Pour alimenter le débat un extrait "D'étoile filante". Deux destins, une juive, une palestinienne. Une arrive dans un pays qui pense t elle est à elle, une est chassée de son pays.
Le seul roman français décrivant l'expulsion des palestiniens.
L’autre jeune fille, Nedjma (" étoile ", en arabe), une palestinienne qu’Esther rencontre, fuyant la "ville de lumière ", Jérusalem, vers laquelle Esther se dirige avec tant d’espoir, a droit à son tour à la parole, et même à l’écriture. Elle raconte sa vie au camp de réfugiés de Nour es Chems (" lumière du soleil ") dans le cahier noir où elles ont inscrit leurs deux noms et qu’elle destine, sans espoir, à cette Esther croisée un bref instant. Le narrateur ne prend le relais que pour la fin de l’histoire, quand Nedjma avance sur une route qui ne peut mener qu’à la mort. A travers le temps et l’espace les voix des deux femmes, opposées et soeurs pourtant, construisent un espace d’espoir. Le cahier de Nedjma ne peut parvenir à Hélène, non plus que les lettres d’Hélène à Nedjma, elles restent toutes deux des " étoiles errantes Sources CRDP Montpellier
extrait du roman: Elle savait que l'hiver était fini quand elle entendait le bruit de l'eau.
L'hiver, la neige avait recouvert le village, les toits des maisons et les
prairies étaient blancs. La glace avait fait des stalactites au bout des toits.
Puis le soleil se mettait à brûler, la neige fondait et l'eau commençait à
couler goutte à goutte de tous les rebords, de toutes les solives, des
branches d'arbre, et toutes les gouttes se réunissaient et formaient des
ruisselets, les ruisselets allaient jusqu'aux ruisseaux, et l'eau cascadait
joyeusement dans toutes les rues du village.
C'était peut-être ce bruit d'eau son plus ancien souvenir. Elle se
souvenait du premier hiver à la montagne, et de la musique de l'eau au
printemps. C'était quand ? Elle marchait entre son père et sa mère dans la
rue du village, elle leur donnait la main. Son bras tirait plus d'un côté,
parce que son père était si grand. Et l'eau descendait de tous les côtés, en
faisant cette musique, ces chuintements, ces sifflements, ces
tambourinades. Chaque fois qu'elle se souvenait de cela, elle avait envie
de rire, parce que c'était un bruit doux et drôle comme une caresse. Elle
riait, alors, entre son père et sa mère, et l'eau des gouttières et du
ruisseau lui répondait, glissait, cascadait...
Maintenant, avec la brûlure de l'été, le ciel d'un bleu intense, il y
avait un bonheur qui emplissait tout le corps, qui faisait peur, presque.
Elle aimait surtout la grande pente herbeuse qui montait vers le ciel, au-dessus
du village. Elle n'allait pas jusqu'en haut, parce qu'on disait qu'il y
avait des vipères. Elle marchait un instant au bord du champ, juste assez
pour sentir la fraîcheur de la terre, les lames coupantes contre ses lèvres.
Par endroits, les herbes étaient si hautes qu'elle disparaissait
complètement. Elle avait treize ans, elle s'appelait Hélène Grève, mais son
père disait : Esther.
J.-M.G. Le Clézio, Etoile errante (1992)