Un patchwork multipolaire
La journée suivante a été consacrée aux affaires : de l’énergie à la coopération « militaro-technique » en passant par l’amélioration de l’efficacité des corridors commerciaux et économiques traversant l’Eurasie.
La Russie est déjà le premier fournisseur de gaz naturel de la Chine, devant le Turkménistan et le Qatar. La majeure partie de ce gaz est acheminée par le gazoduc Force de Sibérie, d’une longueur de 3000 km, qui relie la Sibérie à la province chinoise du Heilongjiang, dans le nord-est du pays, et qui sera mis en service en décembre 2019. Les négociations sur le gazoduc Force de Sibérie II, qui passera par la Mongolie, progressent rapidement.
La coopération sino-russe dans le domaine de la haute technologie va exploser : 79 projets pour plus de 165 milliards de dollars. Tout y passe, du gaz naturel liquéfié (GNL) à la construction aéronautique, en passant par la construction de machines-outils, la recherche spatiale, l’agro-industrie et les
corridors économiques améliorés.
Le président chinois a explicitement déclaré qu’il souhaitait lier les projets de la nouvelle route de la soie à l’Union économique eurasiatique (UEE). Cette interpolation entre la BRI et l’UEE est une évolution naturelle. La Chine a déjà signé un accord de coopération économique avec l’UEE. Les idées du stratège macroéconomique russe
Sergey Glazyev portent enfin leurs fruits.
Enfin, il y aura un nouvel élan vers des règlements mutuels en monnaies nationales – et entre l’Asie et l’Afrique, et l’Amérique latine. À toutes fins utiles, Poutine a approuvé le rôle du yuan chinois en tant que nouvelle monnaie commerciale de choix, tandis que les discussions complexes sur une
nouvelle monnaie de réserve adossée à l’or et/ou aux matières premières se poursuivent.
Cette offensive économique et commerciale conjointe s’inscrit dans le cadre de l’offensive diplomatique concertée entre la Russie et la Chine visant à remodeler de vastes pans de l’Asie occidentale et de l’Afrique.
La diplomatie chinoise fonctionne comme la matryoshka (poupées russes empilées) en termes de transmission de messages subtils. Le fait que le voyage de Xi à Moscou coïncide exactement avec le 20ème anniversaire de l’opération américaine « Choc et Effroi » et de l’invasion, de l’occupation et de la destruction illégales de l’Irak est loin d’être une coïncidence.
Parallèlement, plus de 40 délégations africaines sont arrivées à Moscou un jour avant Xi pour participer à une conférence parlementaire intitulée « Russie-Afrique dans le monde multipolaire », en prélude au deuxième sommet Russie-Afrique qui se tiendra en juillet prochain.
La zone entourant la Douma ressemblait à l’ancienne époque du Mouvement des non-alignés (MNA), lorsque la plupart des pays africains entretenaient des relations anti-impérialistes très étroites avec l’URSS.
Poutine a choisi ce moment précis pour annuler plus de
20 milliards de dollars de dettes africaines.
En Asie occidentale, la Russie et la Chine agissent de manière totalement synchronisée. Asie de l’Ouest. Le
rapprochement entre l’Arabie saoudite et l’Iran a été lancé par la Russie à Bagdad et à Oman : ce sont ces négociations qui ont abouti à la signature de l’accord à Pékin. Moscou coordonne également les discussions sur le rapprochement Syrie-Turquie. La diplomatie russe avec l’Iran – désormais sous le statut de partenariat stratégique – est maintenue à l’écart.
Des sources diplomatiques confirment que les services de renseignement chinois, par le biais de leurs propres enquêtes, sont désormais pleinement convaincus de la grande popularité de Poutine dans toute la Russie, et même au sein des élites politiques du pays. Cela signifie que les conspirations de type changement de régime sont hors de question. Cet élément a joué un rôle fondamental dans la décision de Xi et du Zhongnanhai (le siège central du parti et de l’État chinois) de « parier » sur Poutine en tant que partenaire de confiance dans les années à venir, étant donné qu’il pourrait se présenter aux prochaines élections présidentielles et les remporter. La Chine s’inscrit toujours dans la continuité.