C'était refuser de voir que ces révolutions obéissaient au même modèle que celles du XIXe siècle : un Printemps des peuples. Depuis 1789, aucun régime issu de la Déclaration des droits de l'homme n'a encore réussi à concilier la liberté et l'égalité. A cet égard, mieux valait, cent ans plus tard, la démocratie libérale que le hideux visage du stalinisme. Et c'est la raison pour laquelle de l'URSS à la Chine les peuples de l'Est prirent acte de l'impasse du socialisme réel et du renversement de l'idéal révolutionnaire en son contraire. Rien ne permet de dire qu'il y avait là un déni de toute forme de désir révolutionnaire.
LE PIRE SERAIT DE CONDAMNER PAR AVANCE L'ESPOIR AU NOM D'UNE POSSIBLE DÉRIVE
Ce qui se passe aujourd'hui dans le monde arabe et dont il faut se réjouir, c'est le retour de cet idéal, le désir d'en finir avec la peste et le choléra : autant avec les dictatures qu'avec l'islamisme politique. N'en déplaise à certains de nos intellectuels craintifs et déjà enclins à penser que charia, burqa, lapidations et autres coutumes barbares, étrangères d'ailleurs à l'islam des Lumières, sont déjà contenues dans les aspirations des opposants. Ce désir a été porté par la jeunesse, par les nouveaux moyens de communication, par les femmes, par le peuple et contre tous ceux qui, d'un bout à l'autre de la planète, n'ont pas cessé de redouter le retour des lendemains qui chantent.
Certes, les barbares sont bien là, mais leur dangerosité a aussi pour cause le fait qu'ils ont été persécutés et non pas combattus par des dictatures corrompues, elles-mêmes soutenues par certains représentants des démocraties occidentales et, pire encore, par des dirigeants israéliens engagés dans une politique suicidaire pour Israël, pour son peuple et pour les Juifs du monde entier, une politique contraire aux idéaux de liberté d'un certain sionisme révolutionnaire aujourd'hui incarné par une minorité d'intellectuels progressistes désireux de vivre en paix avec des Palestiniens en proie aux mêmes rêves et aux mêmes déceptions. Aucune révolution ne se fait sans risque, et nul ne peut prévoir de quoi demain sera fait. Le pire serait de condamner par avance l'espoir au nom d'une possible dérive à laquelle on finirait par aspirer à force de jouir d'en avoir peur.
L'esprit de la Révolution est en marche. Un jour viendra où il se propagera de l'Iran à la Chine en passant par l'ensemble du monde arabe. Et de même il reviendra en France, sous d'autres formes, au moment même où l'on pensera l'avoir définitivement extirpé des consciences. En témoigne, comme signe avant-coureur, le succès impressionnant d'un petit opuscule Indignez-vous ! dont l'auteur, Stephane Hessel, gaulliste et social-démocrate, ancien résistant, ancien déporté, pacifiste et peu enclin aux violences de rues, n'avait pas un instant imaginé qu'il aurait une telle portée. Ainsi, un signifiant aura-t-il suffit à revaloriser en un instant un idéal de rébellion dans une société mise à mal par un mauvais gouvernement. Ce qui arrive aujourd'hui, et qui arrivera dans le monde mondialisé de demain, c'est le rêve d'un ailleurs à venir non encore circonscrit et qui serait le nouveau nom de la révolution : autrefois Mandela, aujourd'hui Bouazizi, jasmin, Nil.