Edito Quelle compétence des consulats belges pour recevoir les reconnaissances de paternité ?
Les consulats belges peuvent-ils enregistrer la reconnaissance de paternité d’un ressortissant de l’Etat qui les accueille lorsque le droit interne de cet Etat interdit l’établissement d’un lien de filiation hors mariage ?
La question se pose depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code consulaire, le 15 juin 20141 . Auparavant seuls les pères belges pouvaient reconnaître un enfant auprès des autorités consulaires belges.
La compétence des consulats belges en matière de reconnaissance de paternité a été depuis élargie puisque désormais ils sont habilités à recevoir une reconnaissance de paternité dès que soit le père, soit l’enfant est belge, et que l’un des deux réside dans la circonscription pour lequel le consulat est déclaré compétent2 .
Cette modification législative représentait une bonne nouvelle pour les personnes étrangères, pères d’un enfant belge, résidant dans un pays dont la loi locale n’autorise pas l’établissement d’un lien de filiation hors mariage.
Nous pensons tout particulièrement aux ressortissants marocains, dont les connexions familiales sont nombreuses avec la communauté marocaine de Belgique.
Il est vrai que bien qu’une reconnaissance de paternité en faveur d’un père résidant à l’étranger soit théoriquement envisageable en Belgique, rien ne s’y opposant d’un point de vue légal3 , en pratique, celle-ci se révèle souvent périlleuse si l’auteur de la reconnaissance ne peut se rendre en personne auprès de l’autorité belge.
En effet, en raison du caractère inhabituel de la démarche, rares sont encore les communes acceptant de recevoir une reconnaissance de paternité par mandataire.
De plus, le mandat authentique et spécial permettant à l’auteur de la reconnaissance de se faire représenter en Belgique pour accomplir cet acte semble difficile à obtenir au sein des pays pénalisant les relations sexuelles hors mariage.
Dans ce sens, la compétence élargie des consulats en matière de reconnaissance de paternité se révèle une note étonnamment positive dans un contexte politique souvent bien « chargé » lorsque sont visées des questions touchant au domaine migratoire.
Elle témoigne également d’une prise en compte de l’intérêt de l’enfant né hors mariage dans un contexte transnational dont l’établissement du lien de filiation est ainsi facilité.
Néanmoins, malgré cette réforme significative du Code consulaire, sa mise en œuvre se révèle à nouveau plus complexe.
En effet, nous constatons dans la pratique du Point d’appui4 un refus systématique des consulats d’acter les reconnaissances de paternité d’un enfant belge dès que l’auteur de la reconnaissance est un ressortissant de l’Etat d’accueil du consulat et que le droit civil de cet Etat n’autorise pas l’établissement d’un lien de filiation hors mariage.
En d’autres termes, un homme marocain, père d’un enfant belge, se voit refuser la faculté de reconnaitre son enfant auprès du consulat belge.
A première vue, cette position se révèle contraire au Code consulaire qui n’émet aucune restriction expresse à la compétence d’état civil des consulats lorsque le droit local n’a pas connaissance de l’institution familiale concernée.
Cependant, les consulats belges s’appuient sur la Convention de Vienne de 19635 pour se déclarer incompé- tents.
Ils invoquent plus spécifiquement l’article 5, f) de la Convention qui précise que les consulats peuvent « agir en qualité de notaire et d’officier d’état civil et exercer des fonctions similaires, ainsi que certaines fonctions d’ordre administratif, pour autant que les lois et règlements de l’Etat de résidence ne s’y opposent pas »6 .
En effet, de manière générale, la compétence d’un consulat pour agir en tant qu’officier de l’état civil doit être accordée par le droit de l’Etat d’envoi, en d’autres termes par le droit de l’Etat que le consulat
Mais cette compétence, telle que le précise l’article 5, f) de la Convention de Vienne, doit également être admise par le droit de l’Etat d’accueil.
Sur ce dernier point, les consulats belges semblent interpréter l’interdiction inscrite dans le droit local d’établir un lien de filiation hors mariage comme l’expression du refus de l’Etat d’accueil de voir les 1 A. R. du 19 avril 2014 fixant la date de l›entrée en vigueur de la loi du 21 décembre 2013 portant le Code consulaire, M.B., 30 avril 2014. 2 Article 7, Code Consulaire (Loi du 21 décembre 2013 portant le Code consulaire, M.B., 21 janvier 2014). 3 En vertu du Code de dip, l’administration belge est compétente pour recevoir une reconnaissance de paternité dès que l’enfant est né en Belgique ou y a sa résidence, et ce quelle que soit la nationalité ou la résidence de l’auteur de la reconnaissance (art. 65, Codip). Par ailleurs, au regard de l’impossibilité pour l’auteur de la reconnaissance d’accéder au territoire belge, la doctrine envisage la possibilité d’une reconnaissance par mandataire à condition que le mandat soit spécial et authentique. G. Mahieu, D. Pire, Le droit des personnes, la filiation, Bruxelles, Larcier, 1999, p. 84, n° 70. 4 Point d’appui DIP familial de l’ADDE asbl. 5 Convention de Vienne du 24 avril 1963 sur les relations consulaires, Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 596, p. 261. 6 Nous soulignons.
consulats étrangers établis sur son territoire acter des reconnaissances de paternité à l’égard de ses nationaux. Mais est-ce bien l’interprétation qu’il y lieu de donner aux termes « pour autant que les lois et règlements de l’Etat de résidence ne s’y opposent pas » de la Convention de Vienne ?
Faut-il se référer au droit civil de l’Etat d’accueil pour en déduire une éventuelle opposition à la compétence des consulats, ou ces termes renvoientils davantage à une opposition expresse ?
Concrètement, suffit-il que la reconnaissance de paternité soit incompatible avec les règles de droit familial prévues par le droit de l’Etat d’accueil ou celui-ci doit-il prévoir spécifiquement l’incompétence du consulat belge pour acter une reconnaissance de paternité ?
Dans l’état de nos recherches, cette question n’a pas fait l’objet de discussions longues et détaillées, ni dans les travaux préparatoires du Code consulaire lorsqu’étaient discutés les nouvelles compétences des consulats belges en matière d’état civil, ni par la doctrine en général.
Néanmoins, nous pouvons citer un passage de l’exposé des motifs du projet de loi instaurant le Code consulaire qui précise que « le consul agira comme officier de l’état civil si l’acte ne peut être reçu localement ou si l’état civil local n’offre pas les garanties nécessaires, notamment en ce qui concerne la conservation de l’acte original »7 .
Lors des échanges menés à l’occasion de l’élaboration du Code consulaire, il était ainsi discuté que la compétence des consulats en matière d’état civil serait notamment conditionnée à l’impossibilité de pouvoir dresser l’acte d’état civil auprès des autorités locales de l’Etat d’accueil.
Bien que cette condition n’apparaisse finalement pas en tant que telle dans le Code consulaire adopté, elle amène toutefois à s’interroger sur la position actuelle des consulats de considérer, à l’inverse, l’interdiction du droit local d’acter une reconnaissance de paternité auprès des autorités locales comme un obstacle à leur compétence en matière de reconnaissance de paternité.
Par ailleurs, selon l’interprétation du professeur Jean Salmon, la compétence d’état civil des consulats dont parle l’article 5, f) de la Convention de Vienne « relève de l’exercice de la compétence exclusive, qui comme telle, ne peut être exercée sur le territoire de l’Etat de résidence qu’avec le consentement de ce dernier »8 .
Ce consentement est donné de manière tacite, c’est-à-dire qu’il est présumé tant que le droit de l’Etat d’accueil ne manifeste pas son opposition par l’adoption d’une règle de droit interne ou dans le cadre de la signature d’une convention bilatérale.
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