Un officier français tué en Afghanistan

La seconde mort du Général

La France négocie son retour au sein des structures militaires de l’Alliance atlantique, dont de Gaulle s’était retiré avec fracas il y a quarante-trois ans.


Le 3 ou le 4 avril prochain, quelque part entre Strasbourg (France) et Kehl (Allemagne), villes situées de part et d’autre du Rhin, la France devrait réintégrer solennellement, en présence de Barack Obama, les structures militaires de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan). À condition que les négociations avec les vingt-cinq autres pays membres de la plus grande alliance politico-militaire du monde* lui fassent une place suffisante dans son commandement intégré.

Née le 4 avril 1949, l’Alliance atlantique a été conçue comme un moyen de riposte immédiat et coordonné à une agression communiste. L’article 5 de son traité fondateur stipule : « Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque contre toutes les parties. » Cela s’est traduit par la mise en commun de moyens militaires et la préparation de leur mise en œuvre sous un commandement unifié.

En 1966, la décision de Charles de Gaulle de se retirer de ce commandement – mais pas de l’organisation politique – avait été motivée par un désir d’indépendance à l’égard des États-Unis. Le Général estimait que l’URSS était moins dangereuse, que l’appartenance à l’appareil militaire de l’Otan risquait d’entraîner la France dans un affrontement avec la Chine, par exemple, et que l’arme nucléaire française ne devait pas être placée sous commandement international. Sous les présidences de Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand et Jacques Chirac, les forces françaises étaient peu à peu réapparues dans les manœuvres conjointes, puis dans les interventions communes, comme au Kosovo ou en Afghanistan, au point que des voix s’élevaient contre l’aberration d’une France apportant ses hommes et ses matériels sans avoir voix au chapitre dans les instances de commandement.

C’est à cette posture « un pied dedans, un pied dehors » que Nicolas Sarkozy a souhaité renoncer. Très atlantiste de conviction, il veut se réconcilier avec l’Amérique, répétant volontiers que « plus on est ami avec les États-Unis, plus on est indépendant ».

La France demanderait deux postes de commandement : celui de l’Allied Command Transformation (ACT), qui élabore la doctrine militaire et dont le siège est aux États-Unis (à Norfolk, Virginie), et le commandement de la région de Lisbonne, d’où sont gérés la force de réaction rapide et le centre d’analyse des photos satellites. Les effectifs français passeraient de 110 hommes à plus de 1 000 (2 100 pour les États-Unis et 1 600 pour l’Allemagne), mais la force nucléaire française resterait nationale.

De nombreux responsables français se sont émus de ce retour sous le leadership américain. « Notre diplomatie va s’en trouver banalisée », estime par exemple l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin. « La voix de la France pourra-t-elle s’élever demain ? » s’interroge pour sa part Ségolène Royal, l’ancienne candidate socialiste à l’élection présidentielle.

Les problèmes soulevés par l’évolution de l’Otan sont d’une redoutable complexité. L’Alliance a connu deux chocs. En 1991, quand le pacte de Varsovie, qui regroupait les pays d’obédience soviétique, a disparu avec l’URSS : depuis, l’Otan n’a plus d’ennemi désigné. Et en 2001, après les attentats du 11 Septembre, lorsque les États-Unis ont refusé l’aide de leurs alliés pour pouvoir riposter sans être gênés aux entournures.

L’Organisation est obligée de composer avec deux résistances.

Celle de l’Union européenne, dont certains membres, au premier rang desquels la France, souhaitent une véritable défense commune capable d’intervenir de façon autonome – ce dont le Royaume-Uni ne veut à aucun prix.

Et celle de la Russie, qui a mal vécu l’adhésion à l’Otan de ses anciens vassaux d’Europe centrale et orientale. Et qui s’est sentie d’autant plus assiégée que l’Otan n’a pas tenu ses promesses de renoncer à s’étendre à l’est et de ne pas accorder son indépendance au Kosovo. En riposte, Vladimir Poutine a saisi l’occasion de la crise géorgienne, en septembre 2008, pour faire avorter la demande d’adhésion à l’Otan de l’Ukraine et de la Géorgie. Six mois après la crise, les Alliés ne savent toujours pas s’ils doivent considérer la Russie comme un partenaire ou un adversaire !



Questions en suspens

L’Alliance atlantique est une incontestable réussite puisqu’elle l’a emporté sur le bloc soviétique, et que, soixante ans après sa création, on se presse à sa porte. Mais de redoutables questions demeurent en suspens. En intervenant dans les Balkans et en bombardant la Serbie, ses troupes ont renoncé au dogme du pacte défensif et adopté une posture offensive que le Traité ne prévoit pas. En intervenant en Afghanistan contre Al-Qaïda, ses armées ont largement débordé de leur terrain d’action originel : l’Europe. Quelle est donc la mission de l’Otan ?

George W. Bush a tenté de la mobiliser contre le terrorisme et contre les États qu’il qualifiait de « voyous » : Syrie, Iran, Corée du Nord. Son hégémonisme aurait pu l’entraîner aussi à demander à ses alliés de soutenir les folies du président géorgien Mikhaïl Saakachvili. Qui, dans l’Otan, a le pouvoir de désigner la menace et l’ennemi ? Les États-Unis, parce qu’ils sont les plus puissants ?

Ces derniers pressent leurs alliés d’augmenter leurs dépenses militaires pour soulager leur propre fardeau (ils affectent à leur défense 4 % de leur produit intérieur brut, contre 1,4 % pour les Européens). Qui doit payer la défense commune ? Enfin, jusqu’où l’élargissement de l’Otan peut-il aller ? En Asie, où se trouve la Turquie, membre depuis 1951 ? Au Maghreb ?

L’arrivée d’Obama à la Maison Blanche ouvre le champ de ces options stratégiques. Son multilatéralisme proclamé et son goût pour le dialogue devraient faciliter l’unanimité à laquelle l’Otan est contrainte par ses statuts. Cela comptera infiniment plus pour l’évolution de l’Alliance que l’arrivée de quelques généraux français supplémentaires à son quartier général de Bruxelles.



* L'Otan compte vingt-six membres : Allemagne, Belgique, Bulgarie, Canada, Danemark, Espagne, Estonie, Etats-Unis, France, Grèce, Hongrie, Islande, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Slovaquie, Slovénie, Turquie. La Croatie et l'Albanie ont engagé une procédure d'adhésion. Les candidatures de la Macédoine, de l'Ukraine et de la Géorgie sont en souffrance.
 
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