La voiture, bardée de lance-roquettes et siglée du nom d'un groupe rebelle, déboule sans prévenir. A son bord, un homme enturbanné interpelle un soldat de l'Eufor (Force de l'Union européenne au Tchad) , de passage ce jour-là à un point d'eau à Iriba, à l'est du Tchad. «Pourquoi vous êtes armés? Qu'est-ce que vous faites là?», lui demande-t-il. Le soldat polonais s'approche et le salue cordialement: «On fait partie de l'Eufor. On assure la sécurité dans la région. Là on ne fait rien de spécial. C'est la routine», lui explique-t-il. En face, son interlocuteur se détend, plaisante un peu, puis poursuit sa route. Il appartient au groupe du Rassemblement des Forces pour le Changement (RFC), qui combattait le pouvoir avant de se rallier il y a quelques semaines à l'Armée Nationale Tchadienne. Apparemment pas surpris par cette visite impromptue, le soldat polonais explique: «On croise beaucoup de rebelles au Tchad. On salue tout le monde quand on les croise. Notre but est de montrer notre impartialité.»
Distribution de tracts
Cette impartialité est sans doute le premier défi qu'a dû relever l'Eufor. Vu les liens qui unissent le Tchad à la France, certains européens avaient d'abord hésité à participer, craignant que cette force ne soit utilisée comme bouclier par le pouvoir tchadien. Mais six mois après s'être déployée sur le terrain, beaucoup de Tchadiens ne parviennent pas toujours à faire la distinction avec le dispositif français composé d'un millier d'hommes, baptisé Epervier, en place depuis 1986 pour soutenir le régime en place. «Pour la population, Eufor et Epervier, c'est la même chose, c'est des Blancs», confie frère Olivier, l'aumônier catholique du camp de l'Eufor à Abéché (est). «Les gens ont du mal à comprendre, renchérit un soldat finlandais sous couvert d'anonymat. Comme il y a beaucoup de Français dans l'Eufor, ils ne font pas forcément la différence avec Epervier. On devrait plus expliquer notre mission». Pour éviter la confusion, la force européenne continue donc de distribuer des tracts auprès des Tchadiens et répète inlassablement qu'elle est «impartiale». Mais au sein de l'Eufor elle-même, certains restent dubitatifs, comme ce Suédois qui, toujours sous couvert d'anonymat, estime qu' «Eufor dissuade les rebelles d'attaquer, donc aide le président Deby en un sens».
Des moyens communs
Avant que la force ne soit déployée, des parlementaires européens et des ONG avaient déjà évoqué les dangers d'une confusion entre les deux. Un amalgame entretenu par certaines dispositions, comme l’utilisation des structures françaises d’Epervier pour permettre le déploiement de l’Eufor au début, avant que la force européenne ne construise son propre camp, 500 mètres plus loin. Il était aussi question de transférer 577 militaires français d'Epervier à l'Eufor, en changeant simplement d'écusson. Mais ce transfert ne s’est finalement pas fait, la France ayant trouvé une autre solution. Le commandant de l'Eufor avait par ailleurs indiqué qu'il était prévu que les Mirage puissent venir en aide à l'Eufor en cas d'urgence, un soutien propre à créer la confusion sur «l’étanchéité» des deux missions. Jusqu’à présent, l’Eufor n’a pas eu besoin d’y recourir. Les Mirage de l’opération Epervier sont toutefois utilisés par l’Eufor pour des missions de reconnaissance et d’entraînement au sol. Et des renseignements aériens recueillis par Eufor sont bels et bien communiqués à Epervier.
Soucieux de chasser tout soupçon, Paris insiste régulièrement sur le caractère européen de l’Eufor. «Il n’y a pas de mélange des deux missions», assure la France, qui rappelle que la lutte contre la rébellion tchadienne «n'est pas dans le mandat de l'Eufor».
Envoyée spéciale au Tchad, Faustine Vincent