Deux jours dans la vie de l’Algérie. Ce 1er novembre 2024, l’armée défile dans les rues d’Alger pour les 70 ans de la guerre d’indépendance contre la France. Abdelmadjid Tebboune, le président de la République, et Saïd Chengriha, le chef d’état-major de l’armée, remontent la route nationale n° 11 juchés côte à côte à l’arrière d’un véhicule blindé. Au son des trompettes et des timbales, ils font chacun leur tour le salut militaire vers la foule. Alter ego comme en parfaite harmonie. Le 29 décembre 2024, le chef de l’Etat prononce son traditionnel discours annuel sur l’état de la nation algérienne devant le Parlement. Les caméras de la télévision publique s’attardent sur le patron de l’armée, habillé en civil pour l’occasion, assis en face du président. Chorégraphie suggérant qu’après l’élu du peuple, le général est l’homme le plus important du régime. Ou le véritable détenteur du pouvoir.
Toutes les diplomaties du monde cherchent aujourd’hui à comprendre qui du président Tebboune, 79 ans, ou du général Chengriha, 79 ans aussi, gouverne réellement en Algérie. Et surprise, l’appréciation diverge grandement d’un expert à l’autre. "C’est la question à 1 million de dollars !", sourit Riccardo Fabiani, directeur du programme Afrique du Nord chez International Crisis Group. En interrogeant quatre ex-ambassadeurs de France à Alger, L’Express a recueilli autant d’interprétations différentes sur cette question. "Ceux qui disent tout comprendre au régime algérien mentent. Les Algériens, ce sont des Nord-Coréens qui parlent français, le régime est très opaque", pointe un ex-ambassadeur. Une "boîte noire", dont il est "est très compliqué de comprendre le cœur du réacteur", avance Hamid Arab, directeur de publication du journal Le Matin d’Algérie, établi en France. Au Quai d’Orsay, on parle d’un "conclave de cardinaux". Personne ne détiendrait l’essentiel du pouvoir, les parcelles de puissances seraient réparties entre les composantes de ce qu’un actuel ministre français qualifie en privé de "junte". Seule certitude, répétée par tous : tout se passe ailleurs qu’au gouvernement.
Le 3 juillet 2020, Saïd Chengriha accède au poste de chef d’état-major de l’armée qu’il occupait depuis six mois par intérim, après la mort brutale du très puissant Ahmed Gaïd Salah, son prédécesseur pendant quinze ans. Mais il ne devient pas vice-ministre de la Défense, comme l’était "AGS". Des experts y voient le signe que l’armée retourne dans les casernes, loin du pouvoir civil, d’autant que le discret "Tcheng", comme on le surnomme dans l’armée, ne revendique a priori ni charisme, ni rôle politique. Formé à Saint-Cyr, pilier de la répression anti-islamiste pendant la décennie 1990, le général a patiemment gravi les échelons militaires, ne se faisant remarquer qu’à travers certaines saillies violemment anti-marocaines.
Une alliance n’empêche pas les mises en garde. En septembre 2024, le président Tebboune est triomphalement réélu avec officiellement 94,65 % des voix, score rectifié à 84,3 % une semaine plus tard. Un coup tordu de l’armée, expertisent des diplomates du Quai d’Orsay, les gradés ayant voulu montrer, par une double manœuvre caricaturale, qu’ils conservent le contrôle des urnes et sauraient décrédibiliser le chef de l’Etat à leur guise. Un message en trompe-l’œil déjà suggéré le 8 mai 2024, lorsque Abdelmadjid Tebboune se rend au ministère de la Défense. En Algérie, le président de la République cumule ses fonctions avec celles de ministre de la Défense, le déplacement ne devrait pas être un événement. Le général Chengriha organise un accueil en fanfare, avec tapis rouge, "comme pour montrer au chef de l’Etat qu’il joue à l’extérieur", interprète un entrepreneur algérien longtemps en cour à Alger.
Toutes les diplomaties du monde cherchent aujourd’hui à comprendre qui du président Tebboune, 79 ans, ou du général Chengriha, 79 ans aussi, gouverne réellement en Algérie. Et surprise, l’appréciation diverge grandement d’un expert à l’autre. "C’est la question à 1 million de dollars !", sourit Riccardo Fabiani, directeur du programme Afrique du Nord chez International Crisis Group. En interrogeant quatre ex-ambassadeurs de France à Alger, L’Express a recueilli autant d’interprétations différentes sur cette question. "Ceux qui disent tout comprendre au régime algérien mentent. Les Algériens, ce sont des Nord-Coréens qui parlent français, le régime est très opaque", pointe un ex-ambassadeur. Une "boîte noire", dont il est "est très compliqué de comprendre le cœur du réacteur", avance Hamid Arab, directeur de publication du journal Le Matin d’Algérie, établi en France. Au Quai d’Orsay, on parle d’un "conclave de cardinaux". Personne ne détiendrait l’essentiel du pouvoir, les parcelles de puissances seraient réparties entre les composantes de ce qu’un actuel ministre français qualifie en privé de "junte". Seule certitude, répétée par tous : tout se passe ailleurs qu’au gouvernement.
Le 3 juillet 2020, Saïd Chengriha accède au poste de chef d’état-major de l’armée qu’il occupait depuis six mois par intérim, après la mort brutale du très puissant Ahmed Gaïd Salah, son prédécesseur pendant quinze ans. Mais il ne devient pas vice-ministre de la Défense, comme l’était "AGS". Des experts y voient le signe que l’armée retourne dans les casernes, loin du pouvoir civil, d’autant que le discret "Tcheng", comme on le surnomme dans l’armée, ne revendique a priori ni charisme, ni rôle politique. Formé à Saint-Cyr, pilier de la répression anti-islamiste pendant la décennie 1990, le général a patiemment gravi les échelons militaires, ne se faisant remarquer qu’à travers certaines saillies violemment anti-marocaines.
Tebboune, le trait d'union
Configuration idéale aussi pour Tebboune, élu avec le parrainage encombrant de Gaïd Salah, et désormais libre de poser son empreinte. Las, le règne du président se mue en cogérance avec l’armée. A Tebboune les discours, à Chengriha la main sur "l’Etat profond". Les deux nouveaux maîtres de l’Algérie s’accordent pour destituer les symboles les plus pesants des années Bouteflika-Gaïd Salah. L’un d’eux, le général Wassini Bouazza, est débarqué de la DGSI, le renseignement intérieur algérien. Il sera condamné à seize ans de prison pour enrichissement illicite. Le général Nabil Benazouz, patron de la Direction centrale de la sécurité de l’armée, passe lui aussi en quelques mois du faîte de sa puissance à la détention. Même dans des sorties anodines, pour couper le ruban d’une inauguration ou lancer les travaux d’un hôpital, Abdelmadjid Tebboune apparaît flanqué de "Tcheng", duo de septuagénaires régnant d’une main de fer sur un pays où deux-tiers de la population a moins de 30 ans.Une alliance n’empêche pas les mises en garde. En septembre 2024, le président Tebboune est triomphalement réélu avec officiellement 94,65 % des voix, score rectifié à 84,3 % une semaine plus tard. Un coup tordu de l’armée, expertisent des diplomates du Quai d’Orsay, les gradés ayant voulu montrer, par une double manœuvre caricaturale, qu’ils conservent le contrôle des urnes et sauraient décrédibiliser le chef de l’Etat à leur guise. Un message en trompe-l’œil déjà suggéré le 8 mai 2024, lorsque Abdelmadjid Tebboune se rend au ministère de la Défense. En Algérie, le président de la République cumule ses fonctions avec celles de ministre de la Défense, le déplacement ne devrait pas être un événement. Le général Chengriha organise un accueil en fanfare, avec tapis rouge, "comme pour montrer au chef de l’Etat qu’il joue à l’extérieur", interprète un entrepreneur algérien longtemps en cour à Alger.