VISAS SCHENGEN : POLITIQUE « DISCRIMINATOIRE » ET PERCEPTION « NÉOCOLONIALE »

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Drianke

اللهم إفتح لنا أبواب الخير وأرزقنا من حيت لا نحتسب
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La critique vient d’un groupe de réflexion libéral, à en juger par la liste des membres (et financeurs) tels que les banques JP Morgan, HSBC, Goldman Sachs, ou encore l’hebdomadaire britannique The Economist. Pourtant, la note publiée le 2 avril par le Center for European Reform est sans concession à l’égard de la politique « discriminatoire » de délivrance des visas Schengen par l’Union européenne (UE).

Les chiffres sont têtus : « En 2022, 30 % des demandes africaines de visa Schengen ont été rejetées par l’UE, contre 18 % en 2014. Ce chiffre est nettement plus élevé que le taux de rejet global [en UE] de 17,5 %. Certaines des plus grandes économies africaines, notamment l’Algérie et le Nigeria, affichent des taux de rejet des demandes de visa Schengen compris entre 40 et 50 %. » Ce taux a « considérablement » augmenté alors que le nombre de demandes a, lui, diminué, passant de 2,2 millions en 2014 à 2,05 millions en 2022. Il n’y a donc pas de doute : les Africains sont bien la cible d’une discrimination et d’une politique de restriction particulière qui porte atteinte à leur mobilité.

Afrique XXI avait déjà largement dénoncé ce comportement dans une série d’articles sur le « Business des frontières fermées » ou encore le désarroi des étudiants candidats dans les écoles françaises à l’approche de la rentrée scolaire. Le mot « business » avait pu paraître « radical » – dans le sens où jamais aucun ministère des Affaires étrangères (MAE) n’admettra gagner de l’argent sur le dos des demandeurs –, c’est pourtant bien ce que décrit la chercheuse Katherine Pye (de la London School of Economics and Political Science, LSE) dans son étude.

Selon elle, les visas ont rapporté 137 millions d’euros en 2023 aux MAE européens. Sur cette somme, 42 % sont le fait de demandes en provenance d’Afrique, alors que le continent ne représente que 24 % des dossiers. Le prix avancé pour le visa n’est jamais remboursé (90 euros), même en cas de refus. La chercheuse ajoute que les fins de non-recevoir sont rarement motivées et souvent adressées à la dernière minute, empêchant les demandeurs de se faire rembourser billet d’avion (aller-retour) et hébergement, deux des principales conditions exigées pour obtenir le sésame. La tendance est tellement systémique qu’elle a donné lieu à une nouvelle appellation : le « transfert de fonds inversé ».

La chercheuse Marta Foresti (également de la LSE), fondatrice du collectif LAGO, l’explique ainsi : « On peut considérer les coûts des visas refusés comme des “transferts de fonds inversés”, c’est-à-dire de l’argent qui circule des pays pauvres vers les pays riches. Nous n’entendons jamais parler de ces coûts lorsque nous discutons de l’aide ou de l’immigration, il est temps que cela change. »
 
Cette politique ciblée a de nombreuses conséquences. Elle touche d’abord le portefeuille des Africains. Elle agit également sur la perception que ces derniers ont du pays visé et de l’UE tout entière. Conférenciers, intellectuels, hommes d’affaires… Ces relais d’opinion expriment bien souvent leur frustration. « L’approche de plus en plus stricte de l’Europe en matière d’immigration est devenue une source majeure de friction avec les gouvernements africains, et sa politique en matière de visas nuit considérablement à l’image de l’UE auprès des élites intellectuelles, culturelles et commerciales africaines », écrit Katherine Pye.

L’étude relève aussi que, face à cette situation, de nombreux Africains décident de s’installer, plutôt que de faire des allers-retours avec leur pays, ce qui « [exacerbe] la fuite des cerveaux, comme l’a fait valoir l’Alliance pour la recherche médicale en Afrique dans un document récent. »

La principale motivation de cette politique est la lutte contre « l’immigration clandestine ». Une obsession qui empêche tout discernement. Et pour quel résultat ? « Rien ne prouve que les tentatives de l’UE de réduire l’immigration clandestine en rendant plus difficile l’obtention de visas Schengen pour les voyageurs soient efficaces », assène la chercheuse.

En France (et dans d’autres pays européens, selon l’étude), la délivrance de visas est aussi utilisée pour faire du chantage auprès des pays de provenance des immigrés : en 2020, Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur (aujourd’hui garde des Sceaux), avait menacé la Tunisie de baisser le nombre de visas octroyés si Kaïs Saïed, le président tunisien, refusait de reprendre ses ressortissants arrivés illégalement sur le territoire français. En 2021, la menace avait été mise à exécution : la délivrance de visas avait drastiquement chuté au Maroc (- 50 %), en Tunisie (- 30 %) et en Algérie (- 50 %)...........................



 
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