Paris sous le niqab : « J'ai passé une journée en voile intégral »
Objectif de l'expérience : comprendre les réactions que suscite une femme dont même les yeux sont invisibles.
Précision liminaire à l'égard des puristes, plus que d'une « burqa », le vêtement que j'ai choisi de porter est un « niqab » avec un voile intégral par-dessus. Voici, heure par heure, comment s'est déroulée ma journée, des Champs-Elysées à Beaubourg en passant par Abesses. Le but : filmée discrètement par un ami, je voulais comprendre quelles réactions suscite le passage d'une femme entièrement voilée. Sentir aussi l'atmosphère qui se noue autour de vous lorsque vous dissimulez votre visage.
10h30 : je me prépare pour sortir. Je tire de la penderie la belle tenue saoudienne qu'utilise une amie pour se fondre dans la population locale lors de reportages à l'étranger. J'ai tout prévu : les chaussettes dans les sandales, le pantalon long, les gants.
J'enfile le « jilbab », la longue robe noire qui se fixe à bandes velcro. Puis j'attaque le voile, ou plutôt les voiles puisqu'il y en a trois cousus ensemble. Le nouer d'abord derrière la tête, rabattre le tout. Puis attacher le « niqab » à l'aide d'un bouton pression derrière l'oreille. Je n'y parviens pas, j'enlève les gants, je réessaye plusieurs fois. Enfin, je bascule la fine mousseline, noire comme le reste, sur le visage.
« Vous avez chaud ? »
11 heures : A l'arrêt de bus, une femme s'approche de moi. Elle me demande simplement :
« Excusez-moi, madame. Vous avez chaud ? »
Il fait 27 degrés à Paris. En effet, je suffoque et transpire déjà. Je hoche la tête, elle répète « vous avez chaud. » Et s'éloigne, ne sachant qu'ajouter. Plusieurs personnes nous observent à la dérobée. Sitôt dans le bus, une conversation s'engage dans mon dos à quelques sièges de là. (Voir la vidéo)
http://www.rue89.com/2009/07/19/paris-sous-le-niqab-jai-passe-une-journee-en-voile-integral
Midi : Les Champs-Elysées. On m'observe à la dérobée. Certains regards sont juste curieux, d'autres amusés, la plupart peu amènes. Les femmes surtout. Je me sens observée, pas à l'aise dans ces habits, cette silhouette que je ne reconnais pas. Je m'arrête devant une joaillerie mais je ne distingue pas les prix des bijoux à travers la mousseline. Personne ne m'aborde.
14 heures : Le XVe arrondissement, près de la rue du Commerce. On me dévisage toujours. Une femme arrivée à ma hauteur lève les bras au ciel dans un signe d'exaspération ostentatoire. Trente minutes plus tard, une autre s'exclamera à mon passage, sur un ton faussement joyeux, « Vous êtes ridicule, madame ! » Le temps que je réagisse, elles sont déjà loin.
16 heures : Je suis assise à la terrasse d'un café rue des Abbesses, dans le XVIIIe arrondissement. J'essaie de boire un thé mais je m'emmêle les pinceaux, mon voile fait la trempette. On me regarde toujours, discrètement, avec gêne et fascination. A la différence du bus du matin, personne n'exprime son opinion sur la burqa.
« Il ne lui manque plus que les plumes ! »
18 heures : Au Centre Pompidou se tient l'expo « elles@centrepompidou », sur des artistes femmes. L'occasion rêvée. Si les hommes de la sécurité à l'entrée sont accueillants, la femme qui contrôle les tickets lance :
« Elle me fait peur, celle-là. Allez, passez ! »
Quelques étages plus haut, alors que je montre à nouveau mon ticket, une hôtesse glisse à son collègue :
« Il ne lui manque plus que les plumes ! C'est de la provocation. »
Au cours de ma visite qui durera plus de deux heures, je n'entendrai qu'une seule remarque d'un homme, murmurée :
« Elles nous font ***** avec leur burqa. »
Evidemment, toutes ces sympathiques phrases sont trop discrètes pour que le micro de la caméra ne les capte.
20 heures : Je n'y tiens plus. Je veux retirer ce voile sans attendre d'être rentrée chez moi. Je fourre le tout dans un sac. Je me sens soulagée. J'ai retrouvée mon identité et paradoxalement, je suis redevenue anonyme parmi les passants. Je pense surtout que j'ai moins chaud.
Quelle frustration en visionnant les images tournées au cours de la journée ! Tous ces regards qui ont pesé sur moi sont si furtifs qu'à l'écran on les remarque à peine. Les visages ont perdu leur agressivité. Décidément, l'il de la caméra ne voit pas comme les miens !
Au fait, pour ceux qui ont regardé la vidéo jusqu'au bout, combien parmi vous ont remarqué que la personne sous le voile, à la fin de la déambulation, était un homme ? Eh oui, à la fin de la journée, un peu lassée par l'exercice, j'avais échangé ma tenue contre la caméra avec mon ami.
rue89
Objectif de l'expérience : comprendre les réactions que suscite une femme dont même les yeux sont invisibles.
Précision liminaire à l'égard des puristes, plus que d'une « burqa », le vêtement que j'ai choisi de porter est un « niqab » avec un voile intégral par-dessus. Voici, heure par heure, comment s'est déroulée ma journée, des Champs-Elysées à Beaubourg en passant par Abesses. Le but : filmée discrètement par un ami, je voulais comprendre quelles réactions suscite le passage d'une femme entièrement voilée. Sentir aussi l'atmosphère qui se noue autour de vous lorsque vous dissimulez votre visage.
10h30 : je me prépare pour sortir. Je tire de la penderie la belle tenue saoudienne qu'utilise une amie pour se fondre dans la population locale lors de reportages à l'étranger. J'ai tout prévu : les chaussettes dans les sandales, le pantalon long, les gants.
J'enfile le « jilbab », la longue robe noire qui se fixe à bandes velcro. Puis j'attaque le voile, ou plutôt les voiles puisqu'il y en a trois cousus ensemble. Le nouer d'abord derrière la tête, rabattre le tout. Puis attacher le « niqab » à l'aide d'un bouton pression derrière l'oreille. Je n'y parviens pas, j'enlève les gants, je réessaye plusieurs fois. Enfin, je bascule la fine mousseline, noire comme le reste, sur le visage.
« Vous avez chaud ? »
11 heures : A l'arrêt de bus, une femme s'approche de moi. Elle me demande simplement :
« Excusez-moi, madame. Vous avez chaud ? »
Il fait 27 degrés à Paris. En effet, je suffoque et transpire déjà. Je hoche la tête, elle répète « vous avez chaud. » Et s'éloigne, ne sachant qu'ajouter. Plusieurs personnes nous observent à la dérobée. Sitôt dans le bus, une conversation s'engage dans mon dos à quelques sièges de là. (Voir la vidéo)
http://www.rue89.com/2009/07/19/paris-sous-le-niqab-jai-passe-une-journee-en-voile-integral
Midi : Les Champs-Elysées. On m'observe à la dérobée. Certains regards sont juste curieux, d'autres amusés, la plupart peu amènes. Les femmes surtout. Je me sens observée, pas à l'aise dans ces habits, cette silhouette que je ne reconnais pas. Je m'arrête devant une joaillerie mais je ne distingue pas les prix des bijoux à travers la mousseline. Personne ne m'aborde.
14 heures : Le XVe arrondissement, près de la rue du Commerce. On me dévisage toujours. Une femme arrivée à ma hauteur lève les bras au ciel dans un signe d'exaspération ostentatoire. Trente minutes plus tard, une autre s'exclamera à mon passage, sur un ton faussement joyeux, « Vous êtes ridicule, madame ! » Le temps que je réagisse, elles sont déjà loin.
16 heures : Je suis assise à la terrasse d'un café rue des Abbesses, dans le XVIIIe arrondissement. J'essaie de boire un thé mais je m'emmêle les pinceaux, mon voile fait la trempette. On me regarde toujours, discrètement, avec gêne et fascination. A la différence du bus du matin, personne n'exprime son opinion sur la burqa.
« Il ne lui manque plus que les plumes ! »
18 heures : Au Centre Pompidou se tient l'expo « elles@centrepompidou », sur des artistes femmes. L'occasion rêvée. Si les hommes de la sécurité à l'entrée sont accueillants, la femme qui contrôle les tickets lance :
« Elle me fait peur, celle-là. Allez, passez ! »
Quelques étages plus haut, alors que je montre à nouveau mon ticket, une hôtesse glisse à son collègue :
« Il ne lui manque plus que les plumes ! C'est de la provocation. »
Au cours de ma visite qui durera plus de deux heures, je n'entendrai qu'une seule remarque d'un homme, murmurée :
« Elles nous font ***** avec leur burqa. »
Evidemment, toutes ces sympathiques phrases sont trop discrètes pour que le micro de la caméra ne les capte.
20 heures : Je n'y tiens plus. Je veux retirer ce voile sans attendre d'être rentrée chez moi. Je fourre le tout dans un sac. Je me sens soulagée. J'ai retrouvée mon identité et paradoxalement, je suis redevenue anonyme parmi les passants. Je pense surtout que j'ai moins chaud.
Quelle frustration en visionnant les images tournées au cours de la journée ! Tous ces regards qui ont pesé sur moi sont si furtifs qu'à l'écran on les remarque à peine. Les visages ont perdu leur agressivité. Décidément, l'il de la caméra ne voit pas comme les miens !
Au fait, pour ceux qui ont regardé la vidéo jusqu'au bout, combien parmi vous ont remarqué que la personne sous le voile, à la fin de la déambulation, était un homme ? Eh oui, à la fin de la journée, un peu lassée par l'exercice, j'avais échangé ma tenue contre la caméra avec mon ami.
rue89