Le point aujourd'hui
Par Mireille Duteil
Les visites des ministres français au Maroc se multiplient. Il faut mettre les bouchées doubles pour faire oublier les onze mois de brouille qui se sont terminés en février. La semaine prochaine (les 9 et 10 mars), ce sera au tour du patron de la diplomatie, Laurent Fabius, d'emboîter le pas à Rabat à son collègue de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve. Avant un probable voyage de Manuel Valls et un séminaire intergouvernemental franco-marocain qui doit se dérouler à Paris avant l'été. Le précédent avait eu lieu en décembre 2012 à Rabat.
Laurent Fabius va aborder l'inévitable dossier sur la sécurité, prioritaire de chaque côté de la Méditerranée, en particulier depuis que plusieurs centaines de jeunes Franco-Marocains, potentiels candidats au djihad, jouent à saute-frontières entre les deux pays. Bernard Cazeneuve retourne d'ailleurs ce samedi à Rabat.
Plus originale pour le patron du Quai d'Orsay va être sa visite, dans la province marocaine, d'un lycée qui prépare au baccalauréat francophone international. Le Maroc innove en la matière. À la rentrée 2013, six lycées pilotes ont inauguré, avec l'aide de la coopération française, une section francophone conduisant au bac international. Cette année scolaire, 200 sections internationales francophones ont ouvert à travers tout le pays. Pour la première fois, des élèves, qui préparent aussi le bac marocain en arabe, peuvent suivre, à partir de la seconde, en français, et non en arabe, les cours de mathématiques, physique, sciences naturelles, littérature française et histoire.
L'échec de l'arabisation brutale
C'est une révolution au Maroc qui avait opté pour l'arabisation de l'enseignement (primaire et secondaire) dans les années 1970 sous l'impulsion du parti de l'Istiqlal, le parti de l'indépendance. Le courant nationaliste arabe avait alors le vent en poupe d'un bout à l'autre du monde arabe. Au Maghreb, le Maroc comme l'Algérie de Houari Boumediene avaient opté pour l'arabisation de l'enseignement, dès les petites classes. Le français était enseigné en première langue étrangère. Mais l'Algérie, il y a une dizaine d'années, a réintroduit le français, comme langue étrangère, dès la deuxième année du primaire.
Dans les années 70, la politique d'arabisation appliquée d'un jour à l'autre, sans préparation, eut des conséquences catastrophiques au Maghreb. Faute de professeurs arabisants en nombre suffisant, le Maroc et l'Algérie ont fait appel à des professeurs étrangers (souvent Égyptiens ou Palestiniens, dont beaucoup étaient Frères musulmans). Ce sont eux qui ont introduit l'islamisme à grande échelle. La bourgeoisie, elle, a mis ses enfants dans les écoles françaises, américaines, voire espagnoles (au Maroc), aux frais de scolarité très élevés. Les plus riches les envoyaient même en Europe. Seconde conséquence : les élèves des lycées publics, après une scolarité en arabe, devaient repasser au français en arrivant à l'université, en particulier pour les disciplines scientifiques. Rien de très inquiétant pour la petite minorité qui utilisait le français à la maison. Les autres suivaient avec difficulté leurs études supérieures. Les étudiants échouaient et le niveau de l'université baissait.
Ironie du sort, le Maroc aura attendu d'avoir un gouvernement dirigé par un Premier ministre islamiste (issu du Parti de la justice et du développement) et un ministre de l'Éducation de l'Istiqlal (le parti qui avait imposé l'arabisation) pour tourner casaque et proposer une filière francophone conduisant à la préparation du bac international. Un virage politique initié par Mohammed VI inquiet de la baisse du niveau de l'enseignement dans le royaume. Désormais, nombre de lycées marocains réclament, eux aussi, la possibilité de créer une section internationale. Ce qui va poser des problèmes de professeurs. Pour y remédier, les autorités se tournent vers Paris. L'enjeu est de taille : l'exemple marocain est suivi avec intérêt à l'étranger, dans le monde arabe et ailleurs.