Lidée que les Chinois veulent dominer le monde se porte bien, on dirait, surtout chez ceux qui ne savent rien ou seulement ce quon leur dit de la Chine et des Chinois. Dabord, les Chinois, cest qui ? Hu Jia, qui a reçu le Prix Sakharov ? Les paysans qui sont expulsés de leur terre ? Bon, je ne vais pas métendre. Je vais juste poster ce que javais posté sur un blog de journal en réponse à une dame qui croyait, et qui doit toujours croire, que les Chinois veulent dominer le monde :
«
Avez-vous répondu à la question de la proximité dune suprématie ? Sans doute, mais incidemment et en reconnaissant implicitement que la Chine en est moins proche que lOccident. En effet, vous avez réduit ce dernier à la France et à un endettement des Français. Avez-vous bien fait ? Ne craignez-vous pas davoir teinté dun endettement public un peuple qui se distingue par son amour de lépargne ? Mais prenons votre thèse pour ce quelle est. Les dettes des particuliers français sont-elles des créances chinoises ? Si cest le cas, pourquoi craindre un dragon ? Nest-il pas déjà notre maître ? Mais il ne semble pas que ce soit le cas. Comme Jacques nous la rappelé, et vous lavez repris, les créances chinoises sont des dettes étatsuniennes.
Il semble que largent chinois ne se fie pas au crédit national. Comme Monsieur Camaret se plaît à le souligner, nous lui sommes quantités négligeables. Tout juste bons à berner, comme me le rappelle cette anecdote professionnelle. Un capitaliste chinois, connu des ventes deauvillaises de yearlings, avait entrepris dassembler des téléviseurs en Mayenne. Les élus locaux lui avaient accordé quelques millions de francs de subventions. A peine les eut-il mis en sécurité que lentreprise sévanouit. Si lon sen tient à une dépendance financière, votre thèse aurait été mieux soutenue en la situant aux Etats-Unis. Cependant, une autre dépendance doit être examinée, celle qui a pour objets ces babioles pour lesquelles le consommateur national sendette.
Cette addiction serait-elle une manipulation chinoise aux fins dasservir le monde en général et les Français en particulier, telle que celle qui autrefois consista à introduire de force lopium anglo-indien en Chine ? Voyons le disque dur externe posé à mon côté : « Thailand » et « China ». Voyons la souris : « Made in China », comme le scanner. Voyons limprimante : « Product of Malaysia ». Voyons enfin le « cerveau » de ces babioles : assemblé en Tchéquie, ce qui laisse planer une ombre extrême-orientale sur ses composants. Voyons maintenant qui tient le col de la bouteille, comme disent les Anglo-saxons. Une entreprise étatsunienne, une autre japonaise, deux autres européennes. Bon sang, mais cest bien sûr ! Cest lOccident qui conspire à son asservissement ! Enfin, à la servitude de ses consommateurs.
Une autre dépendance est encore à considérer. Toutes ces babioles impliquent de la technologie, dont nous avons préféré dépendre alors que nos ancêtres préféraient dépendrent de leurs semblables. Cette technologie serait-elle une invention chinoise aux fins que vous prêtez à cette nationalité ? Je ne vais pas vous faire un cours dhistoire des techniques ni enfiler les noms des géniaux inventeurs occidentaux. Mais puis-je vous suggérer de prendre la mesure des questions dont vous traitez ? Jen viens maintenant à votre argument du coût humain de lambition chinoise de dominer le monde.
A ce sujet, je ne résiste jamais au plaisir de citer ce jugement dArnold Toynbee père, qui date de 1884 : « Plus on examine le cours des affaires, plus on est stupéfait par les souffrances inutiles qui ont été infligées aux gens. » Oui, inutiles (unnecessary), vous avez bien lu, et lauteur était loin dêtre un révolutionnaire. Mais savez-vous que depuis le 1er janvier 2007, le contrat de travail est obligatoire en Chine, bien que les employeurs locaux et étrangers sy sont opposés ? A peine vingt années pour parvenir à un point que les Occidentaux ont mis deux siècles à atteindre.
La Chine rejoue en accéléré lhistoire de lOccident depuis la Révolution industrielle. Au cinéma, laccéléré produit un effet comique. Peut-être certains ont-ils lidée que ce remake la conduira, comme loriginal, à la suprématie que ce dernier exerce aujourdhui. Il faut dailleurs créditer le pouvoir chinois dappliquer consciencieusement la recette originale après avoir appris aux dépens de son peuple quune autre recette ne marche pas. Monsieur Camaret dit les Chinois fiers de leur passé. Outre que je doute quaprès une Révolution culturelle ils en sachent plus que ce que leurs maîtres leur en ont inculqué, lhistoire chinoise présente cet épisode.
Au temps des Ming et de lempereur Yongle, au siècle 15, les jonques chinoises sillonnaient les mers, transportant les marchandises des différents peuples du Mozambique à lIndonésie, établissant en Australie des exploitations minières et lon a même identifié lune de ces jonques dans une épave enfouie dans les sables du Sacramento, qui débouche dans la baie de San Francisco. Un officier sous-marinier anglais, Gavin Menzies, soutient la thèse que les Chinois ont découvert lAmérique avant Colomb, doublé le Cap de Bonne Espérance avant Diaz et le Horn avant Magellan. Combien de Chinois connaissent-ils le nom de Zheng De, lorganisateur musulman de cette épopée maritime ?
Toujours est-il quau cours de ce même siècle, la construction de navires de haute mer fut interdite, les chantiers navals démantelés, au prétexte, paraît-il, que lEmpire du Milieu se suffisait à lui-même et navait aucun besoin du reste du monde. Lhypothèse dun règlement de compte entre mandarins et eunuques, dont Zheng De était et qui formaient les cadres de la marine, nest pas moins plausible. Sans doute Monsieur Camaret y trouvera-t-il une preuve de notre incompréhensibilité des Chinois, qui, en revanche, nous comprennent fort bien, comme je lai peut-être montré.
Enfin, ne faut-il pas se faire une raison ? Des Chinois incarnent aujourdhui les vertus primitives de la modernité occidentale, dont vous êtes fière au point dy être attachée comme bernique au rocher. Ils sont vos émules. Et quimporte que largent et les capitalistes soient chinois
».