Plusieurs sexologues l’assurent : on ne naît pas femme fontaine, on le devient. Pour faire jaillir la source de ce plaisir si particulier, tout serait une question d’abandon…
Des fontaines qui s’ignorent
Femmes fontaines : ces mots font rougir les filles et rêver les garçons. Chacun y accole ses représentations personnelles, y ajoutant parfois les images véhiculées – et souvent truquées – par les films porno. On imagine des femmes hurlant de plaisir, des geysers vivants… pour le moins déroutants. Anne-Charlotte parle doucement. Et cette jeune femme blonde démonte tranquillement nos clichés. Elle dit qu’elle vient d’un « milieu traditionnel, catholique ». Elle assure cependant qu’elle n’a pas « hérité de ses principes », et qu’elle a « toujours aimé l’amour ». Elle ajoute qu’elle est une femme fontaine, mais qu’elle ne l’a pas toujours été. « Quand je sentais monter le plaisir, j’avais l’impression que j’allais uriner, et je me retenais. Mais un jour, une amie m’a raconté comment, pendant l’orgasme, elle expulsait une quantité impressionnante de liquide. Elle parlait d’un plaisir immense, et ça a fait tilt en moi. »
Intriguée, la jeune femme cherche à en savoir plus. Dans une librairie, elle tombe sur Tout savoir sur le point G et l’éjaculation féminine (Tabou Édition, 2005) de Deborah Sundahl. Journaliste et féministe américaine, cette experte de l’éjaculation féminine part du principe que toutes les femmes sont des fontaines qui s’ignorent. Son livre comporte un chapitre d’exercices pratiques pour apprendre à faire jaillir la source de ce plaisir si particulier. Anne-Charlotte essaye. « Je suis une hédoniste et je suis curieuse. J’ai eu envie d’aller voir plus loin. Ça a marché. »
Une minorité mythique
Si cela a fonctionné pour elle, cela peut-il fonctionner pour toutes ? « Potentiellement, oui, affirme le gynécologue Sylvain Mimoun, auteur de Ce que les femmes préfèrent (Albin Michel, 2008). Anatomiquement, les femmes fontaines n’ont rien qui les différencie des autres. Cela dit, elles restent une minorité à vivre cette expérience sans l’avoir cherché : de 6 à 36 % des femmes, selon les études. » Cette fourchette est très large, les chiffres incluant toutes celles à qui cela n’est arrivé qu’une fois. Car être une femme fontaine n’est pas une nature définitive. Certaines le découvrent dès le premier rapport sexuel, d’autres bien plus tard. Chez l’une, l’expulsion sera systématique ; chez l’autre, occasionnelle. La femme fontaine est plurielle. Elle n’est pas un être à part. C’est pourtant ce que l’on a longtemps cru.
« Leur rareté en a fait des déesses dans des civilisations antiques, ou des monstres dans notre culture, constate la sociologue Janine Mossuz-Lavau (La Vie sexuelle en France au Seuil, “Points”, 2005). On leur a attribué des pouvoirs magiques, ou de sorcellerie. » Comme tout ce qui sort de la norme, ce qui échappe à la compréhension immédiate, « elles sont devenues des mythes, supports de tous les fantasmes, souvent les plus malsains et bien loin de la réalité », poursuit le psychothérapeute et sexo-thérapeute Alain Héril. Cette réalité reste mal connue. Il n’existe même pas de terme scientifique pour désigner les femmes fontaines. Les premières études sur le plaisir féminin datent des années 1970, et la science en est encore au stade des hypothèses. « On s’y est peu intéressé parce que, de façon générale, on a mis du temps à reconnaître aux femmes leur droit au plaisir, explique Janine Mossuz-Lavau. Elles étaient des mères potentielles, il fallait brider leur sexualité. »
Nos inhibitions collectives expliqueraient pourquoi les femmes fontaines sont si rares. Car le silence pèse encore plus lourd pour celles dont le plaisir se manifeste avec autant de force. « Dans nos représentations collectives, souligne Alain Héril, l’homme est pénétrant et jaillissant. La femme, intérieure et mystérieuse. Tout à coup, on attribue aux femmes un terme et un fonctionnement jusque-là réservés aux hommes. Les femmes fontaines fascinent et troublent, parce que, avec elles, les frontières du genre deviennent plus floues. » Certains hommes peuvent très mal le vivre, comme si on leur volait une part de leur virilité. « D’autres, au contraire, le reçoivent comme une récompense, heureux de voir leur partenaire manifester un tel plaisir avec eux », sourit le sexothérapeute. Plus ou moins machos, plus ou moins féministes : de l’attitude des hommes dépend souvent la sérénité de leur partenaire.
Le poids de la honte
De nombreuses femmes ont répondu à notre appel à témoins sur Psychologies.com. Toutes disent la gêne terrible qui accompagnait les premières fois. « Sale », « dégradant » sont des mots qui reviennent souvent. D’abord, parce que le manque d’information est tel qu’elles ont toutes cru qu’elles urinaient. Ensuite, parce que « ce jaillissement renvoie à une sexualité libérée, brute, presque animale, observe Alain Héril. Cette hypersexualité peut faire peur. Plus ou moins consciemment, ces femmes craignent que ce flux ne s’arrête jamais ». Au mieux, elles n’en parlent à personne et renforcent par là même le tabou qui les entoure. Au pire, « elles retiennent tout, et peuvent alors ne plus ressentir le moindre plaisir », déplore Sylvain Mimoun.
Les femmes peuvent retenir ce liquide, ou en provoquer l’expulsion. « C’est toujours cette question de lâcher-prise qui reste la clé du plaisir, note Alain Héril. Chez ces femmes, à un moment donné, il y a quelque chose qui lâche, dans tous les sens du terme. » Pourquoi elles et pas d’autres ? Il est toujours difficile de le savoir, tant cela renvoie à l’histoire de chacune. « Certaines, moins sensibles aux tabous, acceptent mieux cette part de sauvagerie ; d’autres iront même inconsciemment la rechercher ; d’autres encore, plus phalliques, aimeront pouvoir manifester leur plaisir “comme un homme” », résume le sexothérapeute. Les témoignages se ressemblent toujours sur un point : la première fois, c’est arrivé par surprise. Parce qu’elles étaient plus amoureuses, ou plus en confiance. Parce que « quelque chose » s’est passé, qui a à voir avec la magie d’une rencontre. Le hasard, en somme. « Le lâcher-prise ne se décrète pas, insiste Alain Héril. Le rechercher reste une forme de contrôle. Or le plaisir ne se contrôle pas. »
http://www.psychologies.com/Couple/...siers/Sommes-nous-toutes-des-femmes-fontaines
Des fontaines qui s’ignorent
Femmes fontaines : ces mots font rougir les filles et rêver les garçons. Chacun y accole ses représentations personnelles, y ajoutant parfois les images véhiculées – et souvent truquées – par les films porno. On imagine des femmes hurlant de plaisir, des geysers vivants… pour le moins déroutants. Anne-Charlotte parle doucement. Et cette jeune femme blonde démonte tranquillement nos clichés. Elle dit qu’elle vient d’un « milieu traditionnel, catholique ». Elle assure cependant qu’elle n’a pas « hérité de ses principes », et qu’elle a « toujours aimé l’amour ». Elle ajoute qu’elle est une femme fontaine, mais qu’elle ne l’a pas toujours été. « Quand je sentais monter le plaisir, j’avais l’impression que j’allais uriner, et je me retenais. Mais un jour, une amie m’a raconté comment, pendant l’orgasme, elle expulsait une quantité impressionnante de liquide. Elle parlait d’un plaisir immense, et ça a fait tilt en moi. »
Intriguée, la jeune femme cherche à en savoir plus. Dans une librairie, elle tombe sur Tout savoir sur le point G et l’éjaculation féminine (Tabou Édition, 2005) de Deborah Sundahl. Journaliste et féministe américaine, cette experte de l’éjaculation féminine part du principe que toutes les femmes sont des fontaines qui s’ignorent. Son livre comporte un chapitre d’exercices pratiques pour apprendre à faire jaillir la source de ce plaisir si particulier. Anne-Charlotte essaye. « Je suis une hédoniste et je suis curieuse. J’ai eu envie d’aller voir plus loin. Ça a marché. »
Une minorité mythique
Si cela a fonctionné pour elle, cela peut-il fonctionner pour toutes ? « Potentiellement, oui, affirme le gynécologue Sylvain Mimoun, auteur de Ce que les femmes préfèrent (Albin Michel, 2008). Anatomiquement, les femmes fontaines n’ont rien qui les différencie des autres. Cela dit, elles restent une minorité à vivre cette expérience sans l’avoir cherché : de 6 à 36 % des femmes, selon les études. » Cette fourchette est très large, les chiffres incluant toutes celles à qui cela n’est arrivé qu’une fois. Car être une femme fontaine n’est pas une nature définitive. Certaines le découvrent dès le premier rapport sexuel, d’autres bien plus tard. Chez l’une, l’expulsion sera systématique ; chez l’autre, occasionnelle. La femme fontaine est plurielle. Elle n’est pas un être à part. C’est pourtant ce que l’on a longtemps cru.
« Leur rareté en a fait des déesses dans des civilisations antiques, ou des monstres dans notre culture, constate la sociologue Janine Mossuz-Lavau (La Vie sexuelle en France au Seuil, “Points”, 2005). On leur a attribué des pouvoirs magiques, ou de sorcellerie. » Comme tout ce qui sort de la norme, ce qui échappe à la compréhension immédiate, « elles sont devenues des mythes, supports de tous les fantasmes, souvent les plus malsains et bien loin de la réalité », poursuit le psychothérapeute et sexo-thérapeute Alain Héril. Cette réalité reste mal connue. Il n’existe même pas de terme scientifique pour désigner les femmes fontaines. Les premières études sur le plaisir féminin datent des années 1970, et la science en est encore au stade des hypothèses. « On s’y est peu intéressé parce que, de façon générale, on a mis du temps à reconnaître aux femmes leur droit au plaisir, explique Janine Mossuz-Lavau. Elles étaient des mères potentielles, il fallait brider leur sexualité. »
Nos inhibitions collectives expliqueraient pourquoi les femmes fontaines sont si rares. Car le silence pèse encore plus lourd pour celles dont le plaisir se manifeste avec autant de force. « Dans nos représentations collectives, souligne Alain Héril, l’homme est pénétrant et jaillissant. La femme, intérieure et mystérieuse. Tout à coup, on attribue aux femmes un terme et un fonctionnement jusque-là réservés aux hommes. Les femmes fontaines fascinent et troublent, parce que, avec elles, les frontières du genre deviennent plus floues. » Certains hommes peuvent très mal le vivre, comme si on leur volait une part de leur virilité. « D’autres, au contraire, le reçoivent comme une récompense, heureux de voir leur partenaire manifester un tel plaisir avec eux », sourit le sexothérapeute. Plus ou moins machos, plus ou moins féministes : de l’attitude des hommes dépend souvent la sérénité de leur partenaire.
Le poids de la honte
De nombreuses femmes ont répondu à notre appel à témoins sur Psychologies.com. Toutes disent la gêne terrible qui accompagnait les premières fois. « Sale », « dégradant » sont des mots qui reviennent souvent. D’abord, parce que le manque d’information est tel qu’elles ont toutes cru qu’elles urinaient. Ensuite, parce que « ce jaillissement renvoie à une sexualité libérée, brute, presque animale, observe Alain Héril. Cette hypersexualité peut faire peur. Plus ou moins consciemment, ces femmes craignent que ce flux ne s’arrête jamais ». Au mieux, elles n’en parlent à personne et renforcent par là même le tabou qui les entoure. Au pire, « elles retiennent tout, et peuvent alors ne plus ressentir le moindre plaisir », déplore Sylvain Mimoun.
Les femmes peuvent retenir ce liquide, ou en provoquer l’expulsion. « C’est toujours cette question de lâcher-prise qui reste la clé du plaisir, note Alain Héril. Chez ces femmes, à un moment donné, il y a quelque chose qui lâche, dans tous les sens du terme. » Pourquoi elles et pas d’autres ? Il est toujours difficile de le savoir, tant cela renvoie à l’histoire de chacune. « Certaines, moins sensibles aux tabous, acceptent mieux cette part de sauvagerie ; d’autres iront même inconsciemment la rechercher ; d’autres encore, plus phalliques, aimeront pouvoir manifester leur plaisir “comme un homme” », résume le sexothérapeute. Les témoignages se ressemblent toujours sur un point : la première fois, c’est arrivé par surprise. Parce qu’elles étaient plus amoureuses, ou plus en confiance. Parce que « quelque chose » s’est passé, qui a à voir avec la magie d’une rencontre. Le hasard, en somme. « Le lâcher-prise ne se décrète pas, insiste Alain Héril. Le rechercher reste une forme de contrôle. Or le plaisir ne se contrôle pas. »
http://www.psychologies.com/Couple/...siers/Sommes-nous-toutes-des-femmes-fontaines