, malgré cela, la direction israélienne refuse linitiative de paix arabe, elle la découpe en parties, elle joue sur les mots, elle multiplie les manuvres. »
Le précédent de la reconnaissance inconditionnelle par lOLP de lEtat dIsraël ne poussera sûrement pas le Hamas à suivre la même voie. A la fin des années 1980 aussi, les Etats-Unis multipliaient les pressions sur lOLP pour que celle-ci reconnaisse officiellement lEtat dIsraël (sans jamais préciser dans quelles frontières). En décembre 1988, Arafat obtempérait. Vingt ans plus tard, lEtat palestinien nexiste toujours pas. Pour Mechaal, comme pour nombre de Palestiniens, à quoi serviraient de nouvelles concessions ? Après tout, Mahmoud Abbas a déjà fait toutes les concessions demandées, et les négociations quil mène depuis des années nont pas avancé...
Les propos de Khaled Mechaal dégagent une certaine assurance. Depuis sa victoire aux élections législatives de janvier 2006 et malgré toutes les pressions, le Hamas reste un acteur incontournable, notamment depuis la prise de contrôle de la bande de Gaza en juin 2007. Dautant quil a réussi à infliger une défaite militaire à Israël qui a contraint ce dernier à rechercher un cessez-le-feu.
Cest ce cessez-le-feu (ou plutôt tahdia, « retour au calme », selon le terme arabe), négocié sous légide de lEgypte, qui est arrivé à échéance le 19 décembre. Pourquoi ?
« Le cessez-le-feu ne sest pas terminé par une décision. Il devait se terminer au bout de six mois, et cest ce qui se passe. Il ny a pas besoin que quelquun annonce sa fin. Laccord comprenait trois points : le cessez-le-feu entre les parties ; lextension du cessez-le-feu au bout de quelques mois à la Cisjordanie ; la levée du blocus de Gaza. Dautre part, il existait un engagement de lEgypte douvrir le point de passage de Rafah. »
« Ces engagements nont été respectés que très partiellement par Israël. Oui, le niveau de violence a baissé, les agressions contre Gaza ont diminué, mais elles ne se sont pas arrêtées (vingt-cinq Palestiniens ont été tués depuis la signature de laccord). Quant au reste, rien na été conclu. Les points de passage qui auraient dû rouvrir dans les dix jours qui suivaient le 19 juin nont été rouverts que très partiellement. Et, dans la dernière période, la situation à Gaza est devenue pire quavant laccord. Ce bilan, nous lavons dressé depuis longtemps, mais, par égard pour lEgypte qui a négocié laccord, nous nous y sommes tenus. »
« En juin, 94 % de la population de Gaza était avec laccord. Aujourdhui, les gens sont contre, car il na pas réalisé ce qui pour eux est lessentiel : la levée du blocus. Le non-renouvellement de laccord était naturel et conforme à létat desprit de la population. »
Mechaal ajoute :
« De toute façon, la tahdia ne pouvait être que provisoire. Car ce qui est à lorigine de la situation, cest loccupation, et loccupation engendre la résistance. Nous menons une guerre défensive, pas dagression. »
Sur le terrain, les combats ont repris. Aux raids israéliens répondent les roquettes palestiniennes. La presse israélienne évoque une opération de grande envergure contre la bande de Gaza et Tzipi Livni, ministre israélienne des affaires étrangères, déclare quil faut se débarrasser du Hamas par tous les moyens. Mais que peut-on tenter dautre, en dehors dun retour à loccupation directe de Gaza ?
Le Hamas dispose de soutiens régionaux, en premier lieu la Syrie et lIran. Plusieurs pays du Golfe ont maintenu des relations avec le mouvement. La Jordanie, après une longue période de boycottage, a entamé un dialogue avec lorganisation. Pragmatique, le roi Abdallah a dû prendre en compte les échecs des tentatives déliminer le Hamas, qui dispose dappuis importants dans le royaume, notamment lorganisation des Frères musulmans. Dautre part, les négociations israélo-palestiniennes sont dans limpasse et labsence de toute solution sur la question des réfugiés - il y a plusieurs millions de Palestiniens en Jordanie - fait craindre au souverain la renaissance de lidée que la Jordanie devrait être lEtat palestinien, une idée agitée à plusieurs reprises par la droite israélienne. Or, le Hamas est opposé aussi bien à cette idée quà celle dune installation définitive des réfugiés dans les pays daccueil.
Le problème pour le Hamas reste lattitude de lEgypte. Le Caire a administré la bande de Gaza entre 1949 et 1967. Il y dispose dune influence réelle. LEgypte a été le parrain de laccord de tahdia entre Israël et le Hamas. Pourtant, elle ne considère pas que le Hamas, qui a gagné les élections de 2006, est lautorité légitime ; et elle le voit comme une simple extension des Frères musulmans, qui sont la principale force dopposition - très réprimée - au régime du président Moubarak. Enfin, lEgypte, qui a signé un accord de paix avec Israël, préfère la « souplesse » de Mahmoud Abbas à l« intransigeance » du Hamas. Est-ce cela qui permet de comprendre pourquoi Le Caire refuse douvrir le passage de Rafah entre lEgypte et Gaza, ouverture qui permettrait ce casser le blocus, mais qui serait interprétée comme une victoire du Hamas ?
« Nous voulons de bonnes relations avec les pays arabes, explique Mechaal. Nous ne sommes jamais à lorigine des ruptures avec tel ou tel. Nous traitons toujours avec les gouvernements, jamais avec les forces dopposition ; nous ne nous ingérons pas dans les affaires intérieures. »
Un retour à lunité palestinienne est-il envisageable ?
Depuis la prise de contrôle de la bande de Gaza par le Hamas, les ponts étaient rompus entre le président Abbas et les islamistes. Laccord de La Mecque était enterré. « Il y a eu deux étapes dans les tentatives de réconciliation entre le pouvoir de Ramallah et nous. Au départ, le pouvoir ne voulait pas daccord à cause des vetos américain et israélien ; parce quil pensait que nous allions nous effondrer à Gaza sous leffet du blocus ; et que le sommet dAnnapolis allait déboucher sur une percée. Malgré les efforts de nombreux Etats arabes et aussi dautres pays comme le Sénégal, la réconciliation na pu avoir lieu. »
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Alain Gresh - Le Monde Diplomatique
« Le Hamas et les forces palestiniennes ont offert une occasion en or dapporter une solution raisonnable au conflit israélo-arabe. Malheureusement, personne ne sen est saisi, ni ladministration américaine, ni lEurope, ni le Quartet. Notre bonne volonté sest heurtée au refus israélien que personne na la capacité ou la volonté de surmonter. Dans le document dentente nationale de 2006 signé avec toutes le forces palestiniennes (à lexception du Jihad islamique), nous affirmons notre acceptation dun Etat palestinien dans les frontières du 4 juin 1967, avec Jérusalem comme capitale, sans colonies et avec le sujet (mawdou) du droit au retour. Cest le programme commun aux forces palestiniennes. Certaines veulent plus, dautres moins. Ce programme date de trois ans. Les Arabes veulent quelque chose de similaire. Le problème est en Israël. Les Etats-Unis jouent un rôle de spectateur dans les négociations et ils appuient les réticences israéliennes. Le problème nest donc pas le Hamas, ni les pays arabes : il est israélien. »
Dans une villa de Damas, Khaled Mechaal, le chef du bureau politique du Hamas, multiplie les entretiens avec la presse, alors que le cessez-le-feu avec Israël à Gaza est arrivé à échéance le 19 décembre et que le mandat du président Mahmoud Abbas (Abou Mazen) arrive à son terme début janvier. La télévision du Hamas indique le chiffre « 19 » au-dessous du portrait du président : le temps au-delà duquel lorganisation ne reconnaîtra plus sa légitimité.
Mechaal jouit dune aura particulière depuis quil a échappé de peu à la mort en septembre 1997. Il résidait alors à Amman. Sur ordre de Benyamin Netanyahou, le premier ministre israélien, un commando des services secrets israéliens lui avait injecté un poison. Mais lopération tourna au fiasco quand les membres du commando furent arrêtés par les Jordaniens ; le roi Hussein exigea que son voisin lui livre lantidote. Pour faire bonne mesure, Israël accepta aussi de libérer le cheikh Ahmed Yassine, dirigeant spirituel du Hamas (qui sera assassiné le 22 mars 2004).
Le Hamas se défend dêtre un obstacle à la paix. « Nous avons une position de réserve par rapport à la reconnaissance dIsraël. Mais, malgré cela, nous avons dit que nous ne serions pas un obstacle aux actions arabes pour la mise en uvre de linitiative arabe de 2002. Les Arabes ont multiplié les initiatives. Ils ont renouvelé leur proposition en 2007. Et, malgré cela, la direction israélienne refuse linitiative de paix arabe, elle la découpe en parties, elle joue sur les mots, elle multiplie les manuvres. »
Le précédent de la reconnaissance inconditionnelle par lOLP de lEtat dIsraël ne poussera sûrement pas le Hamas à suivre la même voie. A la fin des années 1980 aussi, les Etats-Unis multipliaient les pressions sur lOLP pour que celle-ci reconnaisse officiellement lEtat dIsraël (sans jamais préciser dans quelles frontières). En décembre 1988, Arafat obtempérait. Vingt ans plus tard, lEtat palestinien nexiste toujours pas. Pour Mechaal, comme pour nombre de Palestiniens, à quoi serviraient de nouvelles concessions ? Après tout, Mahmoud Abbas a déjà fait toutes les concessions demandées, et les négociations quil mène depuis des années nont pas avancé...
Les propos de Khaled Mechaal dégagent une certaine assurance. Depuis sa victoire aux élections législatives de janvier 2006 et malgré toutes les pressions, le Hamas reste un acteur incontournable, notamment depuis la prise de contrôle de la bande de Gaza en juin 2007. Dautant quil a réussi à infliger une défaite militaire à Israël qui a contraint ce dernier à rechercher un cessez-le-feu.
Cest ce cessez-le-feu (ou plutôt tahdia, « retour au calme », selon le terme arabe), négocié sous légide de lEgypte, qui est arrivé à échéance le 19 décembre. Pourquoi ?
« Le cessez-le-feu ne sest pas terminé par une décision. Il devait se terminer au bout de six mois, et cest ce qui se passe. Il ny a pas besoin que quelquun annonce sa fin. Laccord comprenait trois points : le cessez-le-feu entre les parties ; lextension du cessez-le-feu au bout de quelques mois à la Cisjordanie ; la levée du blocus de Gaza. Dautre part, il existait un engagement de lEgypte douvrir le point de passage de Rafah. »
« Ces engagements nont été respectés que très partiellement par Israël. Oui, le niveau de violence a baissé, les agressions contre Gaza ont diminué, mais elles ne se sont pas arrêtées (vingt-cinq Palestiniens ont été tués depuis la signature de laccord). Quant au reste, rien na été conclu. Les points de passage qui auraient dû rouvrir dans les dix jours qui suivaient le 19 juin nont été rouverts que très partiellement. Et, dans la dernière période, la situation à Gaza est devenue pire quavant laccord. Ce bilan, nous lavons dressé depuis longtemps, mais, par égard pour lEgypte qui a négocié laccord, nous nous y sommes tenus. »
« En juin, 94 % de la population de Gaza était avec laccord. Aujourdhui, les gens sont contre, car il na pas réalisé ce qui pour eux est lessentiel : la levée du blocus. Le non-renouvellement de laccord était naturel et conforme à létat desprit de la population. »
Mechaal ajoute :
« De toute façon, la tahdia ne pouvait être que provisoire. Car ce qui est à lorigine de la situation, cest loccupation, et loccupation engendre la résistance. Nous menons une guerre défensive, pas dagression. »
Sur le terrain, les combats ont repris. Aux raids israéliens répondent les roquettes palestiniennes. La presse israélienne évoque une opération de grande envergure contre la bande de Gaza et Tzipi Livni, ministre israélienne des affaires étrangères, déclare quil faut se débarrasser du Hamas par tous les moyens. Mais que peut-on tenter dautre, en dehors dun retour à loccupation directe de Gaza ?
Le Hamas dispose de soutiens régionaux, en premier lieu la Syrie et lIran. Plusieurs pays du Golfe ont maintenu des relations avec le mouvement. La Jordanie, après une longue période de boycottage, a entamé un dialogue avec lorganisation. Pragmatique, le roi Abdallah a dû prendre en compte les échecs des tentatives déliminer le Hamas, qui dispose dappuis importants dans le royaume, notamment lorganisation des Frères musulmans. Dautre part, les négociations israélo-palestiniennes sont dans limpasse et labsence de toute solution sur la question des réfugiés - il y a plusieurs millions de Palestiniens en Jordanie - fait craindre au souverain la renaissance de lidée que la Jordanie devrait être lEtat palestinien, une idée agitée à plusieurs reprises par la droite israélienne. Or, le Hamas est opposé aussi bien à cette idée quà celle dune installation définitive des réfugiés dans les pays daccueil.
Le problème pour le Hamas reste lattitude de lEgypte. Le Caire a administré la bande de Gaza entre 1949 et 1967. Il y dispose dune influence réelle. LEgypte a été le parrain de laccord de tahdia entre Israël et le Hamas. Pourtant, elle ne considère pas que le Hamas, qui a gagné les élections de 2006, est lautorité légitime ; et elle le voit comme une simple extension des Frères musulmans, qui sont la principale force dopposition - très réprimée - au régime du président Moubarak. Enfin, lEgypte, qui a signé un accord de paix avec Israël, préfère la « souplesse » de Mahmoud Abbas à l« intransigeance » du Hamas. Est-ce cela qui permet de comprendre pourquoi Le Caire refuse douvrir le passage de Rafah entre lEgypte et Gaza, ouverture qui permettrait ce casser le blocus, mais qui serait interprétée comme une victoire du Hamas ?
« Nous voulons de bonnes relations avec les pays arabes, explique Mechaal. Nous ne sommes jamais à lorigine des ruptures avec tel ou tel. Nous traitons toujours avec les gouvernements, jamais avec les forces dopposition ; nous ne nous ingérons pas dans les affaires intérieures. »
Un retour à lunité palestinienne est-il envisageable ?
Depuis la prise de contrôle de la bande de Gaza par le Hamas, les ponts étaient rompus entre le président Abbas et les islamistes. Laccord de La Mecque était enterré. « Il y a eu deux étapes dans les tentatives de réconciliation entre le pouvoir de Ramallah et nous. Au départ, le pouvoir ne voulait pas daccord à cause des vetos américain et israélien ; parce quil pensait que nous allions nous effondrer à Gaza sous leffet du blocus ; et que le sommet dAnnapolis allait déboucher sur une percée. Malgré les efforts de nombreux Etats arabes et aussi dautres pays comme le Sénégal, la réconciliation na pu avoir lieu. »
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