"Obliger les gens à ne pas garder leurs cheveux naturels, c'est renier ce qu'ils sont" : pourquoi légiférer sur les discriminations capillaires ?

Une proposition de loi pose la question des discriminations raciales fondées sur l'apparence physique en lien avec les cheveux, notamment en milieu professionnel.​


"Mon apparence ne justifie pas mes compétences" lance Kenza Bel Kenadil, 257 000 abonnés sur Instagram, 692 600 sur TikTok, dans une de ses vidéos titrée "Nos cheveux sont professionnels". Dans cette vidéo, elle assume plusieurs styles de coiffure afro : "Même coiffée comme ça, je suis totalement professionnelle". Dans les commentaires, Kenza Bel Kenadil incite ses abonnés à confier leurs anecdotes sur leurs cheveux au travail et elle fait référence à la proposition de loi sur les discriminations capillaires, portée par le député de Guadeloupe Olivier Serva (groupe Liot). Il espère un examen en commission des lois dans le courant du mois de mars.

Concrètement, la proposition de loi transpartisane prévoit d'ajouter aux discriminations fondées sur l'apparence physique le critère spécifique des discriminations capillaires, "notamment la coupe, la couleur, la longueur ou la texture de leurs cheveux". Le texte propose d'ajouter ce complément au Code pénal, au Code du travail ainsi qu'au Code de la fonction publique.

Bien que le député Olivier Serva précise qu'il veut protéger également les hommes chauves et les femmes blondes des discriminations au travail, à la lecture de l'exposé des motifs , on comprend qu'elle vise en partie à lutter contre les discriminations raciales à l'encontre des personnes perçues comme non-blanches. En effet, les cheveux dits texturés "englobent les cheveux ondulés, frisés, crépus, bouclés", selon Daba Diokhané, fondatrice de la plateforme Dioka, qui revendique son expertise sur les cheveux texturés, et sont très majoritairement des cheveux de femmes et d'hommes catégorisés au quotidien comme noirs, métis ou arabes.

Des cheveux frisés jugés "non professionnels"​

Le premier argument avancé par la proposition de loi est celui de la discrimination en entreprise. "Aujourd’hui, selon une étude menée conjointement par Dove et LinkedIn aux États‑Unis où les sondages ethniques sont autorisés, deux tiers des femmes afro‑descendantes changent de coiffure avant un entretien d’embauche. Leurs cheveux sont 2,5 fois plus susceptibles d’être perçus comme non professionnels" est-il écrit. Les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont d'ailleurs déjà légiféré sur la discrimination capillaire.

En France, sans la possibilité de faire de statistiques ethniques, ces chiffres n'existent pas, mais les exemples abondent. Parmi les plus médiatisés, il y a les commentaires et insultes à l'encontre d'Audrey Pulvar sur ses cheveux non lissés puis tressés qui ont poussé l'ancienne journaliste à répondre en 2018 sur X : "On a le droit, en tant que noir·e, de changer de coiffure quand on veut ?"

Un an plus tard, Sibeth Ndiaye, alors porte-parole du gouvernement était à son tour moquée pour le supposé manque de sérieux de ses cheveux portés au naturel lors de sa passation de pouvoir, le 1er avril 2019. La sociologue Juliette Smeralda analysait cette séquence lors d'une interview à franceinfo : "Le cheveu crépu, qui n’est pas porté par ceux qui représentent le pouvoir et qui conçoivent les habits et les coiffures du pouvoir, n’est pas toléré par ceux qui se sont réservé un droit absolu sur cet espace. Les mêmes soubassements idéologiques opposent le privé au public, l’homme à la femme, les dominants aux dominés".

Carmen Diop, psychologue du travail et doctorante en sociologie à l'université Paris 8 Vincennes-Saint Denis, étudie la condition professionnelle des femmes noires diplômées en France et leur expérience sociale. Elle le confirme : parmi ses entretiens de recherche, l'injonction à avoir une coiffure "professionnelle" revient fréquemment. "Une femme me disait : 'Je me suis autocensurée, je mettais des perruques, je faisais des tissages', relate-t-elle. Une autre, cheffe d'équipe dans l'informatique, avait tellement intériorisé cette injonction que lorsqu'elle recrutait des femmes noires, elle leur disait de ne pas travailler avec leurs cheveux naturels ou avec des tresses car elles sont symboliquement assignées aux personnes noires".

franceinfo
 
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